L’assistance circulatoire chronique est un domaine en constante évolution au gré des percées technologiques et de l’accumulation de l’expérience mondiale. La discussion des indications est facilitée par des concepts, stratégies et classifications spécifiques. Au vu de l’amélioration drastique et bien documentée des résultats avec la dernière génération de dispositifs, l’évolution se fait vers une implantation plus précoce, nécessitant un suivi attentif pour ne pas manquer la meilleure opportunité dans l’évolution naturelle de la maladie. Sous assistance, la physiologie circulatoire est unique et dépendante de l’état d’hydratation. Enfin, la prise en charge de la phase préimplantatoire à la phase chronique requiert une approche multidisciplinaire, indispensable à l’obtention de bons résultats et rappelant le domaine de la transplantation.
Depuis la pose du premier dispositif d’assistance circulatoire par le Dr Liotta en 1963 à Houston,1 concrétisant ainsi les travaux de recherche du laboratoire du Dr De Bakey, bien des progrès ont été réalisés. Au début des années 70 devinrent évidentes les limitations de la transplantation cardiaque, intervention alors faisable techniquement et sur laquelle s’étaient forgés beaucoup d’espoirs depuis la première par le Dr Barnard en 1967, tandis que les patients décédaient rapidement au vu des lacunes du traitement immunosuppresseur de l’époque. La recherche pour le développement de moyens mécaniques de soutien de la circulation a alors été stimulée, avec l’apport du NHLBI (National Heart, Lung, and Blood Institute) aux Etats-Unis, programme qui allait aboutir après 25 ans à la publication de la première étude randomisée dans l’utilisation d’assistance circulatoire au long cours, l’étude REMATCH.2 Cette étude démontra la supériorité de l’assistance circulatoire chronique sur le traitement médical chez des patients extrêmement gravement atteints, comme en témoigne une survie de 25% à un an dans le groupe traité médicalement. Entre-temps, les technologies ont progressé en parallèle de l’important développement de la transplantation cardiaque suite à l’utilisation de la ciclosporine, puis des autres immunosuppresseurs modernes. L’assistance circulatoire est alors devenue pour nombre de patients un moyen de survivre jusqu’à la transplantation. Avec l’allongement des temps d’attente dû à la pénurie d’organes, l’assistance reprend actuellement une importance croissante dans les efforts de développement. La diffusion et les résultats de ces techniques ont considérablement progressé depuis le temps des pionniers, non seulement en quantité mais en qualité de vie, justifiant que chaque praticien en ait conscience pour le bien de ses patients, et non plus seulement par intérêt pour cette formidable aventure technologique et médicale.
Le rêve du cœur artificiel complet (total artificial heart, TAH), c’est-à-dire implanté en remplacement du cœur natif, pose d’importants problèmes restant mal résolus à l’heure actuelle, aboutissant à une diffusion limitée (2% des implants dans le registre INTERMACS – Interagency Registry for Mechanically Assisted Circulatory Support) et des résultats clairement en deçà de ceux des dispositifs d’assistance préservant le cœur natif.3 Ils sont actuellement généralement réservés aux rares patients chez lesquels le cœur ne peut être préservé, comme en cas de tumeur maligne cardiaque, et ne seront pas détaillés ici.
Les stratégies d’utilisation de l’assistance circulatoire chronique sont résumées dans le tableau 1. Les résultats sont généralement meilleurs dans l’indication de pont à la transplantation (BTT) que de destination therapy (DT), car les populations de patients diffèrent. En effet, les patients de DT présentent en plus de leur maladie cardiaque une contre-indication à la transplantation, telle que l’âge ou des comorbidités. Actuellement, en Suisse, la seule indication de prise en charge par l’assurance-maladie est le BTT, rendant anecdotiques les cas de DT et de pont à l’éligibilité. Certains patients sont cependant implantés comme BTT, puis développent une complication les rendant inéligibles, ou alors refusent finalement d’être transplantés, devenant ainsi DT. Même si elles sont pour l’instant statiques du point de vue administratif, ces stratégies sont dynamiques du point de vue clinique, et devraient s’évaluer pour une situation donnée à un moment donné.
Il a été très difficile de dériver des données standardisées des registres d’assistance circulatoire et des essais cliniques en l’absence de classification adaptée des patients. C’est pour cette raison qu’est née la classification fonctionnelle INTERMACS, qui va au-delà de la classification fonctionnelle de la NYHA (New York Heart Association) dans l’insuffisance cardiaque. Cela a été une avancée majeure pour l’accumulation de preuves scientifiques et la formulation de recommandations. Cette classification est présentée dans le tableau 2.
Très longtemps, les ingénieurs se sont cantonnés à essayer de reproduire le fonctionnement du cœur, basant leurs systèmes sur une chambre ventriculaire comprimée à chaque cycle par un mécanisme pneumatique puis électrique, le contenu de la chambre étant propulsé dans la bonne direction grâce à des valves d’entrée et de sortie. Ces systèmes ont néanmoins comme clair désavantage une importante complexité mécanique, et ce faisant une mauvaise fiabilité,2 ainsi qu’une taille rendant difficile leur implantation. Les pompes actuelles se sont affranchies de ce concept, utilisant une turbine et accélérant le sang de façon continue (continuous-flow VAD, cf VAD). Il en résulte que le débit est continu, parfois faiblement pulsatile, et que les patients n’ont habituellement pas de pouls palpable. La tension artérielle différentielle est typiquement extrêmement réduite, rendant sa détection par méthode standard difficile et peu fiable. Les deux dispositifs dominant actuellement le marché sont présentés dans le tableau 3 et les figures 1 à 3. La pompe est intracorporelle, entre le cœur et le diaphragme, avec un conduit d’entrée implanté au niveau de l’apex du ventricule gauche, puis un conduit prothétique de sortie contournant la face antérieure du cœur et remontant dans le médiastin jusqu’à son anastomose termino-latérale sur l’aorte ascendante. Le débit gauche peut être délivré exclusivement au travers de l’assistance, au tel cas la valve aortique reste fermée, ou selon le jeu des pressions partiellement au travers de la valve aortique, ce qui peut être un signe de récupération cardiaque. La seule connexion avec l’extérieur est un câble ou driveline tunnelisé jusqu’au niveau de l’abdomen, dont le principal rôle est l’alimentation électrique de la turbine. Ce câble est connecté à un contrôleur externe lui-même raccordé à deux batteries, ce qui permet leur échange séquentiel. L’autonomie du système sur batteries est typiquement de l’ordre de douze heures, permettant aux patients de rester autonomes pour de longues périodes en utilisant deux jeux de batteries et un chargeur.
Les dispositifs implantables sont clairement supérieurs aux plus anciens dispositifs paracorporels en termes de qualité de vie et de complications. Néanmoins, à l’heure actuelle, seuls les dispositifs paracorporels sont validés pour l’assistance ventriculaire droite de longue durée. Dès lors, en cas d’insuffisance cardiaque droite importante, l’utilisation d’un cfVAD ne permet pas de résoudre la situation clinique. La défaillance droite périopératoire est une complication redoutable et difficile à prédire malgré l’apparition de nombreux scores préopératoires ces dernières années. Elle survient dans 13 à 20% des cas, et requiert une assistance droite mécanique dans 3 à 4% des cas.4-6
Chez le petit enfant, la taille des dispositifs peut rendre impossible leur implantation. Dès lors, un système paracorporel de génération précédente est utilisé. Ce système à l’avantage de pouvoir être décliné en version uni ou biventriculaire, avec des ventricules dont la capacité est adaptée à la taille de l’enfant.7
Les autres limitations sont les complications thromboemboliques, justifiant une anticoagulation thérapeutique effectuée à ce jour en phase chronique par antivitamine K. Les complications hémorragiques, typiquement sous la forme d’épistaxis ou d’hémorragies digestives, sont favorisées par trois phénomènes : l’anticoagulation, la dysfonction plaquettaire causée par un syndrome de von Willebrand acquis par stress mécanique, et le développement au long cours d’anomalies artérioveineuses de la circulation capillaire attribuées à la faible pulsatilité du débit. Il existe un risque infectieux lié au câble percutané (driveline), justifiant que le patient change son pansement habituellement tous les deux jours. Enfin, il doit être capable de manipuler l’appareil, qu’il connaît dans la majorité des cas mieux que les équipes de premiers secours.
Les cfVAD ont un débit qui dépend des réglages de l’assistance (vitesse de révolution de la turbine) et de la pression différentielle entre le ventricule gauche et l’aorte. Il en résulte qu’ils sont non seulement dépendants de la précharge comme les pompes pulsatiles, mais également de la postcharge. Ceci est un avantage considérable pour l’autorégulation du débit chez un patient dont le niveau d’activité change et laisse présager d’un bel avenir pour ces pompes lorsqu’elles seront implantées de façon biventriculaire, réglant de façon quasi physiologique les complexes interactions entre le cœur gauche et le cœur droit.8 La conséquence pour la pratique quotidienne de ces propriétés est cependant un équilibre reposant sur un bon état de remplissage du patient. Il faudra donc être particulièrement attentif à toute situation pouvant entraîner une déplétion volémique intravasculaire, les plus fréquentes au suivi étant la déshydratation dans un contexte de gastro-entérite ou de manque d’apport en saison chaude. Un des mécanismes impliqués lorsque la cavité ventriculaire gauche est trop peu remplie est la survenue de salves de tachycardie ventriculaire par contact direct avec la partie endocavitaire du conduit apical d’entrée. Ces arythmies diminuent le débit ventriculaire droit, non assisté, et perpétuent ainsi la baisse de la précharge gauche, pouvant mener rapidement à la syncope malgré les mécanismes de sécurité intégrés aux cfVAD. Tout cela est réversible par simple réhydratation.
Les résultats des principales études sont repris dans le tableau 3. Des périodes d’assistance supérieures à huit ans ont été décrites, même si ces cas restent rares. Un paramètre mal reflété par les simples chiffres de survie est celui de la qualité de vie. Ainsi, dans l’essai clinique sur le Heartmate II en DT, 80% des patients survivant après deux ans sont en classe NYHA I ou II. Il n’est pas exceptionnel de voir de jeunes patients endommager leur contrôleur à l’occasion d’une chute lors de la pratique d’un sport.
Au vu des bons résultats obtenus, les recommandations 2012 de l’European Society of Cardiology ont redéfini la place de l’assistance ventriculaire.9 Elles sont reprises dans le tableau 4. L’indication est posée dans le centre spécialisé, mais il est important de constater que les meilleurs résultats sont obtenus chez les patients en classe INTERMACS 3, 4 et 5, et non les classes 1 et 2 correspondant à des catastrophes hémodynamiques et requérant, habituellement dans un premier temps, la pose d’une assistance circulatoire provisoire en pont à l’assistance de longue durée (bridge to bridge).3 Le suivi des patients insuffisants cardiaques chroniques sévères en collaboration avec un centre spécialisé permet de ne pas rater la fenêtre dans laquelle le patient bénéficie le plus d’une assistance circulatoire chronique, avant d’arriver dans la phase la plus critique.11
Une approche multidisciplinaire de ces cas est importante dans la discussion de l’indication, l’optimisation préopératoire, l’implantation, l’enseignement au patient et le suivi chronique.10 Les spécificités de ces patients rendent les résultats dépendants d’une organisation qui n’est pas sans rappeler celle de la transplantation d’organes. Les grands centres sont ainsi pourvus à titre d’exemple de postes de coordinateurs assistance, analogues à ceux de coordinateurs de transplantation.
Les cfVAD apportent de nouveaux standards thérapeutiques pour les insuffisants cardiaques terminaux, car ils offrent désormais une qualité de vie compatible avec une utilisation prolongée sans projet de transplantation. Ils permettent également le pont à la transplantation dans de bien meilleures conditions malgré l’allongement des temps d’attente, dépassant régulièrement les deux ans en Suisse. Ces prochaines années devraient voir l’avènement des cas de DT déjà fréquents aux Etats-Unis, l’utilisation biventriculaire de ce type de dispositifs,12 le développement progressif d’infrastructures spécialisées de prise en charge, ainsi que la tenue du débat éthique et de justice distributive que suscitent ces techniques. Somme toute, un grand programme.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec cet article.
> Les cas d’assistance circulatoire chronique hors périmètre hospitalier sont encore rares en Suisse, mais désormais une réalité quotidienne qui est amenée à s’étendre pour les milieux spécialisés. Les services de cardiologie du CHUV et des HUG collaborent étroitement dans la discussion des indications et dans le suivi des assistances circulatoires chroniques dans le cadre du réseau romand de transplantation
> Pour les médecins de premier recours et les cardiologues, il est important de suivre les patients insuffisants cardiaques sévères en collaboration avec un centre spécialisé, afin de repérer la fenêtre optimale pour l’implantation d’une assistance circulatoire dans l’évolution de la maladie
> L’absence de pouls chez les patients équipés de ce type d’assistance est normale
> Ces patients sont très sensibles à la déshydratation, dont les conséquences hémodynamiques peuvent être majeures, et facilement réversibles par réhydratation avant toute mesure complexe
> En Suisse, pour l’instant, seule l’indication de pont à la transplantation bénéficie d’une prise en charge assécurologique
L’assistance circulatoire chronique est un domaine en constante évolution au gré des percées technologiques et de l’accumulation de l’expérience mondiale. La discussion des indications est facilitée par des concepts, stratégies et classifications spécifiques. Au vu de l’amélioration drastique et bien documentée des résultats avec la dernière génération de dispositifs, l’évolution se fait vers une implantation plus précoce, nécessitant un suivi attentif pour ne pas manquer la meilleure opportunité dans l’évolution naturelle de la maladie. Sous assistance, la physiologie circulatoire est unique et dépendante de l’état d’hydratation. Enfin, la prise en charge de la phase préimplantatoire à la phase chronique requiert une approche multidisciplinaire, indispensable à l’obtention de bons résultats et rappelant le domaine de la transplantation.