Le modèle classique qui voit la santé comme un état de bien-être physique, psychique et social a récemment aussi intégré la dimension spirituelle. Ceci témoigne de la prise en compte de l’importance de la dimension spirituelle pour de nombreuses personnes dans nos sociétés, et de leur désir que cette dimension soit considérée dans leur prise en charge médicale. Par ailleurs, depuis la fin du 20e siècle, une littérature scientifique croissante indique que la dimension spirituelle ou l’appartenance à une religion peut avoir un impact sur l’évolution d’une maladie et de son vécu, non seulement dans des situations de soins palliatifs mais aussi dans des situations liées à des douleurs chroniques ou de prévention cardiovasculaire pour ne citer que ces deux exemples.
Dans les milieux laïcs de santé, la spiritualité est définie comme la quête de sens, l’affirmation de valeurs et de croyances. Elle englobe la religion comprise comme une manière institutionnelle et traditionnelle de répondre à cette quête.1
Dans ce nouveau contexte, le monde des soins et les aumôniers, traditionnellement responsables du soutien spirituel et religieux, repensent leur manière de communiquer sur ce domaine intime de la personne humaine.
Le médecin qui désire soigner son patient dans une approche holistique sera amené à aborder la dimension spirituelle de ce dernier. Approcher cette dimension spirituelle avec son patient demande aussi que le médecin se soit questionné lui-même sur sa manière de considérer la dimension spirituelle dans sa propre vie. C’est un moment délicat et difficile que de communiquer sur la dimension spirituelle avec les malades. D’une part, on touche à la sphère intime de l’être et d’autre part, les études de médecine n’offrent guère de préparation.
De plus, plusieurs auteurs font mention d’une limite déontologique, considérant qu’il ne s’agit pas d’un domaine relevant de la compétence médicale.
Et il est vrai qu’aborder le thème de la spiritualité avec les patients peut comporter certains risques : 1) violer son intimité si le moment, la disposition ou les mots sont mal choisis, 2) réduire la dimension spirituelle à une simple question de l’anamnèse et donc la médicaliser et 3) risquer de projeter ses propres croyances sur celles du patient.2
Malgré toutes ces difficultés et ces risques, l’expérience montre qu’aborder la dimension spirituelle, dans des situations médicales délicates, peut avoir un côté libérateur, être un soulagement pour les patients et avoir un impact favorable pour la relation médecin-malade et la prise en charge.
D’un point de vue pratique, certains outils ont été développés qui facilitent la manière d’aborder la dimension spirituelle, comme le questionnaire SPIR.3 Il comprend quatre questions simples (tableau 1).
En utilisant cet outil, le médecin explore les constituants principaux de la dimension spirituelle de son patient et possède des informations sur la place que ce dernier entend donner à sa spiritualité dans la prise en charge.
Cela lui permettra aussi de créer une relation privilégiée avec son malade et surtout, le cas échéant, de proposer l’intégration et l’intervention de l’accompagnant spirituel dans cette prise en charge.
Dans ce contexte qui voit le monde des soins, dans et hors des hôpitaux, prendre en compte le soutien spirituel des patients et de leur entourage, les aumôniers, appelés aujourd’hui accompagnant(e)s spirituel(le)s, doivent repenser leur manière d’aborder ce qui était jusqu’à récemment leur spécialité.4
Les enquêtes suisses récentes révèlent que si une minorité de nos concitoyens sont attachés à une institution religieuse et pratiquent leur religion, la majorité d’entre eux ont conservé des représentations spirituelles ou religieuses et ils s’y réfèrent principalement dans des situations de crise.5
Présumer que les personnes rencontrées sont du même monde religieux que l’accompagnant spirituel et qu’il en connaît les références n’est, dans ce contexte, plus possible. La première tâche de l’accompagnant spirituel va donc être de découvrir le monde spirituel des patients et de leur entourage et d’adapter son intervention à cette réalité. Cela demande un déplacement important pour cet accompagnant spirituel qui doit se former à une écoute attentive du monde de l’autre et exercer sa propre capacité à mettre les convictions et les questionnements des personnes rencontrées au centre de son action. C’est à ce prix que, comme les médecins, il n’imposera pas subrepticement ses croyances et évitera toute forme de prosélytisme.
Si l’intention de l’accompagnant spirituel ne peut plus être de promouvoir le mode de croire dont il est porteur, il n’en demeure pas moins qu’il peut faire valoir des connaissances et des compétences en sciences des religions et dans les spiritualités contemporaines.
Ces compétences peuvent être mises tant au service des personnes, de leurs proches que du processus de soins.
Dans les périodes de crise que provoquent la maladie, l’accident, l’hospitalisation, les patients se posent toutes sortes de questions sur leurs choix, leurs priorités, leurs valeurs, leurs représentations spirituelles et religieuses. Ils sont généralement soulagés de pouvoir en parler avec une personne dont la tâche est justement de s’intéresser à ces questions et qui a les compétences pour le faire.6 La première compétence n’étant pas d’avoir ou de trouver des réponses, mais bien de les aborder et d’y réfléchir en toute liberté.
Dans les situations toujours plus complexes auxquelles nous exposent les performances de la médecine, les patients, leur entourage et les équipes soignantes sont placés devant des choix et des dilemmes difficiles à résoudre. Dans l’ensemble des dimensions à considérer dans une approche globale de la personne malade, celle de la spiritualité s’avère souvent déterminante. L’accompagnant spirituel qui a également une bonne connaissance des cultures médicales et soignantes, peut, par son évaluation et ses recommandations, aider à élargir les options du plan de soins.
Dans le monde du soin, traduire la globalité de la personne au moyen d’un modèle multidimensionnel semble donc faire aujourd’hui consensus. De plus, les préoccupations des médecins, de la communauté soignante et des aumôniers concernant la spiritualité, ou en tous les cas les interrogations existentielles que toute crise provoque chez un patient, plaident aussi pour un modèle comportant une dimension spirituelle en plus des dimensions sociale, psychologique et somatique.
Le danger est que ce modèle «saucissonne» la personne malade hospitalisée aussi brutalement qu’elle l’est déjà en ses organes, et que cette manière de concevoir la globalité manque son but, à savoir offrir aux malades une attention renouvelée par sa profondeur et une compréhension élargie de leurs difficultés pour favoriser/renforcer leur autonomie.7
A l’hôpital ou dans la communauté, la question cruciale pour prendre en compte valablement la dimension spirituelle semble bien être celle de l’interdisciplinarité, à savoir comment faire dialoguer et mettre en confrontation les savoirs des divers professionnels et spécialistes de ces quatre dimensions d’un modèle biopsychosocial et spirituel. Autrement dit, la manière de communiquer entre professionnels à propos du patient et de ses proches doit faire l’objet d’une redéfinition pour passer d’une simple pluridisciplinarité à cette interdisciplinarité.
Cette interdisciplinarité permet, en effet, une bienfaisance accrue pour le patient et la création d’un espace d’altérité dans lequel les malades et leurs proches sont à la fois soignés et acteurs de soins eux-mêmes. Il est à relever que les rares expériences de ce type sont également très bénéfiques pour les soignants eux-mêmes, garantissant des images de soi meilleures et des alliances thérapeutiques dans lesquelles les signes de reconnaissance reçus de part et d’autre sont intelligents, bien ciblés et sains.
Equipes interdisciplinaires dans l’hôpital, réseaux de soins dans la communauté, les préoccupations autour de la spiritualité de la personne malade et/ou en crise devraient avoir deux bénéfices importants. Le premier est de renouveler la compréhension et le travail sur le dilemme bienfaisance des soins versus autonomie du patient. Le deuxième est d’enclencher un cercle vertueux qui restitue le soin et la médecine à la société et partant aux personnes les plus vulnérables, et ainsi d’éviter une médicalisation de la vie par la maîtrise complète du seul corps physique.
La pertinence d’une prise en compte de la dimension spirituelle d’un patient tient à la capacité des membres de l’équipe de soins à travailler en interdisciplinarité.
Cette vision semble très hospitalo-centrée. Pourtant, et cette présentation le souligne, il est possible pour les professionnels du soin travaillant en ambulatoire et en cabinet de s’en inspirer pour repenser le réseau dans lequel ils inscrivent leurs patients. En effet, au côté des médecins, des infirmières, des assistantes sociales, des psychiatres et des psychologues, pourquoi ce réseau ne comprendrait-il pas des intervenants compétents en matière de spiritualité et de religion ? Certains professionnels issus des églises et des communautés autres que chrétiennes sont aujourd’hui prêts à se former pour accompagner des personnes en situation de crise en respectant scrupuleusement leur vécu spirituel et religieux. Par contre, se transmettre des informations ne suffit pas, un tel réseau ne peut prétendre à une prise en charge globale effective de ces personnes et de leurs proches que si ses membres se connaissent et ont appris à se faire confiance. Nul doute que le temps investi à la construction de ces liens s’avèrera précieux dans les temps d’urgence et de stress.
> Aborder la dimension spirituelle avec son patient fait partie d’une approche holistique basée sur un modèle biopsychosocial et spirituel
> L’approche de cette dimension nécessite une communication dénuée de prosélytisme
> Pour le médecin, il existe des instruments comme le SPIR permettant d’explorer la place que le patient veut donner à la spiritualité dans sa prise en charge
> Pour une prise en charge globale, il convient d’intégrer cette information dans une équipe interdisciplinaire comprenant les accompagnants spirituels