Les raisons pour lesquelles les longs voyages (≥ 3 mois) augmentent les risques de maladie sont multiples, mais surtout liées au comportement des voyageurs. En plus des vaccinations proposées aux voyageurs de courte durée, celles contre l’hépatite B, la rage et la fièvre typhoïde devraient être encouragées, mais elles nécessitent du temps et des moyens financiers. Certains vaccins particuliers comme la méningite à méningocoques ou l’encéphalite japonaise sont à discuter en fonction de la destination. La tuberculose est une maladie rare chez les voyageurs en général, mais son incidence chez le personnel soignant rejoint celle des populations à haut risque, et un dépistage est recommandé.
Dans la littérature, on définit comme long un séjour qui dure plus de trois mois. Cette définition simpliste ne révèle rien sur les risques encourus pour la santé et on comprend aisément qu’un séjour de deux ans comme ambassadeur à Lima ne comporte pas les mêmes risques que trois mois de médecine humanitaire au Soudan ou du trekking au Népal.
Trois facteurs principaux font attribuer à un long séjour davantage de risques pour la santé qu’un voyage court :
A. le comportement individuel qui change avec le temps, notamment par oubli ou lassitude dans l’application des mesures préventives, ou encore par banalisation du risque ou simple envie de découverte.
B. Les caractéristiques de l’environnement du séjour, souvent différentes de celles du tourisme court, comme par exemple un milieu rural isolé, ou au contraire une forte promiscuité avec la population locale, ou encore une accessibilité limitée aux soins.
C. La durée de séjour, qui augmente le risque d’être exposé pendant les saisons à haut risque (épidémies).
On peut grossièrement définir trois niveaux de recommandations de vaccination pour les voyageurs de longue durée vers des pays tropicaux ou en voie de développement:
A. les vaccins proposés à tous les voyageurs, quelle que soit la durée du séjour : ceux du schéma vaccinal suisse, l’hépatite A (pour les non-immuns) et la fièvre jaune (si la destination le requiert).
B. Les vaccins proposés à tous les voyageurs de longue durée : l’hépatite B, la rage, la fièvre typhoïde.
C. Les vaccins proposés aux voyageurs de longue durée vers certaines destinations particulières : la méningite à méningocoques, l’encéphalite japonaise, la tuberculose (y compris le dépistage dans certaines circonstances).
Dans cet article, nous nous limiterons aux deux dernières catégories.
Quels sont les risques lors d’un long séjour de contracter cette maladie et comment s’attrape-t-elle ? Quelques études se sont penchées sur la question. En 1990, Lange et coll.1 mettaient en évidence une séroconversion chez 23% de 360 missionnaires qui avaient séjourné en Afrique subsaharienne, et ceci surtout pendant les premières années de leur séjour. Dans une autre étude,2 chez des missionnaires vers des destinations diverses et pour un séjour moyen de 7,3 ans, la séroconversion était observée chez 5,5%. Plus récemment, une étude rétrospective, sur tous les cas rapportés d’hépatite B sur une période de douze ans à Amsterdam,3 a estimé l’incidence chez les voyageurs à 4,5/100 000/an, dont deux tiers chez des immigrés. Sur 27 personnes très probablement infectées en zone endémique, dix-huit étaient des migrants. Parmi les neuf personnes non migrantes seules trois d’entre elles étaient des touristes voyageant pour un court séjour (< 3 mois), et ces trois personnes avaient été infectées par voie hétérosexuelle. Bien qu’un risque de contamination transcutanée existe et que 33 à 46% des voyageurs interrogés par questionnaires présentent un risque potentiel,4 c’est la transmission sexuelle qui est le mode le plus fréquent. A titre d’exemple, près de 5% de 1907 voyageurs interrogés ont eu des rapports sexuels avec un(e) nouveau(nouvelle) partenaire en voyage, dont deux tiers avec des personnes locales et 30% sans condom.5 Chez des expatriés travailleurs du pétrole au Ghana,6 24% avaient eu des rapports sexuels avec des personnes locales et 50% d’entre eux sans condom. Une étude intéressante7 fait état d’un risque de transmission horizontale dans les familles d’expatriés vivant au Nigeria et ayant accueilli un enfant autochtone, avec un risque de séroconversion de 1,7/1000 personnes/mois de séjour chez les adultes et 2,8/1000/mois chez les enfants de la famille d’accueil.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise de vacciner tous les voyageurs à destination des zones d’endémie modérée à forte (figure 1), plus pragmatiquement nous proposons de vacciner :
A. les jeunes gens selon le schéma de vaccination suisse.
B. Les jeunes adultes voyageant souvent.
C. Les voyageurs pour des séjours de longue durée.
D. Les VFR (visiting friends and relatives=les personnes en provenance des zones d’endémie vivant chez nous mais retournant en voyage dans leur pays d’origine).
Le schéma de vaccination est résumé dans le tableau 1.
La fièvre typhoïde est une maladie rare chez les voyageurs. En Suède,8 l’incidence globale a été calculée à 0,42/100 000 voyageurs toutes destinations confondues, avec une incidence maximale de 41,7/100 000 voyageurs en Inde. En Suisse,9 le risque global est même encore inférieur, à 0,2/100 000 voyageurs et 24/100 000 au Pakistan. Cette maladie s’attrape en consommant des boissons ou de la nourriture fortement contaminées et concerne essentiellement les personnes qui n’ont pas accès à de l’eau potable, à savoir celles qui font du trekking ou qui vivent dans des conditions proches de celles des populations autochtones, spécialement en Asie. Le vaccin n’offre qu’une protection limitée (50-70%) contre Salmonella typhi et ne protège pas contre Salmonella paratyphi. L’intérêt du vaccin réside partiellement dans le fait que les souches de salmonelles sont de plus en plus résistantes aux antibiotiques courants.
La rage animale est distribuée très largement (figure 2) alors que la majorité des cas de rage humaine est déclarée dans le sous-continent indien. Chez des expatriés au Népal10 le risque de morsure a été calculé à 5,7/1000/an (contre 1,9/1000/an chez de simples touristes), et chez des expatriés suisses et allemands,11 vers diverses destinations, le risque de morsure était de 18,2/1000/an, avec seulement 24-30% des cas où une vaccination postexposition correcte avait été effectuée. Les facteurs qui augmentent le risque de morsure lors des longs séjours sont la possession (ou la proximité) d’animaux domestiques et la banalisation des contacts avec les animaux, surtout chez les enfants (difficile de les surveiller en permanence!). De plus l’accès au traitement de globulines humaines contre la rage en cas de morsure est très limité dans de nombreux pays et la prophylaxie postexposition souvent déficiente.12 Pour ces raisons, la vaccination préexposition est proposée à tous les voyageurs de longue durée vers des zones endémiques, quel que soit leur âge.
La vaccination est recommandée à tous les voyageurs se rendant en zone d’épidémie (à savoir la ceinture de la méningite en Afrique (figure 3) en saison sèche) et à ceux qui y séjournent pour une longue durée (en raison de leurs contacts avec la population locale et leur séjour en saison sèche). L’accès limité à des soins rapides et efficaces pour cette maladie grave fonde également cette indication. Le vaccin recommandé est le vaccin quadrivalent ACWY, idéalement précédé de quatre à six semaines par une dose du vaccin conjugué de type C.
Il s’agit d’une arbovirose asiatique avec une variabilité en partie saisonnière dont la distribution est décrite dans la figure 4. Elle concerne surtout les personnes qui séjournent de manière durable (>4 semaines) en zone rurale pendant les périodes à risque (mousson). L’incidence chez les voyageurs est estimée à 1/5000/mois13 et seuls 34 cas ont été décrits chez des voyageurs (Hatz Ch, communication personnelle). Seule une infection sur 200 est symptomatique. Le vaccin inactivé en trois doses (JEvax) n’est plus produit et seuls quelques centres en possèdent encore. Un nouveau vaccin en deux doses est en phase d’enregistrement.14 Compte tenu du faible risque d’infection (et encore plus faible de faire une maladie symptomatique), et malgré les améliorations apportées par le nouveau vaccin, l’indication à la vaccination reste limitée, à savoir : les voyageurs de longue durée souhaitant séjourner de manière durable (> 4 semaines) en zone rurale.
A. L’administration de certains vaccins recommandés (hépatite B, rage, encéphalite japonaise) se fait en plusieurs fois et nécessite du temps (figure 5), idéalement au moins quatre à cinq semaines avant le départ.
B. Les coûts sont importants (CHF 382.– pour les vaccins de l’hépatite B (2 x), rage (3 x), méningocoques ACWY et fièvre typhoïde seulement, sans les rappels, sans les vaccins de base proposés à tous les voyageurs, et sans consultation).
C. Comme il est assez rare de pouvoir vacciner les voyageurs complètement (c’est-à-dire avec les rappels/booster) se pose le problème des rappels, par exemple la troisième dose de l’hépatite B à six mois, ou la quatrième dose pour la rage à un an. Les intervalles recommandés avant le rappel/booster sont des intervalles minimaux (hépatite B > 6 mois, rage > 12 mois, hépatite A > 6 mois, etc.) et les voyageurs peuvent profiter d’un retour en congé pour compléter leurs vaccinations.
Le seul vaccin disponible contre la tuberculose est le BCG. Il réduit de 60-90% les risques d’évolution vers une forme disséminée de la maladie, 15 risques qui sont d’autant plus grands que la personne infectée est jeune.16 Pour cette raison, le vaccin n’est recommandé que chez les nouveaunés et les nourrissons de moins de douze mois dont les parents sont originaires d’un pays de haute endémie (figure 6) (Afrique, Asie, Amérique latine, Europe de l’Est et Portugal) et/ou qui sont susceptibles de s’y rendre pour y séjourner durablement. L’indication à la vaccination du personnel médical qui se rend dans les pays où la tuberculose est multirésistante est à discuter.17 Le vaccin se donne en une seule dose de 0,05 ml intradermique et provoque dans 3% des cas une réaction locale sévère.
Chez les enfants américains18 se rendant en zone de haute endémicité, le risque de virage du test à la tuberculine est 4,7 fois supérieur à celui des enfants qui ne voyagent pas, et chez les enfants mexicains vivant aux Etats-Unis19 de 12,4 fois. Peu d’études se sont penchées sur l’épidémiologie chez les voyageurs. Chez des voyageurs hollandais20 à long terme, le virage du test à la tuberculine était de 4,2%/an (mais 11,8% chez le personnel soignant directement en contact avec des patients) et l’incidence de tuberculose active 0,7%/an. Par contre, chez des volontaires américains du Peace Corps,21 le virage du Mantoux était de 0,5-0,7% an (et 3,5%/an dans certaines destinations en Afrique). Dans une étude plus récente,22 le risque chez les volontaires du Peace Corps restait plus élevé que celui de la population générale américaine, mais était moins important que celui des autres voyageurs à destination des pays hautement endémiques.
Sur la base de ces données, le dépistage de la tuberculose chez les voyageurs23 n’est indiqué : a) que chez ceux qui seraient susceptibles de recevoir une chimiothérapie en cas de résultat positif et b) que s’ils partent pour plus de trois mois en zone de haute endémie ou/et s’ils font partie du personnel médical. Le dépistage consiste en un test à la tuberculine avant le départ et un test plus de six semaines après le retour. Si une augmentation de taille significative (≥ 10 mm) est observée, il est recommandé de procéder à un dosage sanguin par détection de l’interféron gamma (Quantiferon) ou des lymphocytes produisant de l’INF (TB-spot) et à un cliché thoracique.
Les longs séjours dans les pays tropicaux ou en voie de développement posent des problèmes particuliers en termes de vaccination, des délais pour vacciner, des coûts et enfin, en raison des risques accrus encourus. Une connaissance aussi précise que possible des risques encourus en fonction du type de voyage et de la destination facilite les conseils et permet de proposer les vaccins appropriés en plus des vaccins recommandés à tous les voyageurs. Il faut penser au dépistage de la tuberculose chez le personnel médical qui travaille en zone de haute endémie.
> Les personnes voyageant plus de trois mois ont un risque accru d’attraper certaines maladies en raison de leur comportement, de l’environnement et de la durée d’exposition
> Elles devraient se voir proposer systématiquement le vaccin contre l’hépatite B, ainsi que la vaccination préexpositionnelle contre la rage si elles se rendent en zone d’endémie, et, selon les cas, la vaccination contre la fièvre typhoïde, la méningite ou l’encéphalite japonaise
> Un test à la tuberculine est recommandé six à huit semaines après le voyage, spécialement chez les professionnels de la santé
Reasons why long-term travel (≥3 months) increases health risks are many, but mainly related to travellers’ behaviour. On top of immunizations proposed to all travellers, those against hepatitis B, rabies and typhoid fever should be encouraged, but require time and money. Some vaccines like meningococcal vaccine and japanese encephalitis need to be discussed according to the destination. Tuberculosis is a rare disease in travellers in general but the incidence in health care workers reaches the one of the local population at risk, and therefore tuberculosis detection is recommended.