Les infections respiratoires sont une cause fréquente de pathologies du voyageur en termes de morbidité. Les affections tropicales sont relativement rares en comparaison des infections pulmonaires cosmopolites. En raison de leur potentielle gravité, elles doivent néanmoins être systématiquement évoquées. Le diagnostic différentiel des germes tropicaux étant large, il faut orienter le diagnostic par une anamnèse de voyage ciblée, permettant de détecter des facteurs de risque spécifiques et d’adapter le bilan biologique aux données épidémiologiques et géographiques. Si la radiographie pulmonaire est une aide importante dans ce contexte, d’autres examens complémentaires, comme les sérologies, sont parfois nécessaires avant de pouvoir poser un diagnostic clair.
Un homme de 50 ans d’origine sud-américaine, résidant en Suisse depuis de nombreuses années, consulte en raison d’un état fébrile et d’un rash cutané prurigineux. Les symptômes sont apparus deux semaines auparavant, alors que le patient effectuait des fouilles au Maghreb. Quelques jours plus tard, apparaît une dyspnée accompagnée d’une douleur basithoracique gauche respiro-dépendante et d’une légère toux sèche. Le patient est mis au bénéfice d’une antibiothérapie pour une suspicion de bronchopneumonie atypique. Au vu de la persistance de la symptomatologie, le patient consulte notre service.
L’examen physique relève des râles pulmonaires à la base gauche associés à un état subfébrile. Les examens complémentaires initiaux montrent une leucocytose à 12,1 G/l associée à une éosinophilie à 16% et une élévation des CK à 324 U/l. La radiographie pulmonaire met en évidence une opacité au niveau du sinus costo-diaphragmatique gauche. Des sérologies reviennent positives pour les anguillules, négatives pour une rickettsiose, et la recherche sanguine de microfilaires est négative. La recherche d’anguillules dans les selles par le test de Baerman est négative. Un traitement d’ivermectine 0,2 mg/kg en deux doses, pour une suspicion d’anguillulose est instauré, traitement répété quatorze jours plus tard.
La symptomatologie respiratoire se péjorant, le patient consulte à nouveau dix jours plus tard. On observe l’apparition de râles à la base droite, au laboratoire l’éosinophilie s’accentue à 32% et les CK augmentent à 520 UI/l. Le cliché thoracique révèle l’apparition d’un nouvel infiltrat nodulaire pulmonaire de la base droite.
Quatre jours plus tard, le patient rapporte avoir craché à plusieurs reprises des larves blanchâtres, ce qui motive des sérologies pour anisakis et ascaris. Cette dernière revient positive, permettant de poser le diagnostic de syndrome de Loeffler sur ascaridiase. Un traitement d’albendazole (400 mg 1 x/jour) pendant cinq jours permet une évolution favorable aux niveaux clinique et biologique (éosinophiles à 10,2%). Un CT thoracique confirme les images nodulaires vues à la radiographie thoracique.
Au cours de ces dernières décennies, l’augmentation des voyages internationaux et des mouvements migratoires expose le praticien à des affections tropicales auxquelles il n’est pas habitué. Les affections pulmonaires font partie des motifs de consultation fréquemment rencontrés au retour d’un séjour en région tropicale. Même si les pneumopathies cosmopolites en sont la cause la plus fréquente, les germes tropicaux doivent être évoqués plus spécifiquement.
Cet article a pour but de guider le clinicien dans la prise en charge des pneumopathies liées aux voyages.
Environ 8% des voyageurs sont amenés à consulter en raison de problèmes de santé. Les diarrhées et l’état fébrile sont les motifs de consultation les plus souvent rencontrés, suivis des problèmes cutanés et des affections respiratoires.1 Dans une étude analysant les données collectées entre 1997 et 2001 par le réseau de cliniques de médecine des voyages GeoSentinel, 7,8% des patients avec une infection au retour de voyage présentaient une infection respiratoire.2
Les pneumopathies représentent également une cause de mortalité chez les voyageurs, de l’ordre de 1% des cas décédés à l’étranger.3 Cela comprend notamment les cas d’embolies pulmonaires et de pneumonies compliquées.
Au niveau des pathologies finalement diagnostiquées, les maladies respiratoires sont en seconde position après les maladies gastro-intestinales. Elles représentent 11,6% des maladies au retour de voyage, avec une prévalence légèrement augmentée lors des voyages en Asie de l’Est.2 Cette haute prévalence illustre la susceptibilité des voyageurs à contracter et à disséminer des agents infectieux respiratoires. Cela a été bien illustré par la récente épidémie du virus de l’Influenza H1N1 qui, pratiquement en quelques jours, avait touché les cinq continents. La diffusion rapide de nouveaux pathogènes respiratoires, comme ce fut le cas en 2003 avec le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), en est une autre illustration.
Environ deux tiers des pathologies pulmonaires au retour de voyages concernent les voies respiratoires supérieures, seul un tiers touche les voies respiratoires inférieures. La revue de 1719 patients présentant une affection respiratoire parmi 21 960 patients du collectif GeoSentinel permet d’avoir une idée plus précise des diagnostics respiratoires posés.2 Le tableau 1 les résume. Les IVRS (infections des voies respiratoires supérieures) non spécifiques représentaient 47,2% des patients et les pneumonies 13,5%. La fréquence des infections respiratoires était plus élevée pendant l’hiver, le risque de bronchite et de pneumonie augmentait avec l’âge, alors que les pharyngites, sinusites et otites étaient plus fréquentes chez les personnes plus jeunes. Les hommes avaient un risque deux fois plus élevé de pneumonie que les femmes. Une durée de voyage supérieure à 30 jours était associée à un risque augmenté de grippe et de pneumonie. Les voyageurs rendant visite à des proches ou de la famille étaient six fois plus à risque d’attraper la grippe que les autres catégories de voyageurs.
Les symptômes respiratoires ne sont pas toujours au premier plan lors de la présentation initiale des pneumopathies. En Italie, une étude prospective auprès de patients hospitalisés au retour de voyage a démontré que 50% des cas de pneumonie n’avaient pas présenté de syndrome respiratoire au premier examen.4
Largement dominés par les germes cosmopolites, les agents tropicaux peuvent être à l’origine de pneumopathies qu’il faudra savoir évoquer et rechercher.5 Le tableau 2 résume le diagnostic différentiel infectieux des pneumopathies au retour de voyage.6
Dans environ un quart des cas, les infections respiratoires sont d’étiologie bactérienne. Le voyage est clairement un facteur de risque pour la légionellose, notamment en ce qui concerne les croisières, où des épidémies de légionellose ont été observées. En 2008, 866 cas de légionellose ont été rapportés au réseau Eurosurveillance.7 Un voyage hors d’Europe avait eu lieu dans 12% des cas et 42 décès (9,8%) sont survenus, témoignant de la sévérité potentielle de cette maladie. L’incubation est brève, de l’ordre de deux à dix jours. Cette affection doit être évoquée rapidement au retour d’un voyage.
La tuberculose est plus fréquemment retrouvée auprès de migrants ou de personnes ayant voyagé durant plus de trois mois dans des conditions simples ainsi que chez des expatriés ayant travaillé localement pendant des périodes prolongées. Citons également quelques rares cas de tuberculose acquis lors de voyage en avion. Penser également à certaines rickettsioses (Orienta tsutsugamushi), à la fièvre Q, à la leptospirose ou à la mélioïdose en cas de pneumopathie au retour de voyage.
Les virus sont représentés en premier lieu par celui de la grippe (influenza). Dans une étude prospective portant sur 1450 voyageurs, une séroconversion au virus de l’influenza a été démontrée chez 2,8% de tous les voyageurs, permettant de calculer une incidence de 1 pour 100 personnes/mois de voyage.8 Au total, 19,9% ont rapporté un épisode fébrile pendant ou au retour du voyage. Parmi eux, 12,8% ont présenté une séroconversion. Ces données illustrent bien le risque élevé d’exposition à l’influenza. Ce dernier représente un risque réel notamment pour les personnes âgées en bateau de croisière, et ce à toutes les saisons, vu la diversité des membres d’équipage, venant des deux hémisphères. Une vaccination contre la grippe est recommandée en prévention. Si les épidémies surviennent entre les mois de décembre à février dans l’hémisphère nord, elles ont lieu lors des mois de mai à septembre dans l’hémisphère sud, et toute l’année dans les zones intertropicales.
La fièvre Dengue, de plus en plus observée au retour d’un voyage, peut se compliquer d’une atteinte pulmonaire. Beaucoup plus rares, les infections à Hantavirus sont à évoquer.
Les atteintes respiratoires fongiques sont plus rares. L’histoplasmose est à rechercher chez des personnes présentant une atteinte pulmonaire le plus souvent aiguë faisant suite à une visite dans une grotte ou une cave, même après une exposition brève.6
Les parasitoses peuvent être à l’origine de syndromes pulmonaires spécifiques, dus à leurs cycles de maturation complexes avec passage pulmonaire. Le syndrome de Loeffler, dont notre patient était atteint, est causé par des larves d’ascaris, d’ankylostomes ou d’anguillules, lors de leur phase migratoire à travers les poumons. Le tableau clinique est celui d’une dyspnée asthmatiforme. Des manifestations pulmonaires de ce type sont également observées dans la bilharziose ou schistosomiase en phase d’invasion (syndrome de Katayama). Le poumon éosinophile tropical, connu aussi sous le nom de syndrome de Weingarten, est causé par les filarioses Wuchereria bancrofti et Brugia malayi, dans leur forme allergique. Ces deux syndromes doivent être recherchés chez tout patient présentant à la radiographie pulmonaire des opacités multinodulaires associées à une hyperéosinophilie.9 D’autres parasitoses peuvent être à l’origine d’atteintes pulmonaires. Citons l’échinococcose ou kyste hydatique, se présentant sous forme de lésion kystique ou de pleurésie, la dirofilariose, lésion nodulaire isolée asymptomatique et la paragonimose à l’origine de pleurésie, de pneumothorax ou d’hémoptysie mimant une tuberculose.
Le paludisme, diagnostic fréquent de l’état fébrile au retour de voyage, peut occasionner des manifestations respiratoires dans sa forme sévère. Dans une étude italienne auprès de patients hospitalisés au retour de voyage, 4,6% des cas de paludisme présentaient un syndrome respiratoire et le paludisme était le diagnostic final de 27,5% des voyageurs ayant présenté un syndrome respiratoire à l’entrée.4 Rappelons également qu’une fois le traitement instauré, le paludisme peut se compliquer soit d’un œdème aigu du poumon par surcharge hydrique, soit d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA).
Parmi les causes non infectieuses, les voyages, surtout les longs voyages en avion, représentent un risque thromboembolique accru d’un facteur 3, selon une méta-analyse récente.10 Les facteurs de risque invoqués en sont l’immobilité durant le vol, la déshydratation liée à un air ambiant très sec et l’absorption insuffisante de liquides, voire la consommation d’alcool, diurétique bien connu. D’autres facteurs favorisants tels qu’une surcharge pondérale, un cancer, des antécédents thromboemboliques, une chirurgie récente, la grossesse ainsi qu’un âge avancé sont également cités. Des mesures préventives lors du vol (bas de contention, mouvements musculaires, réhydratation, héparine de bas poids moléculaire en cas d’antécédents) permettent de réduire le risque d’accidents thromboemboliques.
Pour toute affection au retour d’un voyage, l’anamnèse clinique systématique doit être complétée par une anamnèse de voyage ciblée. Les données épidémiologiques sur la répartition géographique, les facteurs d’exposition des affections considérées et les connaissances spécifiques sur les différents germes permettent de cibler la démarche diagnostique. La radiographie du thorax devrait être demandée devant tout tableau respiratoire, ainsi que devant un état fébrile ou une éosinophilie d’origine inconnue. Les examens de laboratoire permettent surtout de détecter un syndrome inflammatoire ainsi qu’une éosinophilie, mais aussi une atteinte organique autre. Dans quelques cas, des examens complémentaires (imagerie, examens invasifs) sont nécessaires. Si le diagnostic reste douteux, le suivi de l’évolution peut s’avérer utile, comme illustré dans le cas présenté.
L’analyse des données de GeoSentinel a montré que les facteurs prédictifs pour les pneumopathies étaient l’âge, le sexe, la saison, la durée du voyage, ainsi que la raison du voyage. Ainsi, les infections des voies respiratoires basses sont associées au sexe masculin et à un âge plus élevé que les infections des voies respiratoires hautes.
D’autres informations par rapport au comportement et au mode de vie du voyageur vont amener à rechercher un germe plutôt qu’un autre.
La symptomatologie respiratoire est souvent peu spécifique. Le diagnostic différentiel d’une toux ou d’une dyspnée est vaste. Une hémoptysie peut suggérer une pneumonie, un abcès pulmonaire, une tuberculose, une paragonimose (douve du poumon) ou encore une embolie pulmonaire. Les temps d’incubation sont des indices très utiles, à noter que dans certains cas les pathogènes sont liés à des séjours tropicaux antérieurs au dernier voyage motivant la consultation.
A l’examen physique, certains signes peuvent orienter le diagnostic comme illustré ci-dessous :
détresse respiratoire : embolie pulmonaire, paludisme compliqué, pneumonie ;
absence de fièvre : embolie pulmonaire, syndrome de Loeffler, autres maladies cosmopolites ;
adénopathies : tuberculose ;
hépato/splénomégalie : amibiase, paludisme ;
rash cutané : rougeole, fièvre Dengue, rickettsiose ;
signes neurologiques : paludisme.
Une fièvre ou une éosinophilie d’origine peu claire chez un patient au retour de voyage peut justifier une radiographie thoracique, même en absence de symptomatologie respiratoire. Si les images radiologiques pathognomoniques sont rares, le cliché thoracique permet dans de nombreux cas de confirmer une pneumonie ou un asthme suspecté lors de l’examen physique. Le tableau 3 donne un diagnostic différentiel de formes cliniques et radiologiques fréquemment rencontrées.
Au niveau des examens de laboratoire, il faut surtout être attentif à un éventuel syndrome inflammatoire, qui parlera en faveur d’une affection bactérienne à germes typiques, ainsi qu’à une éosinophilie, qui orientera vers les helminthes et d’autres parasites à l’origine notamment du poumon éosinophile tropical. Au moindre doute, une sérologie VIH doit être demandée.
Des examens spécifiques aux différents germes, comme des examens directs, cultures d’expectorations, cultures sanguines ou de selles, ainsi que des sérologies ou PCR permettent enfin de confirmer ou d’exclure les agents causaux suspectés.
Dans certains cas, des examens plus poussés, voire invasifs sont nécessaires. Un scanner peut préciser une image radiologique peu claire, comme un syndrome interstitiel parfois à peine visible sur la radiographie standard, ou encore la densité liquidienne d’une image ronde dans l’hydatidose. Une bronchoscopie avec lavage broncho-alvéolaire peut être nécessaire, notamment en cas d’immunosuppression ou lors d’une forte suspicion de tuberculose. Une ponction pleurale ou une ponction-biopsie pulmonaire doivent parfois être envisagées.11
La liste des agents respiratoires tropicaux est longue. S’ils doivent être évoqués devant tout patient ayant séjourné dans des pays tropicaux, les pathologies les plus fréquemment retrouvées sont des affections cosmopolites telles que les atteintes des voies respiratoires supérieures, la grippe, les bronchites ou pneumonies dues à des germes classiques. Les affections parasitaires ou tropicales restent rares, mais doivent être systématiquement évoquées, voire recherchées, certaines étant grevées d’un pronostic sévère. C’est le cas du paludisme, de la mélioïdose, d’un abcès amibien hépatique rupturé dans la plèvre ou d’une anguillulose disséminée en cas d’immunosuppression. Une hyperéosinophilie chronique doit faire rechercher une filariose avec atteinte potentielle du poumon et du cœur.
Il est bon de se rappeler que des mesures préventives simples telles que les vaccins peuvent apporter une protection efficace. La consultation précédant le voyage permettra de proposer la vaccination contre la rougeole et contre la grippe pour les personnes de plus de 65 ans ou présentant une maladie chronique cardiovasculaire ou un diabète, particulièrement si une croisière est prévue. La vaccination contre le pneumocoque pour ces mêmes voyageurs est également recommandée. Enfin, des conseils de prévention des accidents thromboemboliques restent de saison.
> Les maladies respiratoires au retour d’un voyage sont fréquentes et le plus souvent de type cosmopolite, similaires à celles observées sous nos climats
> Selon la destination et les activités menées au cours du voyage, des pathologies tropicales sont à rechercher
> Ces dernières se manifestent le plus souvent dans les quinze jours qui suivent le voyage
> En plus de la radiographie du thorax, la recherche d’une éosinophilie et des sérologies spécifiques sont de mise
> Certaines affections peuvent rapidement devenir sévères : légionellose, mélioïdose, paludisme, amibiase
Les infections respiratoires sont une cause fréquente de pathologies du voyageur en termes de morbidité. Les affections tropicales sont relativement rares en comparaison des infections pulmonaires cosmopolites. En raison de leur potentielle gravité, elles doivent néanmoins être systématiquement évoquées. Le diagnostic différentiel des germes tropicaux étant large, il faut orienter le diagnostic par une anamnèse de voyage ciblée, permettant de détecter des facteurs de risque spécifiques et d’adapter le bilan biologique aux données épidémiologiques et géographiques. Si la radiographie pulmonaire est une aide importante dans ce contexte, d’autres examens complémentaires, comme les sérologies, sont parfois nécessaires avant de pouvoir poser un diagnostic clair.