L’hémoptysie se définit par une extériorisation de sang provenant de l’arbre trachéobronchique.1 Il s’agit d’un motif fréquent de consultation et d’hospitalisation en pneumologie. Dans moins de 5% des cas, l’hémoptysie peut être sévère avec une mortalité de plus de 50% en l’absence de traitement adéquat.2 D’autres pathologies pouvant se manifester par une extériorisation de sang par les voies aériennes supérieures (épistaxis, hématémèse, lésions oropharyngées, fractures faciales), il n’est pas toujours aisé d’identifier l’origine du saignement.
L’évaluation de la gravité de l’hémoptysie dépend de la quantité et du débit de sang extériorisé. La littérature propose de nombreuses définitions de l’hémoptysie massive, allant de 100 ml/24 heures à 1 l/24 heures de sang extériorisé.3 En pratique, il est important de comprendre que la tolérance et la gravité sont liées à l’état respiratoire préalable. Ainsi, nous proposons de retenir comme définition de l’hémoptysie massive, un saignement de plus de 250 ml/24 heures ou une hémoptysie continue menaçant les fonctions vitales, ceci en tenant compte d’une éventuelle atteinte respiratoire préexistante.4 La gravité immédiate est liée à l’asphyxie due à l’inhalation de sang et non pas à la perte sanguine. Ainsi, le retentissement hémodynamique et la chute de l’hémoglobine sont exceptionnels et tardifs. Devant une suspicion d’hémoptysie massive avec anomalies des échanges gazeux, signes d’obstruction bronchique, instabilité hémodynamique ou comorbidités relevantes, un transfert immédiat en milieu de soins intensifs dans un centre spécialisé doit être organisé.5,6
Le sang traversant les poumons arrive soit par les artères pulmonaires, soit par les artères bronchiques (tableau 1).
La totalité du débit cardiaque passe à travers le système à basse pression des artères pulmonaires afin d’être oxygéné dans le lit capillaire.
Chaque poumon est aussi irrigué par une ou plusieurs artères bronchiques, provenant de l’aorte ou moins fréquemment d’artères intercostales ou vertébrales. La distribution des artères bronchiques est extrêmement variable d’un sujet à un autre. Perfusées avec une pression systémique et au contact étroit des voies aériennes, elles sont à l’origine de 90% des hémoptysies massives.
Une hémoptysie peut résulter de nombreuses étiologies, qui peuvent se répartir en des atteintes des voies aériennes, du parenchyme pulmonaire ou de la vascularisation pulmonaire (tableau 2). Parmi les causes les plus fréquentes d’hémoptysie massive, il faut relever les bronchectasies, les cancers bronchiques et diverses infections dont la tuberculose et les infections fongiques, en particulier aspergillaires.1,2 On compte environ 15% d’hémoptysies idiopathiques.
Le bilan habituel d’une hémoptysie massive inclut une radiographie thoracique, un angioscanner et une fibrobronchoscopie.
Nous ne disposons que de peu d’études cliniques comparant ces examens. Dans une série rétrospective de 80 patients admis aux soins intensifs pour hémoptysie massive, le diagnostic étiologique a été établi dans 8% des cas par bronchoscopie, dans 35% par radiographie standard et dans 77% par scanner thoracique. La bronchoscopie et le scanner étaient comparables pour identifier le site du saignement (73% versus 70%), alors que la radiographie thoracique était inférieure (46%).7
La radiographie thoracique, rapide, peu coûteuse et disponible dans n’importe quel centre permet d’identifier des anomalies parenchymateuses ou pleurales et de renseigner sur le côté du saignement.8 Il en demeure que sa sensibilité et sa spécificité sont insuffisantes9 par rapport à l’angioscanner thoracique et la fibrobronchoscopie.
L’angioscanner thoracique (figure 1) permet dans la majorité des cas de localiser le site du saignement, de déterminer sa cause et la faisabilité d’une embolisation thérapeutique par la visualisation et la caractérisation des artères bronchiques (taille, trajet, ostium, etc.).1 Le scanner permet aussi d’écarter un saignement n’impliquant pas la vascularisation artérielle bronchique. Un angioscanner doit donc être réalisé dans tous les cas, et ce malgré les résultats de la radiographie standard.
De même que le scanner thoracique, la fibrobronchoscopie permet de localiser le site du saignement. Par rapport au scanner, elle est moins performante pour déterminer la cause de l’hémorragie lorsque celle-ci se trouve en dehors de l’espace bronchique atteignable par l’endoscope. Elle présente plusieurs avantages dont la possibilité de juger du degré d’activité de l’hémorragie et de son évolution, de faire des prélèvements à destinée diagnostique (infectieuse ou tumorale) et de sécuriser les voies aériennes par des manœuvres endoscopiques d’hémostase (voir ci-dessous) permettant d’amener en sécurité le patient à l’embolisation artérielle thérapeutique. Elle présente toutefois des désavantages spécifiques, principalement l’élévation des pressions systémiques et la toux, qui sont inhérents à tout geste endoscopique. Ces aspects nécessitent que la procédure soit effectuée par un endoscopeur expérimenté dans un milieu sécurisé et de préférence après l’intubation et la sédation du patient.10
L’hémoptysie massive est une urgence vitale. Elle nécessite une prise en charge rapide et coordonnée (figure 2) par une équipe pluridisciplinaire expérimentée, composée d’un pneumologue, un intensiviste, un radiologue interventionnel et selon les cas un chirurgien thoracique.
Les premières mesures sont la sécurisation des voies aériennes et le maintien d’une oxygénation suffisante. Si le côté de l’hémoptysie est identifié, le patient doit être placé en décubitus latéral du côté du saignement, afin de préserver la fonction ventilatoire du poumon sain. En présence d’une hémorragie active, d’une insuffisance respiratoire, voire d’une instabilité hémodynamique, le patient doit être intubé. Selon l’équipement et les expertises à disposition, on peut envisager soit une intubation avec un tube à double lumière permettant de préserver le poumon sain, soit une intubation sélective ou classique associée à un traitement local ou à l’utilisation d’un bloqueur endobronchique excluant sélectivement le site de l’hémoptysie.
D’autres mesures générales incluent la vérification et la correction de la coagulation (facteurs de coagulation, plaquettes, arrêt ou réversion des anticoagulants et antiagrégants), et le contrôle étroit de la tension artérielle. Les traitements antitussifs, anxiolytiques ou sédatifs ainsi qu’une antibiothérapie seront discutés au cas par cas.
Outre son apport diagnostique, la bronchoscopie offre diverses options thérapeutiques lors d’hémoptysie massive. L’indication et le caractère urgent ou différé d’une bronchoscopie doivent être retenus par le pneumologue en fonction de la situation clinique et de la stabilité du patient.
La bronchoscopie permet d’envisager un contrôle direct du saignement soit par traitement topique, soit par cautérisation.11 Des instillations intrabronchiques de solution saline glacée (4°C), d’adrénaline ou de terlipressine (Glypressine) peuvent s’avérer efficaces. Quelques études se sont également intéressées à l’administration intrabronchique de facteur VIIa (Novoseven). L’effet hémostatique local semble immédiat et soutenu avec peu de risques thromboemboliques en l’absence de pénétration systémique.12,13 Les données sont toutefois insuffisantes à ce jour pour recommander l’administration de ce traitement onéreux en première intention.
Lors d’un saignement sur lésion endobronchique proximale, la bronchoscopie permet également d’effectuer un contrôle direct du saignement par différentes techniques telles que le laser YAG ou YAP, la coagulation par plasma argon, la cryothérapie, ou l’électrocautérisation.11
Lorsque la source de saignement est distale et non visualisable, le bronchoscopeur peut isoler le segment, le lobe ou le poumon concernés par la mise en place d’un bloqueur bronchique (set d’Arndt). Enfin, la bronchoscopie permet le toilettage bronchique afin de préserver ou restaurer les échanges gazeux.
Le traitement vasoconstricteur de choix est la terlipressine que l’on utilise pour toute hémoptysie majeure active, en l’absence de contre-indication. En sus d’éventuelles contre-indications, telles que la présence d’une coronaropathie, d’un AVC ischémique récent ou d’une crise hypertensive, il faut tenir compte qu’en raison d’un taux plasmatique constant pendant six heures, l’interprétation des images d’artériographie sera délicate pendant cette période.1 Le facteur VIIa intraveineux a été utilisé dans des situations d’hémorragie majeure,14–16 avec cependant un risque thromboembolique non négligeable et un coût élevé.
L’administration d’acide tranexamique (Exacyl) semble avoir un effet bénéfique sur la durée et le volume du saignement avec un faible risque thromboembolique.17 Ces résultats sont toutefois controversés comme a pu le démontrer la méta-analyse de Moen et coll.
La technique de radiologie interventionnelle par embolisation artérielle bronchique (figure 3) est le traitement de choix de l’hémoptysie massive.18 Sa faisabilité doit être évaluée par un radiologue expérimenté sur la base d’un angioscanner préalable. Il existe des contre-indications relatives comme les troubles sévères de l’hémostase, l’allergie aux produits de contraste iodés et l’anévrisme de la crosse de l’aorte ou de l’aorte ascendante. Pour les cas traités par terlipressine, elle devrait si possible être repoussée au-delà des six heures suivant l’injection.
L’examen débute par une aortographie à la recherche des ostia des artères bronchiques ou d’emblée, selon l’angioscanner, par un cathétérisme artériel sélectif. Un saignement actif n’est que rarement observé (nécessite un saignement supérieur à 1 ml/min), mais cet examen permet de localiser les artères collatérales systémiques non bronchiques pouvant également être à l’origine du saignement (artères phréniques, intercostales, ligament triangulaire, sous-clavières, etc.) et de mettre en évidence un site d’hypervascularisation qui justifiera en soi l’embolisation. L’utilisation de microcathéters ainsi qu’un repérage anatomique rigoureux sont essentiels, afin d’éviter des rameaux dangereux communiquant en particulier avec une artère à destinée médullaire comme une artère radiculaire antérieure d’Adamkiewicz ou une artère œsophagienne, minimisant ainsi le risque d’ischémie médullaire ou de nécrose de l’œsophage.1 Cette technique permet un contrôle immédiat du saignement dans environ 90% des cas par occlusion du vaisseau artériel à l’origine du saignement. Pour l’embolisation, on utilise de préférence des microbilles non résorbables ou des particules résorbables. Toutefois, pour occlure des artères de calibre plus important, des spirales métalliques (coils) peuvent aussi se révéler nécessaires.
Les taux de réussite semblent fonction de la pathologie étiologique. Relativement élevés dans les cas de bronchectasies (90,4%), ils sont moins bons en présence d’un cancer pulmonaire où le taux de récidives semble aussi particulièrement élevé.19 En ce qui concerne les complications, elles sont rares et principalement neurologiques (syndrome de Brown Séquard, paraparésie transitoire ou définitives, paralysie)4 et vasculaires (perforation artérielle, dissection, pseudo-anévrisme, fistule artérioveineuse).20
Avant l’avènement des techniques de radiologie interventionnelle, la chirurgie thoracique était la première ligne de traitement des hémoptysies graves. Actuellement, les indications à une chirurgie en urgence ont été réduites aux cas d’échec ou de contre-indications de l’embolisation artérielle. Cette chirurgie «d’hémostase» est alors la seule option thérapeutique mais reste associée à une morbi-mortalité importante.
La chirurgie thoracique élective peut toutefois être proposée dans le cadre de lésions localisées à haut risque de récidive (aspergillome, bronchectasies, cancer bonchique) ou de lésions relevant d’un mécanisme artériel pulmonaire chez des patients sélectionnés (malformations artérioveineuses, rupture iatrogène de l’artère pulmonaire…).21 Afin de limiter les complications, il faut privilégier une chirurgie élective, après traitement initial par embolisation et bilan fonctionnel respiratoire.
En raison du risque vital immédiat et du caractère imprévisible de la récidive, la prise en charge d’une hémoptysie massive doit réunir rapidement une équipe multidisciplinaire qui dispose de compétences spécifiques et d’un plateau technique de pointe.
Les examens diagnostiques de choix sont l’angioscanner et la bronchoscopie. Tant l’imagerie que l’approche par endoscopie renseignent sur le site de l’hémorragie. L’imagerie offre l’avantage de visualiser les causes extrabronchiques et de planifier l’embolisation artérielle, alors que la bronchoscopie permet de contenir le saignement et de faire des prélèvements pour diriger les traitements complémentaires à l’embolisation. Alors que l’angioscanner doit être toujours réalisé, la possibilité de faire une bronchoscopie doit être décidée en fonction de la stabilité de la situation clinique. L’embolisation artérielle bronchique permet de tarir le saignement dans plus de 90% des cas avec un taux de récidives qui dépend de la pathologie sous-jacente. La chirurgie en urgence devrait être évitée en raison de la mortalité élevée. Elle est recommandée en électif dans certaines situations particulières ou en cas d’échec de la radiologie interventionnelle.
> L’hémoptysie massive se caractérise par un débit de sang supérieur à 250 ml/24 heures ou un saignement continu menaçant les fonctions vitales
> Les causes les plus fréquentes sont les bronchectasies, la tuberculose, les infections fongiques, notamment aspergillaires, et les cancers bronchiques
> Les examens de choix sont l’angioscanner thoracique et la fibrobronchoscopie qui devra être discutée au cas par cas
> L’embolisation artérielle broncho-systémique est devenue le pilier de la prise en charge thérapeutique