La prévalence des traitements de longue durée par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) est en forte augmentation. Leur efficacité est prouvée et leur tolérance à court terme semble bonne. Cependant, il y a lieu de s’interroger sur d’éventuels effets indésirables lors d’administration prolongée. Nous proposons de tenter de faire le point sur les problèmes associés à l’usage des IPP.
«Si un médicament n’a pas d’effet secondaire, c’est qu’il n’a pas d’effet primaire.
Il est illusoire de croire qu’un médicament efficace n’a pas d’effets secondaires»
(Georges Peters (1920-2006),Pr de pharmacologie, FBM Lausanne).
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont devenus d’usage courant, trop souvent utilisés inutilement.1,2 Ils sont la troisième famille de substances la plus prescrite aux Etats-Unis, générant un bénéfice annuel se chiffrant en dizaines de milliards de US$ (US News World Report 2009).3,4 La consommation d’IPP est en constante augmentation.5 En France, la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS) décrit une consommation de 19 comprimés/personne/an en 2005 qui a passé à 23 comprimés/personne/an en 2007 (Réévaluation des IPP, 2009).
De ce fait, ils grèvent les budgets de la santé, des services hospitaliers et des patients. Une étude a recensé les prescriptions médicales les plus fréquentes dans les hôpitaux suisses. Les IPP arrivent en quatrième position après les solutés, le paracétamol et les opiacés. Cependant, seuls 14% des patients recevaient des IPP pour une indication validée, tandis que 66% en recevaient pour des raisons «prophylactiques» non validées.6 En France, 60% de la prescription totale des IPP est faite hors autorisation de mise sur le marché (AMM) selon la Commission de la transparence de la HAS, (Réévaluation des IPP, 2009) qui précise : «Trois situations ont d’ores et déjà été identifiées comme sources de mésusage : 1) les coprescriptions IPP/AINS dans le cadre de pathologies non chroniques chez des patients non à risque ; 2) les symptômes ORL traités de façon empirique comme symptômes extra-œsophagiens du reflux gastro-œsophagien (RGO) et 3) la prévention des lésions hémorragiques digestives hautes chez les patients hospitalisés en unité de soins intensifs.»
Les IPP sont actuellement admis dans la plupart des pays pour le traitement des œsophagites érosives et de la maladie de reflux, pour les états hypersécrétoires, pour l’ulcère peptique et pour l’éradication d’Helicobacter pylori,5,7 y compris chez l’enfant.8,9 Le traitement d’IPP adéquat permet la guérison de l’œsophagite de reflux, améliore la mobilité de l’œsophage distal et renforce le tonus du sphincter œsophagien distal, ce qui est bénéfique pour la symptomatologie du reflux.8,9 Il pourrait également diminuer le reflux de façon indirecte par diminution du volume de sécrétion gastrique et par la guérison de l’œsophagite, améliorant de ce fait la clairance de l’œsophage. Il n’y a pas d’indication prophylactique aux IPP, sauf chez certains patients à risque (antécédents d’ulcère hémorragique).9,10 Ainsi, des études prospectives comparatives et une méta-analyse n’ont pas démontré de réduction des saignements gastriques postopératoires, que ce soit avec les IPP ou les pansements gastriques (sucralfate).10
Quelques articles évoquent un usage limité aux soins intensifs dans la prévention de l’ulcère de stress11 et comme thérapie complémentaire dans les sepsis.12
Il existe quelques indications très spécifiques, comme par exemple la diminution des sécrétions gastriques dans le cadre d’un intestin court, mais ces usages particuliers ne seront pas discutés ici.
L’oméprazole original (Antramups, Mopral) se présente sous forme de comprimés composés d’un agglomérat de microgranules gastrorésistants ou sous forme de microgranules libres dans une capsule ingérable. Il ne faut pas écraser les comprimés ou les microgranules gastroprotégés, car l’oméprazole se dégrade alors en milieu acide. Les génériques, disponibles depuis août 2003, sont moins chers que la spécialité. Il existe également une forme liquide qui doit être préparée en pharmacie dans une solution de bicarbonate de sodium à 8,4%, très utile pour l’alimentation par sonde. Cette solution est stable quatorze jours à température ambiante et 45 jours au réfrigérateur à 5°C. Etant donné la présence de bicarbonate dans la préparation, il est recommandé d’administrer la suspension liquide d’oméprazole isolément, si possible à une heure d’intervalle avec d’autres médicaments.2,13,14 Par contre, il est vivement déconseillé de la prescrire per os, car le pH alcalin la rend imbuvable.
Le brevet de l’oméprazole étant arrivé à expiration, la compagnie pharmaceutique a commercialisé son énantiomère S, l’ésoméprazole (Nexium, Inexium), (chiral switching), en le présentant comme un nouveau produit et en prétendant que son activité était supérieure et sa toxicité moindre. Le Nexium est enregistré depuis 2008 pour les enfants de 1 à 12 ans mais aucun avantage significatif par rapport à l’oméprazole n’a été démontré par l’ensemble des études indépendantes chez les enfants et les adultes.15 Par contre, la biodisponibilité de l’ésoméprazole est une fois et demie supérieure au racémate, de sorte que les doses d’ésoméprazole devraient être inférieures ou au plus équivalentes à celles de l’oméprazole, alors que la firme recommande des posologies doubles.9,15 Nous recommandons d’utiliser le même dosage pour l’oméprazole et l’ésoméprazole.2 Enfin, en prix public, le Nexium est plus cher que les génériques. L’avantage galénique de l’ésoméprazole est sa présentation sous forme de poudre en sachets qui peut être dissoute. Il est donc utile pour les petits enfants et pour un usage par sonde.
Les effets indésirables des IPP les plus fréquemment rapportés sont les diarrhées, les nausées et vomissements, les douleurs abdominales et les maux de tête. Ils touchent moins de 5% des patients traités par IPP et disparaissent rapidement à l’arrêt du traitement.4,16,17
Certains effets à moyen terme sont à présent bien connus. Il s’agit de l’effet rebond et de la dépendance induite par les IPP.
Un effet rebond a été décrit par Gillen dès 1999,18,19 puis par d’autres.20,21 Gillen rapportait une augmentation de 50% de la sécrétion acide chez neuf patients, quatorze jours après l’arrêt d’un traitement de trois mois par oméprazole (40 mg/jour). En 2009, un essai randomisé en double aveugle (IPP vs placebo) chez 120 volontaires sains asymptomatiques a confirmé un effet rebond après huit semaines d’un traitement par ésoméprazole (40 mg/jour) : 44% des sujets ayant reçu la substance active présentaient les symptômes d’un effet rebond, contre 10% dans le groupe témoin.20 A l’arrêt d’un traitement d’IPP de huit semaines, on observe une hyperacidité supérieure à celle qui précédait le traitement. Les études sur des volontaires sains ont de quoi nous rendre perplexes. Elles montrent que chez des patients qui n’ont aucun symptôme de reflux et que l’on traite quatre à huit semaines avec des IPP, on crée un besoin de poursuivre le traitement. A l’arrêt de l’étude, les patients ont une hypersécrétion qui les incite à continuer la prise d’IPP.20,22,23
Cependant, des articles contestent l’existence de l’effet rebond, arguant que l’effet décrit n’est pas identique à l’effet initial et que les populations étudiées ne sont pas homogènes, en particulier dans les études qui mélangent patients avec symptômes de reflux et volontaires sains. Ils contestent en outre leur validité, parce que certains des patients sains qui avaient reçu des placebos ont éprouvé des symptômes de reflux à l’arrêt du «traitement». Enfin, les résultats de ces études ne seraient pas statistiquement significatifs.24
L’innocuité des IPP à long terme n’est pas démontrée. A contrario, de plus en plus d’études font état d’effets secondaires à long terme, cependant nous ne disposons toujours pas à ce jour d’étude de niveau I (études contrôlées randomisées). Les faisceaux de preuves les plus sérieux sur les effets secondaires des IPP concernent les infections digestives essentiellement à Clostridium difficile, les infections respiratoires et les fractures osseuses dans des populations données.
Bourne a publié en 2013 dans La Presse Médicale une revue de la littérature.25 A partir de 192 articles identifiés sur le sujet, elle en retient 80 pertinents, soit en anglais, soit en français. Les effets indésirables des IPP concernent les infections digestives (23%), les infections respiratoires (17%), les fractures (23%), les troubles métaboliques (hypomagnésémies, déficit en vitamine B12) (12%), les néphrites interstitielles (16%) et les cancers (12%).
De multiples études contrôlées ont montré un accroissement du risque de fracture chez les personnes âgées sous IPP.3,26,27 Cet effet serait proportionnel à la dose et à la durée. Le mécanisme présumé serait une malabsorption du calcium, l’augmentation du pH induite par les IPP empêchant l’ionisation du calcium à partir de sels de calcium insolubles, inabsorbables.27,28
Dans l’étude Manitoba,29 le risque de fracture augmente de 1,62 fois après cinq ans d’utilisation d’IPP, tandis que dans d’autres études le risque augmente de 4,55 fois après sept ans d’utilisation.30–32 L’étude britannique (General Practice Research Database (GPRD)) portant sur 135 000 personnes de plus de 50 ans prenant des doses élevées d’IPP pendant plus d’un an, a conclu qu’une durée de traitement par IPP de plus d’une année était associée à un risque augmenté de 2,6 fois de fracture du col du fémur. Ce risque augmentait avec la durée du traitement et la dose journalière médiane administrée.27 Pour des doses plus faibles, le risque n’était que de 1,2 à 1,6 fois plus élevé, avec toujours la notion que plus le traitement dure plus le risque est élevé. Ces études concordent globalement dans leurs conclusions ; elles sont toutefois limitées par leur caractère rétrospectif. Une étude prospective conduite à partir de la cohorte de la Women’s Health Initiative (WHI) a montré un lien entre une exposition régulière aux IPP et l’augmentation du risque de fracture vertébrale, de fracture du bras ou du poignet et du risque fracturaire global, mais pas du risque de fracture du col du fémur.33
En 2010, la US Food and Drug Administration (FDA) a commandité sept études sur le sujet. Toutes sauf une confirmaient le risque de fracture. La FDA a émis une mise en garde sur le risque plus élevé des fractures de la hanche, du poignet et du rachis sous IPP.
Malgré cela, des détracteurs de ces articles contestent la méthodologie et mettent en avant que le risque de fracture est tellement multifactoriel que les IPP ne peuvent être tenus pour responsables.34 La Société canadienne de gastroentérologie (CAG) statue qu’en l’état des connaissances actuelles, il n’y a pas lieu de prendre des précautions particulières pour prescrire des IPP en rapport au risque de fracture.35
Depuis 2009, il a été démontré expérimentalement (quatre études animales) que les IPP n’induisent pas seulement des modifications du métabolisme du calcium, mais auraient également un effet direct sur les ostéoclastes. Les IPP agiraient directement sur la résorption et le remodelage osseux en interférant sur la production acide des ostéoclastes par action sur leurs pompes à protons, appelées Vacuolar H+ - ATPases.36–42
En outre, si les IPP modifiaient les taux de vitamine B12, cela pourrait augmenter la fragilité osseuse en accroissant l’homocystéine. Une autre théorie sur l’accroissement de la fragilité osseuse suggère que les IPP contribueraient à la libération d’histamine H1.40
Si cela se confirmait, cela poserait un grave problème en pédiatrie. L’enfant grandit et constitue sa masse osseuse entre 0 et 20 ans. Comme actuellement on ignore les effets à long terme des IPP sur le métabolisme osseux de l’enfant, il y a lieu d’être prudent et de limiter les prescriptions aux indications validées.
L’acidité gastrique joue un rôle d’inhibition de la croissance bactérienne et évite la multiplication de colonies dans le tractus digestif et respiratoire en cas de reflux gastro-œsophagien. Un pH l 4 pendant quinze minutes est bactéricide pour la plupart des bactéries.20
La modification de la flore liée aux IPP serait responsable d’une augmentation significative (risque relatif (RR) ajusté compris entre 1,9 et 3,5 selon les études) de certaines infections gastro-intestinales en particulier à Clostridium difficile,41–44 mais aussi à d’autres souches (Salmonella, Campylobacter et Shigella).45,46 L’administration d’IPP pendant trois mois entraîne une prolifération bactérienne digestive chez 35% des patients par rapport aux contrôles sous placebo.47 Dans sa revue de la littérature, Bourne cite sept études cas-témoins totalisant plus de 85 000 patients évaluant le risque d’infection à Clostridium difficile sur des périodes d’un à dix ans, qui toutes montrent un lien entre IPP et colonisation avec des RR allant de 1,4 à 4,7.25 Ali rapporte quatre études cas-témoins et une méta-analyse totalisant 12 000 patients, qui montrent un risque plus élevé (RR entre 2,4 et 10,5) de colonisation avec Campylobacter et Salmonella sous IPP.4 Cependant, ces études sont rétrospectives avec un niveau de preuve insuffisant.
Chez l’enfant, nous disposons d’une étude prospective randomisée portant sur 188 enfants âgés de 4 à 36 mois qui montre une nette augmentation des gastroentérites et des infections pulmonaires dans le groupe qui a reçu des IPP pendant deux mois par rapport au groupe témoin dont le taux d’infection reste stable.45
Plusieurs articles ont démontré le lien qui existe entre administration d’IPP et un taux plus élevé de pneumonies. En inhibant la sécrétion acide, les IPP augmentent le nombre des bactéries gastriques, en particulier les anaérobes.47–50 Des micro-bronchoaspirations contamineraient les voies respiratoires,51 mais les IPP auraient aussi un effet direct sur les leucocytes qui seraient altérés. Les risques relatifs ajustés seraient augmentés de 1,89 pour une dose journalière unique et à 2,3 pour plusieurs doses journalières.45,51
Une étude canadienne a montré que des patients de 65 ans et plus, hospitalisés pour pneumopathie communautaire étaient plus fréquemment réhospitalisés pour un second épisode de pneumopathie lorsqu’ils recevaient un traitement d’IPP.53 Une autre étude rétrospective américaine a démontré une plus grande fréquence des pneumonies nosocomiales chez les patients recevant une prophylaxie de l’ulcère de stress par pantoprazole que par ranitidine.52
Certains auteurs contestent la méthodologie statistique et nient le rapport de causalité.34 Pour ce qui est des pneumonies à Clostridium difficile secondaires à des (micro)broncho-aspirations, ils estiment que ce sont probablement des patients qui ont tellement d’autres pathologies et d’autres traitements, qu’aucune conclusion ne peut en être tirée.
Dans sa revue de la littérature, Bourne rapporte sept études cas-témoins totalisant environ 200 000 patients, qui toutes font un lien entre pneumopathies et IPP avec toutefois des RR inférieurs aux études sur la colonisation digestive (RR compris entre 0,6 et 2,1). Il s’agit de patients plutôt âgés (> 65 ans) qui présentent soit des pneumopathies communautaires, soit des infections en milieu hospitalier (soins intensifs) sous IPP.25
Le risque d’association entre infections des voies respiratoires et IPP semble encore plus élevé chez l’enfant que chez l’adulte. L’étude cas-témoins de Canani portant sur 186 enfants âgés de 4 à 36 mois, traités soit avec ranitidine 10 mg/kg/jour, soit avec oméprazole 1 mg/kg/jour, montre un taux significativement plus élevé de gastroentérites (RR 3,58) et nettement plus élevé de pneumonies (RR 3,58) dans le groupe oméprazole.45
Les IPP pourraient induire des hypomagnésémies, des déficits en vitamine B12 (cyanocobalamine) et en zinc.3,4,7
La suppression acide interférerait avec l’absorption de la vitamine B12 liée aux protéines. Les preuves sont contradictoires.3,4 Pour Macuard,53 l’absorption de vitamine B12 diminue de 3,2 à 0,9% (p = 0,031) chez des patients recevant 20 mg/jour d’oméprazole et de 3,4 à 0,4% pour des doses journalières plus élevées. L’administration de longue durée d’oméprazole est associée à une baisse des taux moyens de vitamine B12 chez 46% des patients sans entraîner de symptôme et chez 10% d’entre eux les taux sont pathologiquement trop bas. Mais d’autres auteurs ne trouvent aucune modification des taux de vitamine B12 sous IPP.34,53–55 Toutes ces études portent sur de petites séries rétrospectives, non randomisées avec des méthodes de dosage de la vitamine B12 non comparables.
Des hypomagnésémies sévères réfractaires à l’administration de supplémentation associées à la prise d’IPP à long terme ont été décrites.7,56–59 Les symptômes ont disparu en deux semaines avec l’arrêt des IPP.59
En mars 2011, la FDA a notifié aux professionnels de santé et au public que les IPP pris à long terme, soit plus d’une année, peuvent entraîner des hypomagnésémies.60 Il est toutefois précisé que les personnes concernées ne vont pas développer d’hypomagnésémies symptomatiques sauf si elles ont conjointement des gastroentérites, utilisent des diurétiques, ou ont des comorbidités chroniques.61 Elle suggère dans ces cas de doser régulièrement le magnésium de ces patients.60
Quelques articles font état d’abaissement des stocks de zinc sous IPP de longue durée, sans toutefois provoquer des déficiences significatives.
Les néphrites interstitielles (NI) sont des atteintes inflammatoires de l’interstitium rénal et des tubules qui mènent à une insuffisance rénale. La grande majorité (60%) des NI a une origine médicamenteuse. Certains antibiotiques, certains antiviraux, certains diurétiques et les IPP ont été identifiés comme familles de substances à risque de provoquer une NI.7,62 Tous les IPP ont été associés à des cas de NI mais il semble que le plus fréquemment impliqué soit l’oméprazole et le moins le rabéprazole.62 Cependant, les NI induites par des IPP sont rares et la littérature sur le sujet, compilée par Sierra (2009),62 est essentiellement constituée de cas rapportés et de petites séries qui n’apportent pas de preuves suffisantes du fait des multiples paramètres impliqués.
Le lien entre IPP et cancer gastrique n’est pas démontré mais des doutes existent.
Des études animales font soupçonner que la modification de la flore gastro-œsophagienne par inhibition de l’acidité puisse induire des transformations de la muqueuse (carcinome chez le rat après deux ans).9,22,63,64
Les IPP sont également soupçonnés de favoriser l’apparition dans le fundus de polypes gastriques après un an de traitement.65
Diverses hypothèses ont été avancées pour expliquer le rôle possible des IPP dans la carcinogenèse gastrique. Les IPP augmenteraient la concentration en nitrates gastriques, connus pour être des carcinogènes.66 L’élévation du pH est par ailleurs un facteur favorisant le développement d’Helicobacter pylori, bactérie impliquée dans les phénomènes de carcinogenèse gastrique.67
Les tumeurs carcinoïdes sont rares mais il semble que leur fréquence soit en augmentation.7 Y a-t-il un lien avec l’usage de plus en plus répandu et prolongé des IPP ? Il a été montré qu’une hypergastrinémie prolongée, couplée à divers facteurs génétiques comme ceux rencontrés dans les MEN-I, peut induire des tumeurs carcinoïdes de l’estomac à cellules entérochromaffines-like chez l’humain.7,68,69 Mais il n’a jamais été démontré que l’hypergastrinémie seule puisse être responsable de cette transformation.7,68 Etant donné le très faible risque de tumeurs carcinoïdes de l’estomac, il n’est pour le moment pas possible d’envisager des séries suffisantes pour en tirer des conclusions.
Par contre, le reflux biliaire alcalin, non tamponné par l’acidité gastrique, est depuis longtemps soupçonné d’induire des transformations des muqueuses (œsophage de Barrett, adénocarcinome œsophagien).63
Une étude a montré que la prise d’IPP réduit l’efficacité antiagrégante de l’aspirine chez des patients atteints d’une coronaropathie.70 Une autre concernant 20 000 patients traités par aspirine en prévention secondaire après un premier infarctus du myocarde a montré une augmentation d’événements cardiovasculaires chez ceux qui avaient reçu des IPP contrairement à ceux sous anti-H2.71 On pourrait en conclure que les IPP limitent l’effet antiagrégant de l’aspirine dans la prévention des cardiopathies ischémiques. Mais ces études rétrospectives n’ont pas un niveau de preuve suffisant.
Le risque d’infarctus du myocarde, d’AVC et de défaillance cardiaque lié à l’administration simultanée d’IPP et de clopidogrel (inhibiteur de l’agrégation plaquettaire) a été beaucoup débattu.7 Les IPP sont métabolisés par les isoenzymes hépatiques CYP 2C19 et 3A4. Il a initialement été évoqué que les IPP exerceraient une inhibition de compétition avec le clopidogrel sur le cytochrome CYP 2C19, le rendant inefficace, mais d’autres études ont réfuté cette hypothèse. En 2009, la FDA suggérait que le pantoprazole soit utilisé en association avec le clopidogrel comme prévention de la récidive chez les patients ayant présenté un infarctus du myocarde ou un AVC en raison de son effet moins marqué sur le CYP 2C19. En outre, il suggérait d’administrer les IPP le matin et le clopidogrel le soir.
Une publication de 2010 rapporte quatre cas d’arythmies cardiaques associées à l’usage d’IPP.72 L’auteur associe cela aux effets des modifications du pH, de la kaliémie et de la calcémie sur certaines cellules cardiaques. Bien que ces constatations n’aient pas été confirmées par d’autres études, l’auteur suggère que les patients soient mis en garde et que toute arythmie soit mentionnée à son médecin traitant.
Il est très difficile de se faire une idée claire à la lecture de cette abondante littérature que j’ai tenté de résumer ici. On est surpris de lire des articles exclusivement dédiés à invalider les arguments d’articles antérieurs, parfois dans le même numéro de la même revue ! Ainsi, l’éditorial d’un journal connu démonte systématiquement un article publié dans le même numéro qui tentait de démontrer que les IPP créent une dépendance. En lisant les «petits caractères», on apprend que tel auteur a été consultant pour de nombreuses firmes pharmaceutiques dont AstraZeneca, dont il a reçu des subventions pour ses recherches et qu’il a été honoré de prix décernés par ces laboratoires pour ses conférences.
Thomson considère que le risque d’effets secondaires avec les IPP est de 1 à 2%.34 Cet auteur s’est attaché à revoir la littérature sur les effets à long terme des IPP et liste, complication par complication, les articles pour et contre, pour chaque fois conclure qu’étant donné la divergence de points de vue, on ne sait rien, ni sur l’atrophie gastrique induite, ni sur le risque oncologique, ni sur le développement de polypes, ni sur les troubles métaboliques, ni sur l’ostéopénie. Ce qui dérange est qu’il nie également les risques d’infections digestives et respiratoires qui semblent pourtant prouvés par des études de niveau II.
Chez l’enfant, Tolia73 rapporte une étude rétrospective portant sur 113 enfants dont 51% souffraient de troubles neurologiques et qui ont été traités par IPP pendant une durée moyenne de 35,2 mois (9 mois à 11,25 ans). Il constate 12% d’effets secondaires mineurs et une élévation de la gastrine sérique chez 73% d’entre eux. Il ne va pas plus loin et conclut que les IPP à long terme sont sûrs et sans danger. A l’inverse, Hassal a décrit chez 50% des enfants sous IPP pendant plus de deux ans et demi, une hyperplasie des cellules entérochromaffines.74
Le marché des IPP génère des sommes tellement considérables qu’il est difficile de savoir dans quelle mesure certaines études ne sont pas biaisées, comme l’ont été en leur temps les études prouvant l’innocuité du tabac.
Malgré certaines dénégations, il existe un sérieux doute que les IPP à long terme puissent avoir des effets secondaires non négligeables. Mais qu’est-ce qu’un traitement à long terme ? Raghunath, à partir d’une revue de dix-neuf séries, constate qu’il n’y a pas de consensus : pour certains, les prescriptions sont dites à long terme au-delà de trois mois et pour d’autres au-delà d’un an.75 Ito résume bien la situation :3 «Dans l’ensemble toutes ces études ne permettent pas de tirer de conclusion dans chacun de leurs domaines pris isolément, mais lorsqu’on les examine systématiquement, beaucoup d’entre elles arrivent à des résultats consistants et concordants qui font penser qu’il existe des effets secondaires déplaisants avec des implications cliniques importantes». Pour le moins, le principe de précaution devrait s’appliquer.
Si l’on admet cela, l’alternative logique serait donc de proposer un traitement chirurgical à ces patients, pour leur éviter d’utiliser des IPP à long terme. Pas si simple. En effet, si les résultats de la chirurgie du reflux gastro-œsophagien sont globalement bons, cela ne signifie pas que la chirurgie soit la solution. Lødrup a montré à plusieurs reprises sur la base de courbes de Kaplan-Meier que le risque de recourir aux IPP après chirurgie du reflux était plus élevé qu’initialement décrit. Sa dernière publication en 2014 fait état de 50% des 3465 patients danois à nouveau sous IPP dix à quinze ans postchirurgie.76 La série de Lundell compare 157 patients traités pour des symptômes de reflux, soit par IPP, soit par chirurgie et montre que les symptômes sont mieux contrôlés à sept ans après chirurgie que sous IPP de longue durée (66,7% vs 46,7%). Cela fait quand même plus de 30% des patients opérés qui utilisent à nouveau des IPP.77
Les IPP sont des substances très efficaces et très utiles dans des indications précises et limitées. Cependant, leur innocuité n’est pas démontrée. Bien qu’il n’existe pas de preuve formelle de l’induction d’effets secondaires, il est très probable qu’ils interfèrent au moins dans l’apparition d’infections digestives, respiratoires et de fractures. Le principe de précaution prévaut donc et nous devons restreindre leur prescription aux seules indications validées.5,7 Par exemple, il est déraisonnable de prescrire des IPP à titre prophylactique en postopératoire. Plusieurs associations professionnelles, dont l’American Gastroenterological Association, recommandent de toujours utiliser les doses les plus basses possibles pour supprimer les symptômes et les traitements les plus courts.78 La FDA recommande de ne pas utiliser les IPP plus de trois périodes de 14 à 28 jours par an. Même administrés dans de bonnes indications et au bon dosage, si la prise d’IPP doit se prolonger, on doit évaluer le risque encouru par le patient et se demander si la chirurgie ne serait pas une alternative, tout en informant le patient que 50% des patients sont à nouveau sous IPP cinq ans postchirurgie.76 McColl suggère qu’avant de prescrire des IPP pour une durée prolongée, on fasse un traitement d’épreuve de deux semaines. De même que l’on a facilement tendance à augmenter les doses (step up), on devrait commencer à envisager de les diminuer quand le traitement fonctionne (step down). Enfin, il recommande d’informer les patients de la dépendance induite par les IPP avant le début du traitement.22
Nous utilisons pour conclure la remarque du Family Health Guide de la Harvard Medical School, 2014 : «Maintenant que les études commencent à montrer que les IPP pourraient causer des problèmes, même si les juges ne bougent pas, faisons un pas en arrière et demandons-nous si nous n’avons pas mis la main sur le flacon d’IPP un peu trop vite et un peu trop souvent.» (Now that studies are beginning to show that PPIs could – the jury’s out still – cause some problems, it may be a good time to step back and ask whether we’ve been reaching for that PPI bottle too often and too soon).79
La prévalence des traitements de longue durée par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) est en forte augmentation. Leur efficacité est prouvée et leur tolérance à court terme semble bonne. Cependant, il y a lieu de s’interroger sur d’éventuels effets indésirables lors d’administration prolongée. Nous proposons de tenter de faire le point sur les problèmes associés à l’usage des IPP.