Une nouvelle étape sans doute importante vient d’être franchie dans la compréhension des bénéfices de certains polyphénols. On sait que cette famille de molécules organiques largement présentes dans le règne végétal (et caractérisées par la présence de plusieurs groupements phénoliques) peut présenter des propriétés antioxydantes qui font qu’elles prennent une importance croissante dans le domaine alimentaire et dans la prévention d’affections de nature très différente.
Différents travaux menés ces dernières années (dans le cadre de la recherche d’une explication au «french paradox») avaient conduit à identifier des polyphénols présents dans les grains de raisin (et dans les vins) comme responsables d’un effet vasodilatateur via la production de monoxyde d’azote par les cellules endothéliales. Il y a quelques mois plusieurs équipes françaises, usant de techniques de biologie moléculaire, publiaient dans PLoS one l’identification de l’un des mécanismes impliqués dans ce phénomène via l’activation du sous-type α du récepteur aux œstrogènes (ERα), par ailleurs connue pour stimuler la voie du monoxyde de carbone dans ces mêmes cellules endothéliales (Revue médicale suisse du 17 février).
Une autre clef est aujourd’hui identifiée par des chercheurs de l’université de l’Ohio et de l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) respectivement dirigés par Carlo M. Croce et Norbert Latruffe (unité Inserm «lipide, nutrition, cancer», Dijon). L’objectif de ces chercheurs était d’étudier les propriétés anti-inflammatoires et anticancéreuses du resvératrol. Dans un article publié dans le numéro de septembre de la revue Carcinogenesis,1 ces chercheurs annoncent la découverte d’une nouvelle voie de signalisation montrant que ce phytophénol alimentaire bien connu (et notamment présent dans les vins rouges) module l’expression de micro-ARN impliqués dans la réponse inflammatoire et dans la genèse des processus cancéreux.
On sait que le resvératrol est un polyphénol synthétisé de façon importante dans les grains de raisin. «Sa présence dans le fruit est la résultante d’une réaction de la plante contre une infection commune due au champignon Botrytis cinerea, précise-t-on auprès de l’Inserm. Des études épidémiologiques et expérimentales ont montré que le resvératrol agissait sur l’organisme comme un agent préventif des maladies cardiovasculaires ainsi que de certains cancers. C’est l’une des molécules phares de ce que l’on a appelé le "french paradox". Toutefois, les mécanismes qui expliqueraient ces propriétés particulières ne sont pas encore élucidés.»
On ajoute plus généralement que, dans un quart des cas environ, la genèse des processus cancéreux est associée à des processus inflammatoires. Certains de ces processus sont liés aux micro-ARN, séquences non codantes de l’ARN. Selon plusieurs études, la présence de l’un de ces micro-ARN est directement impliquée dans la réponse inflammatoire et serait liée à la formation de certains cancers du sang, du sein ou du poumon. Les auteurs de la publication de Carcinogenesis montrent que le resvératrol joue un rôle important au niveau de l’inflammation en modulant l’expression de deux micro-ARN (le miR-663 et le miR-155) dans une lignée cellulaire de monocytes humains. Cette régulation entraîne une série de réactions en chaîne qui aboutit au contrôle de l’expression de gènes inflammatoires impliqués dans la production de prostaglandines ou les réponses inflammatoires aux lipopolysaccharides bactériens.
Il faut ajouter ici d’autres travaux de la même équipe, publiés dans la revue Biochemical Pharmacology2 et menés cette fois sur des cellules tumorales humaines d’origine colorectale. Les résultats obtenus suggèrent également l’implication du resvératrol dans la modulation de micro-ARN codant pour le TGF bêta, agent oncogénique bien connu.
«Nous continuons l’analyse des liens entre le resvératrol et d’autres micro-ARN précise aujourd’hui le Pr Norbert Latruffe, spécialiste de biochimie à l’université de Bourgogne. Nos travaux pourraient conduire à démontrer l’intérêt de l’emploi du resvératrol en tant qu’agent anti-inflammatoire. Si, par ailleurs, l’effet du resvératrol sur le TGF bêta se confirme, on pourrait imaginer le tester en clinique comme adjuvant de certains traitements anticancéreux. Mais la route est encore longue». Et, depuis Dijon, le Pr Latruffe d’avertir tous ceux qui seraient tentés de faire une rapide ellipse que «malgré les propriétés du resvératrol, le fait de boire des vins qui en contiennent ne permet de traiter ni les processus inflammatoires, ni les processus cancéreux».