Dans le cadre des douleurs pelviennes chroniques, l’endométriose est importante par sa fréquence et ses conséquences dans la vie d’une femme. C’est une affection qui touche de 3 à 10% des femmes en âge de procréer. Les manifestations cliniques sont des douleurs pelviennes chroniques, les dysménorrhées, les dyspareunies, les symptômes urinaires et digestifs, ainsi que l’infertilité. La symptomatologie est variée, l’examen clinique difficile à interpréter sans expérience. Ceci explique probablement les retards de diagnostic. Lenteur, multiplication des consultations, chirurgies complexes engendrent non seulement des souffrances physiques mais aussi psychologiques, avec des retentissements importants. C’est pourquoi il est important de reconnaître le plus rapidement possible l’endométriose dans le diagnostic différentiel des algies pelviennes chez la femme.
Les douleurs pelviennes chroniques (DPC) sont un motif fréquent de consultations médicales et gynécologiques. Parmi les causes des DPC, l’endométriose occupe une place importante en raison de sa fréquence, de l’intensité des symptômes et des implications potentiellement graves qu’elle peut entraîner dans la vie d’une femme. L’endométriose doit être systématiquement évoquée dans le diagnostic différentiel puisque sa prévalence dans les douleurs pelviennes chroniques est estimée à 33% et varie de 2 à 74% selon les groupes de femmes étudiés.1 Ces patientes ont souvent un parcours médical difficile, avec des présentations cliniques variées, expliquant probablement le délai moyen du diagnostic de 6,7 ans. Les souffrances endurées sont physiques mais également psychologiques. La chronicité de la maladie, les difficultés à concevoir aboutissent à une diminution significative de la qualité de vie ainsi qu’à une baisse de productivité au travail.2 Pour ces raisons, il est important de penser à l’endométriose dans le diagnostic différentiel des algies pelviennes chez la femme.
Dans les douleurs chroniques non cycliques, on peut évoquer l’origine adhérentielle dans le contexte d’un status postchirurgical ou annexite. Cette dernière est caractérisée par une mobilisation annexielle sensible, des leucorrhées et un syndrome inflammatoire généralisé. Le syndrome de congestion pelvienne correspond à une dilatation des veines para-utérines, et peut être accompagné par des douleurs permanentes ou cycliques et une dyspareunie postcoïtale.
Dans les douleurs cycliques, on évoque les fibromes utérins, responsables de DPC, hyperménorrhées et ménométrorragies. L’examen clinique révèle un utérus nodulaire, augmenté en taille, confirmé par échographie. L’adénomyose peut aussi générer des douleurs chroniques cycliques et une dyspareunie. A l’examen, l’utérus est globuleux, mou et douloureux. Une obstruction du col ou du vagin (anomalie anatomique ou postconisation) peut occasionner une dysménorrhée primaire.
Le premier diagnostic différentiel est le syndrome du côlon irritable, qui constitue 35% des DPC.3 Il se caractérise par des douleurs abdominales chroniques récidivantes, aggravées par le stress, des ballonnements abdominaux et une alternance de constipation et de diarrhées sans perte pondérale, associé à une coloscopie normale. Une autre cause de douleurs récidivantes peut être l’intolérance au lactose qui peut se manifester par des diarrhées, des douleurs abdominales avec flatulences après consommation de produits laitiers. Une maladie de Crohn ou une rectocolite hémorragique peut également mimer une endométriose. Une perte pondérale, des diarrhées sanguinolentes et un syndrome inflammatoire indiqueront une coloscopie avec biopsies qui posera le diagnostic. Des douleurs en fosse iliaque gauche, associées avec un syndrome inflammatoire, évoqueront une sigmoïdite. Mais un des diagnostics différentiels les plus fréquents en cas de DPC reste la constipation. Il est à évoquer en cas de douleurs abdominales diffuses, de ralentissement du transit, de laboratoire normal, de selles dures à la palpation abdominale et d’une ampoule remplie de selles au toucher rectal.
Une obstruction urétérale, par calcul, se manifeste par des douleurs typiques avec recherche incessante de position antalgique. L’examen urinaire montre des érythrocytes et le diagnostic repose sur l’échographie rénale et un uro-scan. Un diagnostic différentiel souvent oublié est celui de la cystite interstitielle qui constitue plus de 11% des douleurs pelviennes chroniques :4 les DPC sont associées à une pollakiurie nocturne et à une dysurie. Le diagnostic est confirmé par cystoscopie, qui montre un saignement muqueux après distension hydrique.
Ici, le diagnostic le plus fréquent est la fibromyalgie qui se caractérise par des douleurs et une fatigue chronique avec critères diagnostiques à l’examen. Le syndrome de piégeage vasculaire, plus connu sous le terme anglo-saxon de vascular entrapment, a été bien décrit par Possover : suite à une intervention gynécologique, le réseau veineux est redistribué et occasionne la compression de troncs nerveux.5 Il peut concerner les troncs du plexus sacré et se traduire par des algies dans les territoires correspondant aux compressions. Le syndrome du nerf honteux est dû à une compression du nerf au niveau du canal d’Alcock et/ou plus haut, entre les ligaments sacrotubéreux et sacrosciatiques. L’origine est traumatique (chirurgie, accouchement) ou idiopathique. Les névralgies sont très invalidantes, aggravées en position assise, absentes la nuit et associées à une dyspareunie profonde. La palpation du trajet nerveux douloureux est diagnostique ; le traitement relève du spécialiste.
Une dysménorrhée invalidante, une dyspareunie profonde ou superficielle ou une infertilité constitue un signe d’appel. Des «cystites», dont l’origine infectieuse n’a jamais été prouvée, des symptômes digestifs exacerbés pendant les règles et une anamnèse d’absentéisme seront également suggestifs d’une origine endométriosique. Un examen clinique de la sphère génitale bien conduit sera diagnostique dans plus de 90% des cas.
La variété des symptômes peut mimer d’autres pathologies pelviennes et expliquer la difficulté et le retard de diagnostic.6 Les maîtres symptômes sont des douleurs cycliques ou continues, la dysménorrhée, la dyspareunie profonde, la dyschésie et l’infertilité. Les douleurs n’ont pas de correspondance avec la gravité, mais avec la profondeur de l’atteinte.7 La dysménorrhée est invalidante (absentéisme au travail ou à l’école). La persistance des douleurs pendant la durée des règles est suggestive de la maladie. Une irradiation lombaire peut indiquer une atteinte des ligaments utéro-sacrés ou lombo-ovariens. Les règles ont tendance à être plus longues et plus rapprochées. La dyspareunie peut être profonde, permanente ou positionnelle. Ce symptôme est fortement suggestif d’une atteinte des ligaments utéro-sacrés et/ou postérieure profonde. Les douleurs sont pelviennes, mais aussi abdominales, cycliques ou pas, surtout en cas d’atteinte colique. Localisées, diffuses ou en crampe, elles peuvent les faire confondre avec un syndrome du côlon irritable.7 Des douleurs pendant des changements de position sont également observées lors d’une atteinte profonde postérieure.8 Une pollakiurie cyclique cataméniale, des urgences mictionnelles et des douleurs hypogastriques peuvent traduire une atteinte vésicale profonde.9 Ces symptômes sont également présents dans la cystite interstitielle qui peut y être associée. La dyschésie peut être retrouvée dans l’atteinte vaginale et rectale profonde mais n’est pas pathognomonique. Les mécanismes pour expliquer la subfertilité sont les distorsions anatomiques dues aux adhérences, les infiltrations, les endométriomes et la production de substances actives (prostaglandines, TNF, leucotriènes, etc.) sur la fonction ovarienne, la fertilisation et l’implantation. Parmi les autres symptômes, nous trouvons les saignements irréguliers, une fatigue chronique, des céphalées, des nausées et des vomissements.
L’examen clinique sera plus performant s’il a été préalablement orienté par une anamnèse minutieuse. Une inspection abdominale à la recherche d’éventuels signes (interventions, implants de paroi, nodule ombilical) et une palpation seront effectuées. L’examen au spéculum peut montrer des lésions bleuâtres, trahissant une infiltration vaginale.10 La palpation vaginale peut mettre en évidence des épaississements localisés ou des lésions nodulaires douloureuses sur les ligaments utérosacrés ou le fornix postérieur, plus rarement sur la partie antérieure (vessie). Les annexes peuvent être agrandies et fermes (endométriomes). Un utérus en rétroversoflexion (RVF) peut être le signe d’adhérences postérieures. Le toucher rectal permet d’évaluer le septum rectovaginal et le retentissement d’un nodule sur le rectum.11 Enfin, la période menstruelle augmente la sensibilité de l’examen.
Le taux de CA 125 peut être élevé en cas de maladie avancée. Sa sensibilité est basse et n’a pas de valeur diagnostique, mais peut être utilisée pour le suivi après un traitement chirurgical. L’échographie par voie vaginale ou rectale permet de dépister les endométriomes qui sont caractérisés par l’image d’un kyste uni ou multiloculaire d’aspect homogène, hypoéchogène. Elle permet également de visualiser les infiltrations nodulaires dans la vessie, dans les ligaments utérosacrés ou dans le septum rectovaginal, à partir d’une taille de 0,5 cm de diamètre. L’échographie endorectale évalue l’infiltration de la paroi digestive. La résonance magnétique permet de confirmer et de différencier les endométriomes des autres masses annexielles et est un excellent moyen pour visualiser des lésions profondes infiltrantes, après opacification vaginale ou rectale.12
La laparoscopie diagnostique est l’examen de choix pour établir un diagnostic définitif et une classification des lésions endométriosiques par contrôle visuel direct et biopsies. Les lésions péritonéales sont constituées par les lésions rouges, noires ou blanches (figure 1). Les lésions ovariennes profondes sont constituées par les endométriomes nommés aussi «kystes chocolat» à cause de leur contenu brunâtre.
L’endométriose profonde devra être reconnue et traitée sans délai pour arrêter son évolution. La laparoscopie diagnostique et opératoire devrait s’effectuer dans le même temps. Si l’opérateur n’est pas à même de pouvoir effectuer un traitement radical, il est préférable qu’il renonce et réfère la patiente à une équipe spécialisée, afin de ne pas générer des lésions cicatricielles supplémentaires qui pourraient rendre plus difficile un traitement complet. Celui-ci sera le plus radical possible, tout en étant conservateur des organes de la reproduction. A la lumière de l’étendue des lésions, une stratégie adaptée à chaque patiente sera proposée. Un traitement médical par agonistes du GnRH ou progestines sera indiqué et la patiente référée à un spécialiste en infertilité s’il y a désir de grossesse.
L’anamnèse est essentielle pour orienter l’examen clinique, qui indiquera les divers examens complémentaires à effectuer pour cerner au plus près la réalité de la maladie. Le diagnostic précis des lésions avant une intervention est très important pour prévoir le genre de chirurgie qui sera envisagé. Il est important de noter que les DPC peuvent souvent résulter de plusieurs causes associées (endométriose-côlon spastique, etc.) et rendre le traitement plus difficile.
Les données utilisées pour cette revue ont été identifiées par une recherche Medline des articles publiés en anglais ou en français depuis 1985 dans le domaine de la gynécologie. Les articles ont été inclus dans la liste des références s’ils présentaient une approche originale pour chacune des sections principales de la revue ou couvraient les sujets suivants : douleurs pelviennes chroniques chez la femme en âge de procréer, endométriose, prévalences de l’endométriose, du côlon spastique, de la cystite interstitielle, de la constipation dans les douleurs pelviennes chroniques. Un sous-ensemble de critères a été simultanément utilisé avec ces termes : pelvic congestion, vascular entrapment, guidelines for endometriosis.
> Les douleurs pelviennes chroniques (DPC) sont une cause fréquente de consultations gynécologique et de médecine générale
> Les causes principales de DPC sont l’endométriose, le côlon spastique, la constipation, la cystite interstitielle, les adhérences
> La cause la plus fréquente de DPC chez la femme est l’endométriose
> Les signes d’appel principaux de l’endométriose sont la dysménorrhée, la dyspareunie profonde et l’infertilité
> Il est important de poser le diagnostic d’endométriose rapidement afin de reconnaître, prévenir et traiter cette maladie potentiellement évolutive et destructrice
> L’endométriose profonde devrait être prise en charge par des chirurgiens-gynécologues entraînés à ce genre de chirurgie, au sein d’une équipe composée de chirurgiens digestifs et urologues, afin de limiter les taux de complications graves
In the context of chronic pelvic pain, endometriosis plays a significant role due to its frequency and its effects on the quality of women’s lives. It affects 3-10% of women of reproductive age. The clinical signs are part from chronic pelvic pain, dysmenorrhea, dyspareunia, urinary and digestive symptoms as well as infertility. The clinical signs and symptoms may vary and the clinical examination may be difficult to interpret for a physician who is not familiar with the condition. This explains the fact that it takes more time to make the diagnosis of endometriosis. Delay of diagnosis, multiple consultations and complex surgical procedures implicate physical and psychological suffering for the patient with serious complications. For all these reasons, the differential diagnosis of chronic pelvic pain in women should include endometriosis.