Les granulomatoses cutanées disséminées (GCD) sont des dermatoses cliniquement et histologiquement hétérogènes, caractérisées à la biopsie cutanée par un infiltrat granulomateux. Même si la biopsie est utile pour poser le diagnostic de GCD, elle n’apporte que rarement des éléments étiologiques. La principale cause est la sarcoïdose cutanée, mais de nombreuses étiologies peuvent être retrouvées, car ces dermatoses correspondent vraisemblablement à un processus réactionnel cutané granulomateux à différents stimuli : infectieux, inflammatoires, néoplasiques, métaboliques ou chimiques. Par cet article, nous aborderons la conduite à tenir une fois le diagnostic clinique et histologique de GCD posé, par une approche centrée sur l’étiologie et proposerons des recommandations thérapeutiques, sur la base de cas et de séries rapportées dans la littérature.
Les granulomatoses cutanées disséminées sont des dermatoses hétérogènes, toutes caractérisées par la présence d’un infiltrat granulomateux à l’histologie. Le mécanisme physiopathologique de ces dermatoses est encore mal connu, mais il s’agit vraisemblablement d’un processus réactionnel granulomateux à différents stimuli : infectieux, inflammatoires, néoplasiques, métaboliques ou chimiques, ce qui explique la grande variété d’étiologies retrouvées face à des présentations cliniques et histologiques multiples, mais pouvant être assez stéréotypées.
Le but de cette mise au point est de proposer une démarche centrée par la recherche d’une étiologie afin de donner des orientations thérapeutiques.
Le mécanisme physiopathologique est encore incertain, mais il semble que les cellules initialement impliquées soient des lymphocytes T-helper-1 produisant de l’interféron-γ, et des macrophages qui expriment le facteur de nécrose tumorale α (TNF-α) et des métalloprotéinases, qui contribueraient à une réaction de type hypersensibilité retardée.1 Il faut donc considérer les granulomatoses cutanées disséminées comme un état réactionnel à des stimuli variés, pouvant être inflammatoires, infectieux, toxiques ou néoplasiques. Ce mode réactionnel pourrait être variable selon les individus, et même variable dans le temps,2 ce qui pourrait expliquer des présentations cliniques et histologiques hétérogènes pour une même étiologie.
La définition des granulomatoses cutanées disséminées est histologique. Leur dénominateur commun est la présence d’un infiltrat inflammatoire granulomateux dont la localisation est variable, dermique et/ou hypodermique. Le terme de granulomateux désigne un infiltrat majoritairement composé de macrophages groupés en nodules ou plages plus ou moins bien limitées, ayant une architecture nodulaire, palissadique ou interstitielle. Ils ont les caractères de cellules épithélioïdes mono ou multinucléées ou de cellules à corps étrangers. Celles-ci peuvent phagocyter des particules étrangères, des fibres élastiques, ou contenir des lipides, alors responsables d’un aspect spumeux.
Plusieurs entités correspondent à la définition de granulomatose cutanée disséminée, leur différenciation étant basée sur l’aspect histologique. Il faut souligner l’absence fréquente de parallélisme entre l’aspect clinique et le type histologique, ce qui engendre une certaine confusion de terminologie. Plusieurs dénominations désignent dans la littérature des dermatoses d’aspect clinique et d’étiologies assez similaires: granulomatose cutanée disséminée (GCD), granulome annulaire disséminé (GAD) ou généralisé (GAG), sarcoïdose cutanée isolée (SCI), dermatite granulomateuse interstitielle (DGI), dermatite granulomateuse palissadique et neutrophilique (DGPN).
Généralement, la clinique permet d’évoquer le diagnostic de granulomatose cutanée, qui doit être confirmée par une biopsie cutanée.
Dans la forme la plus habituelle de granulomatose cutanée étendue, les signes cliniques sont assez typiques, mais peu spécifiques d’une étiologie particulière. La lésion élémentaire correspond à de petites papules infiltrées, indolores, arrondies, bien limitées, rouges rosées et prenant une couleur jaunâtre à la vitropression. Leur surface est lisse ou légèrement squameuse car il n’y a généralement pas de participation épidermique (figure 1). Elles siègent sur le tronc, les membres et le visage et confluent en plaques ou en grands placards (figure 2), avec parfois une disposition annulaire et rarement photodistribuée. Il n’y a généralement pas de prurit. Les lésions ont parfois un aspect plus atypique, plus ou moins figuré ou infiltré et de topographie variable.
Un aspect clinique peut orienter vers une entité particulière :
• des lésions classiques spécifiques (sarcoïdes à petits et gros nodules, lupus pernio, modification des cicatrices) et non spécifiques (érythème noueux, etc.) orientent vers une sarcoïdose cutanée dans le cadre d’une sarcoïdose systémique.3
• Des lésions érythémateuses papuleuses ou en plaques sur les faces latérales du tronc, les régions axillaires, les bras, sur le haut des cuisses, ayant parfois une disposition annulaire et/ou linéaire «en corde» chez des patients avec maladies de système de type arthrite rhumatoïde ou lupus systémique (figure 3)4,5 évoquent une dermatite interstitielle granulomateuse avec arthrite. Cette entité a été individualisée devant cette présentation clinique et un infiltrat granulomateux interstitiel à l’histologie ; cet infiltrat interstitiel n’est pas spécifique de cette entité clinique et a été décrit en association avec de multiples causes.
• Chez l’enfant, un aspect ombiliqué (figure 4) qui peut être confondu avec un molluscum contagiosum6 et chez le sujet âgé, des lésions papulopustuleuses, parfois ombiliquées, confluentes en plaques, prurigineuses7 correspondent à une granulomatose perforante : cet aspect clinique particulier s’explique du fait d’une perforation avec élimination transépidermique d’une nécrose cellulaire, d’un matériel dégénératif ou d’un granulome palissadique.
• Des lésions papuleuses folliculaires et périfolliculaires généralement distribuées sur le tronc seraient caractéristiques d’un lichen scrofulosorum dans le cadre d’une tuberculose.8
La biopsie cutanée est indispensable pour pouvoir porter le diagnostic de granulomatose cutanée, mais elle ne permet pas toujours d’en préciser l’étiologie.
La lésion histologique la plus caractéristique retrouvée est un granulome palissadique composé au centre de collagène dégénéré (nécrobiose), entouré d’une couronne histiocyto-lymphocytaire et macrophagique, ce qui correspond à l’aspect histologique du granulome annulaire, mais qui reste non spécifique. Les fibres élastiques peuvent être absentes, mais pas nécessairement, phagocytées par des cellules géantes réparties en périphérie du granulome. Dans la forme interstitielle, l’infiltrat et la dégénérescence du collagène ne sont pas organisés d’une façon nodulaire, mais plus diffusément ; les cellules macrophagiques sont interstitielles et entourent des fibres de collagène transformées en boules épaisses, homogénéisées.
L’histologie peut orienter sur une étiologie :
• en faveur d’une pathologie infectieuse : hyperplasie épidermique, ulcération, association de l’infiltrat granulomateux à des polynucléaires neutrophiles ou éosinophiles, à des plasmocytes, présence d’une nécrose caséiforme. La topographie péri-annexielle et périnerveuse est en faveur d’une lèpre. La mise en évidence d’un agent pathogène est plus formelle, mais plus rare du fait du caractère réactionnel de la dermatose : bacilles alcoolo-résistants à la coloration de Ziehl en faveur d’une tuberculose, d’une mycobactériose atypique, d’une lèpre, visualisation de champignons.
• La présence de corps étrangers peut orienter vers une origine exogène, ou bien vers une sarcoïdose.
• L’association à un infiltrat lymphocytaire épidermotrope doit faire suspecter un mycosis fongoïde granulomateux et faire pratiquer des immunomarquages lymphocytaires et une recherche de monoclonalité T.
Le bilan étiologique doit être orienté par l’anamnèse, l’examen clinique et l’histologie, mais on peut proposer un bilan minimal à réaliser devant une granulomatose cutanée généralisée d’origine indéterminée (tableau 1), qui a pour but de rechercher une cause infectieuse, néoplasique, métabolique ou inflammatoire sous-jacente (tableau 2).
Les granulomatoses cutanées disséminées ont des étiologies diverses qui peuvent être réparties globalement en deux groupes, les causes infectieuses et non infectieuses. Nous n’avons pas fait la distinction entre les différentes dénominations utilisées dans la littérature (GCD, GAD, GAG, DGI, DGPN, SCI), puisqu’il n’y a généralement pas de différence étiologique à ces présentations.
Il s’agit principalement d’infections systémiques, le germe n’est classiquement pas retrouvé dans les lésions cutanées en histologie ou en culture ; les techniques de PCR plus sensibles sont cependant parfois positives.9,10 Les principaux germes en cause sont des mycobactéries : tuberculose (lichen scrofulosorum), mycobactéries atypiques (M. avium et M. Szulgai)9,10 et la lèpre, en particulier lors d’états réactionnels de type réaction de réversion (figure 5). Beaucoup d’autres germes ont été rapportés : mycoses profondes (coccidioïdomycose), virus (VIH (figure 6),11 hépatite C,12 Epstein-Barr virus),13 bactéries (syphilis,14 brucellose), le rôle de la borréliose est discuté. Quelques rares cas de scabiose ont été rapportés. Des cas ont été décrits après vaccination contre le tétanos, l’hépatite B ou après le BCG.
La sarcoïdose cutanée est la mieux documentée des granulomatoses cutanées disséminées non infectieuses.3 Elle s’observe généralement dans le cadre d’une sarcoïdose systémique, 25% des patients ayant des lésions cutanées spécifiques. Les lésions cutanées de la sarcoïdose peuvent précéder les signes systémiques de six mois à trois ans dans 30% des cas. Lorsque les lésions cutanées sont isolées, la distinction avec les autres granulomatoses cutanées est parfois difficile.
Les étiologies sont nombreuses et peuvent être réparties selon plusieurs grands groupes détaillés dans le tableau 2 : affections dysimmunitaires ;4,5,15 néoplasies (figure 2 et 7) ;l5-18 causes métaboliques15 ou toxiques et médicamenteuses;19 et déficits immunitaires congénitaux ou acquis.20-22
Cette longue liste correspond surtout à une compilation de cas cliniques ou de courtes séries de patients, et nécessite quelques commentaires. La plus grande série, ancienne, comporte 100 cas d’éruption étiquetée granulome annulaire disséminé, dans laquelle un diabète ou une dyslipidémie était retrouvé dans 21% des cas, et un cancer solide dans 14% des cas.15 Comme dans tout syndrome paranéoplasique, l’éruption peut survenir avant, pendant ou après la découverte de la néoplasie. En ce qui concerne les formes associées au lymphome, elles peuvent être de deux grands types : infiltrat spécifique des cellules tumorales au sein du granulome, ou réaction granulomateuse non spécifique.17
De plus en plus de cas sont rapportés en association avec des médicaments,19 et avec l’utilisation de cytokines ou de facteurs de croissance : interféron α, G-CSF, inhibiteurs du TNF-α (lenalidomide, infliximab, étanercept, ada-limumab). A noter à ce sujet que la survenue d’une éruption granulomateuse sous anti-TNF-α doit avant tout faire rechercher une infection par une mycobactérie. Des granulomatoses cutanées étendues ont été également décrites associées à la présence de corps étrangers. Dans ce cas, ils peuvent soit en être la cause (par exemple béryllium ou cérium),23 soit être associés ou révélateurs d’une sarcoïdose systémique. En effet, Marcoval et coll. ont mis en évidence des particules étrangères dans 22% des biopsies d’une série de 65 sarcoïdoses systémiques avec lésions cutanées.24
L’immunocompétence semble également jouer un rôle puisque des cas ont été rapportés après administration de médicaments immunosuppresseurs, que ce soit dans un contexte oncologique ou non, et dans des déficits immunitaires congénitaux.21
Dans certains cas, aucune étiologie n’est retrouvée initialement et un suivi clinique au long cours, voire des biopsies cutanées répétées sont nécessaires pour détecter une cause secondaire de démasquage tardif, en particulier des formes associées aux lymphomes cutanés ou systémiques17 ou aux connectivites et à la sarcoïdose systémique.3
Lorsqu’une cause curable est trouvée : infectieuse, auto-immune, médicamenteuse, néoplasique, un traitement spécifique doit être entrepris.
Pour les autres granulomatoses cutanées disséminées d’origine indéterminée, les recommandations thérapeutiques sont basées sur des observations ou de petites études ouvertes, généralement rétrospectives, et sur l’expérience clinique en sachant que les essais négatifs ne sont généralement pas rapportés. L’approche thérapeutique correspond globalement à celle de la sarcoïdose cutanée, revue en détail par Descamps et coll.3 à savoir corticothérapie locale ou générale, cyclines, antipaludéens de synthèse, immunosuppresseurs de type méthotrexate ou ciclosporine, et éventuellement anti-TNF de type thalidomide.
Dans les actualités thérapeutiques, on peut cependant citer l’utilisation récente de différents agents topiques et systémiques :
• Les inhibiteurs de la calcineurine topiques (tacrolimus à 0,1% ou pimecrolimus à 1%)25,26 ont eu un effet bénéfique chez certains patients. Une photothérapie par UVA1 s’est révélée efficace, dans une étude, chez 50% des patients, avec cependant une récidive précoce des lésions dans la majorité des cas.27
• Les rétinoïdes oraux et en particulier l’isotrétinoïne à raison de 0,5-1 mg/kg/j ont également été essayés chez plusieurs patients avec parfois une bonne réponse clinique.28
• L’efficacité des biothérapies dirigées contre le TNF-α (infliximab, étanercept, adalimumab) a été rapportée dans quelques cas,29,30 alors qu’à l’inverse ils ont été incriminés dans l’apparition d’éruptions granulomateuses.31
Les granulomatoses cutanées disséminées sont des dermatoses réactionnelles aux mécanismes peu clairs et aux étiologies multiples. Une origine infectieuse, inflammatoire ou néoplasique doit être systématiquement recherchée et, lorsqu’aucune cause n’est détectée, une surveillance régulière est indispensable. Les traitements sont souvent empiriques et mal codifiés, l’absence d’essai thérapeutique étant expliquée par la rareté et l’hétérogénéité de ces dermatoses.
> En cas de suspicion de granulomatose cutanée, une biopsie cutanée doit être effectuée pour confirmer le diagnostic
> Un bilan étiologique à la recherche d’une cause infectieuse, paranéoplasique ou d’une autre nature systémique doit être conduit de façon systématique
> Un suivi médical est nécessaire à long terme et certains examens paracliniques peuvent être répétés à intervalles réguliers et selon les symptômes ou signes d’appel cliniques puisque les symptômes cutanés peuvent précéder de plusieurs années une cause systémique
> Le traitement doit être dirigé en fonction de l’étiologie: en cas de cause curable, spécifique ; pour les formes idiopathiques, basé sur la réponse clinique, les comorbidités du patient et les effets secondaires des médicaments
The disseminated cutaneous granulomatosis (DCG) are heterogeneous cutaneous diseases histologically characterized by a granulomatous infiltrate. The most frequent cutaneous granulomatosis is sarcoidosis, but many other causes can be found, because DCG are probably a skin granulomatous reaction to different stimuli : infectious, inflammatory, neoplastic, metabolic or chemical. The histopathological examination is useful for the diagnosis of DCG, but gives rarely an etiological diagnosis.
In this article, we will propose a strategy for the etiological diagnosis of DCG, and propose therapeutic recommendations based on recent data from the literature.