Depuis peu, la France s’est lancé un nouveau défi. Traduire dans sa loi un nouveau droit : permettre à deux personnes du même sexe de bénéficier du sacrement laïc du mariage. Et ce au nom de cette Egalité qui, sur ses frontons républicains, trône avec sa Liberté et sa Fraternité. Noble cause, gros tumultes. A l’heure où nous écrivons ces lignes, les députés peinent à examiner dans les délais le projet de loi gouvernemental sur le «mariage pour tous» (sic). La droite fait obstacle au moyen de quelques milliers d’amendements. Et la gauche socialiste s’entre-déchire. Il y a celles et ceux qui veulent associer à la promesse du droit à l’insémination artificielle avec donneur (IAD) pour les futurs couples de femmes un droit à la maternité de substitution (GPA) pour les futurs couples d’hommes. Et il y a ceux et celles qui ne le veulent pas.
S’entre-déchirer n’est en rien une formulation excessive. En d’autres temps, du sang coulerait sur les murs ou le pré. Car, sous la même bannière socialiste, nous avons affaire à deux philosophies radicalement étrangères. Elles diffèrent pour l’essentiel par la conception de ce que l’être humain peut ou non faire de son corps. Avons-nous le droit d’en disposer sous toutes les coutures ? Y compris pour de l’argent ? Ne sommes-nous pas, au contraire, les usufruitiers d’une enveloppe charnelle, une enveloppe investie d’une conscience plus ou moins éclairée ? Et ce, pour un temps variable mais qui nous est compté. Et compté par qui ? On voit qu’il ne s’agit pas ici d’une mince affaire. A fortiori pour un parti politique.
La France s’est inventé ce nouveau défi et elle rame. Les élus du peuple cabotent dans un brouillard épais en quête du port de Raison garder et des plages de l’Equité raisonnable. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le Premier ministre français vient, si l’on ose dire, de botter en touche. S’exprimant à mille lieues de Paris, en voyage dans cet Orient qui n’est jamais très simple, il a fait savoir que l’on reprendrait la copie plus tard. Vers la fin de l’année. Les partisans de tous ces nouveaux droits pariaient sur le printemps, évidemment. Las, ce sera l’automne. Pour ne pas dire l’hiver et le cimetière des grandes et bonnes idées sous la lune. A commencer par ce droit à la GPA qui tracasse tant et tant l’actuel exécutif tricolore.
Comment un gouvernement français (socialiste) peut-il calmer les foules militantes des deux camps ennemis ? Une solution peu onéreuse consiste à demander un avis éclairé aux «sages» du Comité national français d’éthique (CCNE). Il s’agit là d’une institution consultative dont on célébrera en mars prochain le trentenaire. Elle a rendu plus d’une centaine d’avis mais semble n’avoir encore guère servi dans la «vraie vie». Ce même CCNE vient d’être saisi par le président de la République sur la question du suicide plus ou moins assisté. Le même président de la République vient de nommer un nouveau président de ce comité.1 Nul ne sait ce qu’il en résultera sur la GPA. Il n’est toutefois pas sans intérêt d’observer que ce même CCNE a déjà planché sur ce sujet. Son avis2 est numéroté 110. Il est daté du 1er avril 2010.
Les «sages» s’étaient alors clairement prononcés. Leur conclusion : «Finalement, à l’issue d’une réflexion riche et collégiale, (…) pour la grande majorité des membres du CCNE l’ensemble des arguments favorables au maintien de la législation en vigueur l’emportent sur ceux qui sont favorables à la légalisation de ce procédé de PMA, même de manière strictement limitée et contrôlée.»
Où l’on comprend que des oppositions étaient apparues en leur sein. Sept des quarante membres avaient ainsi tenu à exprimer une opinion dissidente. On connaît généralement les arguments contre les «mères porteuses», la «location d’utérus» ou la «maternité de substitution». Les opposants y voient une nouvelle forme «démocratique» d’esclavage, une dangereuse régression vers la marchandisation du vivant humain, le loup du lucre dans la bergerie de cette solidarité biologique incarnée que sont certains fragments de corps fraternellement utilisés à des fins thérapeutiques.
Dans ce contexte, il n’est pas inintéressant d’écouter la voix des dissidents.a Avec ces extraits de leur note jointe en annexe de l’avis : «Les signataires de cette note annexe ont largement participé et adhéré à la réflexion éthique développée dans le présent avis. Ils sont conscients des risques et des excès pouvant résulter de l’instauration non encadrée d’une telle pratique médicale. Cependant, ils sont particulièrement sensibles au drame humain que représente pour certains couples le fait de pouvoir obtenir des embryons avec leurs propres gamètes, sans avoir la possibilité de faire mener par la mère "d’intention" la grossesse à son terme, faute d’utérus.
Dans cette situation, en cas de GPA, l’embryon qui se développe dans l’utérus de la femme qui a fait don de sa capacité gestatrice est issu des deux gamètes des "parents d’intention" dont la volonté d’élever un enfant auquel les unissent des liens génétiques forts a été clairement exprimée. Il n’est certes pas question d’accorder une place excessive à de tels liens (dont l’absence permet dans de si nombreux cas de conduire à un épanouissement harmonieux des enfants qui n’en sont pas issus), mais il nous paraît légitime, au sein des multiples facettes de la procréation médicalement assistée, de laisser une porte ouverte à une telle procédure.
Il nous apparaît, de plus, que le maintien de la prohibition et ses conséquences sur l’établissement de la filiation juridique, vont à l’encontre de l’intérêt supérieur de tous les enfants qui continueront de naître grâce à une GPA pratiquée dans des pays où elle n’est pas illégale et où les couples français qui en ont les moyens continueront de se rendre.
Nous exprimons le vœu que la GPA, strictement encadrée de façon à préserver la dignité et la sécurité de tous les protagonistes impliqués, soit prévue, à titre dérogatoire, dans la loi, à l’occasion de sa future révision. Nous souhaitons aussi qu’une telle mesure dérogatoire soit nécessairement accompagnée d’une étude prospective permettant d’en évaluer les conséquences.» On observera qu’il est peu fait état, ici, des «porteuses». Ces femmes qui «font don de leur capacité gestatrice». Don ou prêt ?
Les salles obscures du Vieux Continent proposent ces temps-ci une histoire romancée d’Abraham Lincoln.3 Une opportunité pour rappeler une méchante vérité : des esclaves peuvent ne pas être malheureux et la servitude être volontaire. Cela peut valoir pour les champs de coton comme pour la GPA.