Fin mars 2014, l’OMS «notifiait» l’existence d’une épidémie d’Ebola dans les forêts de Guinée, capitale Conakry, Afrique de l’Ouest. Une position jugée alarmiste par l’OMS qui indiquait aussitôt que la dynamique virale ne différait pas de celle des épidémies antérieures. Un an plus tard, on sait (approximativement) ce qu’il en est. Officiellement, environ 25 000 cas et 10 000 morts. Et, en ce début d’avril 2015, personne, dans les étages sanitaires onusiens, ne se hasarde plus à fixer une date précise pour l’éradication du virus de cette fièvre hémorragique dans cette région occidentale du continent africain – où il n’avait encore jamais été identifié. Pour autant, il n’est pas trop tard pour commencer à faire la lumière sur les responsabilités institutionnelles – non pas dans l’émergence du virus mais bien dans les retards décisionnels qui ont conduit à sa rapide puis incontrôlable progression. Acteur principal de la lutte, l’association Médecins sans frontières s’y emploie aujourd’hui en publiant un rapport passionnant sur son action contre l’épidémie.
«C’est un rapport qui fait un bilan des actions déployées, en revenant sur l’inefficacité première de la communauté internationale, précise-t-on chez MSF. Il aborde aussi un certain nombre de questions que nous nous sommes posés en interne – et ce au-delà du "MSF dénonce" habituel…». Traitant de ce rapport, la BBC évoque une «coalition de l’inaction» et revient, elle aussi, sur les différentes critiques qui ont été formulées ces derniers mois à l’encontre de l’OMS notamment – OMS qui, depuis son quartier général cristallin de Genève s’était (peu glorieusement) défaussée sur ses lointains généraux africains.
Trois mois entre le premier décès suspect, en décembre 2013, et une notification administrative sans mobilisation immédiate…. «Nous étions bien conscients que quelque chose de différent se passait en mars et en avril 2014 et nous avons tenté d’attirer l’attention de l’OMS mais aussi des gouvernements des pays concernés, a déclaré à la BBC Henry Gray, coordinateur d’urgence MSF. Bien évidemment, il était frustrant de constater que nous n’étions pas entendu, ce qui a probablement conduit à l’ampleur de l’épidémie que nous voyons aujourd’hui.»
«De manière rétrospective, il apparaît maintenant évident que la période de décembre à mars a été essentielle pour ce qui est de la diffusion du virus en plusieurs endroits de Guinée orientale puis sur la capitale Conakry» a estimé pour sa part le Dr Derek Gatherer (Université de Lancaster).
«S’ils avaient pris avec sérieux nos revendications depuis le début nous aurions pu éviter certains décès» dit-on auprès de l’association, où l’on accuse l’OMS d’avoir réagi seulement «quand Ebola est devenu une menace pour la sécurité internationale». Les pays occidentaux, déplore MSF, ne se sont décidés à agir que lorsqu’ils ont eu peur qu’Ebola ne menace directement leurs populations et leurs intérêts. Faut-il, ici, s’étonner ? «L’OMS aurait dû combattre le virus, pas MSF», résume Christopher Stokes, directeur général de I’ONG. De fait, on ne tire pas, généralement, sur ses alliés. Sur ce point le quartier général de l’OMS se tait.
Ce n’est que le 8 août que l’OMS a décrété une «urgence de santé publique mondiale» et a demandé une «réponse internationale coordonnée». «A ce moment-là, plus d’un millier de personnes étaient déjà mortes» rappelle MSF. Bien des questions, dès lors, se doivent d’être soulevées. Alertés dès le premier trimestre, les médias d’information générale (africains, européens, américains) auraient-ils pu précocement (en mobilisant l’opinion) débloquer les rouages onusiens et gouvernementaux, antiques et grippés ? C’est là, désormais, une question pour école de journalisme et communicants de crise en formation continue.
Contre Ebola, MSF a mis en œuvre des moyens colossaux à l’échelle d’une ONG : plus de mille trois cents expatriés et quatre mille employés locaux, formation d’un millier de volontaires, création de plusieurs centres de traitement. Un combat qui n’a pas été sans choix traumatisants pour les combattants. «Nous ne pouvions offrir que des soins palliatifs très basiques et il y avait tellement de patients et si peu de personnel que le personnel n’avait en moyenne qu’une minute par patient. C’était une horreur indescriptible», décrit une humanitaire citée dans ce rapport. On la croit sur parole.
Aujourd’hui, plus de deux mille cinq cents patients de MSF sont morts. «Même dans la plupart des zones de guerre, perdre autant de patients en si peu de temps, c’est du jamais vu, souligne le rapport. Le personnel médical n’était pas préparé à faire face à une situation où au moins 50% de leurs patients meurent d’une maladie pour laquelle il n’existe aucun traitement.» MSF ne répondant pas aux règles militaires il fallut aussi compter avec les violentes autocritiques, certains évoquant une «forme institutionnalisée de non-assistance à personnes en danger de mort». «Il y avait de larges marges d’amélioration. Dans beaucoup d’endroits, il était possible de faire des réhydratations, des antibiothérapies, qui auraient permis de sauver un certain nombre de patients» dira Rony Brauman, ancien président de MSF, aujourd’hui enseignant à Sciences Po (Paris). D’autres, revenus du terrain africain, reconnaissent qu’ils auraient peut-être pu utiliser plus de traitements expérimentaux à titre compassionnel, effectuer plus d’analyses biologiques pour mieux connaître la maladie, tenter plus de réanimations. Qui pourrait en vouloir à ces jeunes anciens combattants ?
Chez MSF, vingt-huit membres ont été contaminés et quatorze sont morts, tous employés localement. «Il y avait globalement peu de gens expérimentés sur Ebola, souligne le médecin Hilde De Clerck, spécialiste des fièvres hémorragiques à MSF Belgique. A un certain moment, nous avons atteint nos limites.» Il fallut aussi compter avec le fait (en Guinée et Sierra Leone notamment) que les autorités nationales ont tenté de minimiser l’épidémie.
Réagissant aux critiques de MSF, l’OMS use de son éternelle langue de bois. Elle affirme s’être mobilisée «depuis le début à tous les niveaux». C’est à peine si elle reconnaît que sa réponse à l’épidémie a été lente et insuffisante. Il se murmure qu’un comité «indépendant» chargé d’examiner la réponse de l’OMS présentera ses «premières conclusions» lors de la prochaine Assemblée mondiale de la santé qui se tiendra du 18 au 26 mai 2015 au Palais des Nations à Genève.
… il était frustrant de constater que nous n’étions pas entendu, ce qui a probablement conduit à l’ampleur de l’épidémie …
On pourra alors actualiser la situation africaine. Pour l’heure, tous les indicateurs montrent que la chaîne de contamination n’y est toujours pas maîtrisée et l’OMS continue de comptabiliser les décès. Chacun sait que tous les cas ne sont pas tous rapportés et que des obsèques continuent d’être célébrées sans les précautions qui permettraient de prévenir des contaminations ultérieures. «Pour l’heure, l’épidémie continue de battre son plein sur la zone frontalière Guinée/Sierra Leone, indique MSF. La phase actuelle n’est plus à la construction de grands centres de traitement (la plupart sont vides) mais à développer des approches rapides et pragmatiques pour juguler les foyers épidémiques là où ils se trouvent (mini-centre de traitement + contact tracing + case finding).»
Le responsable de la mission Ebola pour les Nations unies vient de déclarer à la BBC que l’éradication pourrait être une chose acquise en août prochain – ce dont tout le monde doute sur le terrain. Endeuillés par Ebola, les trois pays touchés souffrent des déstabilisations sociales, économiques et politiques engendrées par l’épidémie. Les hôpitaux sont surchargés, les systèmes de santé (déjà défaillants avant l’épidémie) sont asphyxiés. Il faut compter avec la défiance des populations et des taux de vaccination effondrés. La rougeole, mortelle en terre africaine, menace à son tour.
Il est fort peu probable que l’on parle ouvertement de tout cela, en mai prochain au Palais des Nations. Personne n’évoquera non plus, alors, les comparaisons que l’on pourrait (dès maintenant) faire entre la réaction de l’OMS vis-à-vis d’Ebola et celle vis-à-vis d’une épidémie qui n’avait pas encore pris le nom de sida. Le temps viendra où cette comparaison se fera.