La névrite du nerf optique (NNO) est une inflammation primaire du nerf optique dont la cause la plus fréquente est une affection démyélinisante du système nerveux central. Une NNO peut également évoluer dans le cadre d’une inflammation transmise des méninges, du contenu de l’orbite ou des sinus paranasaux (dont les sinus ethmoïdaux postérieurs). Si la NNO est associée à un œdème papillaire, on parle alors souvent de papillite ; une NNO sans œdème papillaire est souvent appelée névrite rétrobulbaire.
Des infections systémiques ou des maladies granulomateuses comme la sarcoïdose peuvent également être à l’origine d’une NNO. Celle-ci peut être de plus une manifestation para-infectieuse consécutive à une infection virale ou bactérienne. La littérature rapporte aussi une association avec la vaccination contre le BCG, l’hépatite, le virus de la rage, le tétanos et la rubéole.
Cet article aborde la NNO principalement au travers des maladies démyélinisantes, en particulier de la sclérose en plaques (SEP). Le tableau clinique, les examens complémentaires et le diagnostic différentiel sont exposés de même que l’évolution de la maladie. Nous traiterons aussi plus particulièrement du rôle d’une nouvelle méthode, la tomographie en cohérence optique (OCT) et décrirons les possibilités et les limites de cet examen diagnostique qui est utilisé de plus en plus de nos jours en ophtalmologie.
La NNO est la cause principale de baisse de vision aiguë chez le jeune adulte et celui d’âge moyen. De nos jours, aux Etats-Unis, elle est, après le glaucome, la neuropathie optique la plus fréquente. Son incidence est estimée entre 1 et 5/100 000 personnes/an. Elle se manifeste surtout chez des patients d’origine caucasienne et de sexe féminin et devient particulièrement rare chez les patients d’origine afro-américaine, africaine et asiatique. Dans 15-20 % des cas, la NNO est la manifestation primaire d’une SEP. Sa prévalence varie entre 40 et 50 % chez les patients atteints d’une SEP et des études post-mortem rapportent 100 % d’atteintes dans les autopsies pratiquées chez les patients de ce dernier groupe.
La NNO peut être la première manifestation d’une SEP, par contre la majorité des patients avec NNO ne développera pas de SEP.
Dans la vaste majorité des cas, le symptôme cardinal principal est une baisse aiguë de la vision. Sa présentation peut varier entre une acuité visuelle presque normale jusqu’à une perte visuelle complète, autrement dit une amaurose. Il est notamment important de se rappeler que cette baisse d’acuité peut se péjorer lors des deux semaines qui suivent sa première manifestation, et ce même si un traitement par corticostéroïdes a été introduit au départ.
Cette baisse de vision est typiquement accompagnée d’une douleur que le patient situe au-dessus ou derrière l’œil atteint. Dans l’étude ONTT (Optic Neuritis Treatment Trial), qui a suivi une cohorte de patients atteints de névrite optique dans le cadre d’une SEP entre 1988 et 2006, 92 % des patients ont rapporté présenter ces douleurs qui peuvent précéder de quelques jours la perte visuelle et qui sont souvent aggravées par des mouvements oculaires.
On suppose que les mouvements oculaires exercent une traction sur les couches externes du nerf optique avec une stimulation des fibres du nerf trijumeau associées à la douleur. Après 3-5 jours, ces douleurs diminuent nettement et une persistance de celles-ci devrait remettre en question le diagnostic initial de névrite optique.
Tous les patients avec une NNO souffrent d’une perturbation de la vision des couleurs. Cette dyschromatopsie est encore plus fréquente que la baisse de l’acuité visuelle et il s’agit d’un signe très sensible même si la baisse de l’acuité visuelle est seulement minime. Selon l’étude ONTT, la qualité de la dyschromatopsie peut varier et ne suit pas un schéma prédictif.
Un tiers des patients indique des phénomènes visuels positifs, comme la perception de petites étincelles qui peuvent être spontanées ou se déclencher après des mouvements oculaires ou des stimulations acoustiques. Ces photopsies sont rarement rapportées spontanément et elles doivent être recherchées activement à l’anamnèse.
Le phénomène d’Uhthoff est une autre manifestation typique d’une NNO. Il s’agit ici d’une altération des troubles visuels qui varie selon des modifications de la température ; par exemple lors d’une activité physique, d’une fièvre, d’un bain chaud ou d’une douche chaude.
La plupart du temps, une augmentation de la température peut altérer la conductibilité du nerf optique (et celle d’autres nerfs) et ainsi aggraver certains symptômes. Il faut néanmoins prendre en compte qu’un faible pourcentage des patients rapporte un effet paradoxal avec une amélioration des symptômes sous l’effet de la chaleur. Ce phénomène d’Uhthoff n’est cependant pas pathognomonique pour une NNO ou une SEP ; on l’observe aussi dans d’autres neuropathies du nerf optique comme la neuropathie optique de Leber et chez l’individu sain. La variation de la conductibilité du nerf optique en fonction de la température s’explique par des modifications de pH dans l’environnement proche du nerf et une altération conséquente de la transmission des potentiels d’action. Certains auteurs rapportent que la combinaison d’une NNO et d’un phénomène d’Uhthoff chez un même patient augmente le risque de développer une SEP chez ce dernier dans les années qui suivent son diagnostic.
Chez quelques patients, on retrouve une altération ou une perte de la vision stéréoscopique qui peut s’expliquer par le phénomène de Pulfrich : un pendule décrivant un mouvement latéral est perçu comme ayant une trajectoire elliptique avec une composante de profondeur. Cette altération de la perception s’explique par une différence de conductibilité entre les deux nerfs optiques résultant en une perception inégale de l’intensité lumineuse. Ce phénomène est également observé après une baisse de vision prononcée dans le cadre d’une NNO lors de la récupération de fonction du nerf atteint.
La baisse de vision peut être documentée par une mesure de l’acuité visuelle. Souvent, celle-ci est accompagnée d’une diminution de la sensibilité aux contrastes qui peut être mesurée avec les tableaux de Pelli-Robson. La dyschromatopsie, quant à elle, se mesure avec les tableaux pseudo-isochromatiques d’Ishihara ou avec des tests colorimétriques utilisant un panel défini de couleurs (Farnsworth-Munsell 100-Hue test, D-15, etc.).
La présence d’un déficit afférent pupillaire relatif (RAPD) est un critère obligatoire pour le diagnostic d’une NNO, même si l’acuité visuelle n’est pas atteinte. L’absence d’un RAPD dans le cadre d’une NNO doit entraîner une remise en question du diagnostic de NNO.
Chaque NNO présente une atteinte du champ visuel (CV) qui peut être précisée à travers une périmétrie cinétique ou statique. Il est intéressant de noter que d’après l’étude ONTT (tableau 3), 74 % des patients avec une NNO unilatérale pré sentent des déficits dans le champ visuel de l’œil non atteint. Lors d’une manifestation primaire d’une NNO, le champ visuel montre souvent un déficit diffus auquel s’ajoute un scotome central. Il faut être conscient qu’une NNO peut provoquer toutes sortes d’atteintes dans le champ visuel, parfois peu caractérisables.
Deux tiers des patients présentent un fond d’œil dans la norme, c’est-à-dire « le patient ne voit rien et le médecin non plus ». Un tiers des patients présente une papille proéminente, mal délimitée, qui est définie comme un œdème papillaire. On peut aussi parfois noter une atténuation de la visibilité des vaisseaux dans la région œdémateuse du nerf optique accompagnée occasionnellement d’une hémorragie papillaire ou péripapillaire (figures 1 et 2).
L’aspect d’une macula-star (dépôts lipidiques apparaissant suite à une extravasation de liquide dans la rétine péripapillaire) orientera le diagnostic vers une étiologie infectieuse plutôt que vers une maladie démyélinisante (figure 3).
En l’absence d’une récupération fonctionnelle, on peut observer le début d’une atrophie du nerf optique dès quatre semaines (figure 4).
Le diagnostic d’une NNO est un diagnostic clinique. Les examens complémentaires, y compris la ponction lombaire et l’imagerie, ne sont pas nécessaires pour l’établissement du diagnostic. L’IRM cérébrale et la ponction lombaire ont pour rôle d’évaluer le risque de développement subséquent d’une SEP. Les potentiels évoqués visuels (PEV) peuvent confirmer la présence d’une NNO, mais ne font pas partie des critères diagnostiques.
L’étude ONTT est l’étude de référence pour le traitement, l’évolution et la corrélation à la SEP de la NNO.1–3 Cette étude interventionnelle randomisée, multicentrique de phase 3 a étudié le bénéfice et les effets secondaires des corticostéroïdes pour le traitement des névrites optiques dans la SEP sur 457 patients depuis 1988. Les critères d’inclusion et les trois différents bras thérapeutiques de cette étude sont illustrés dans le tableau 4.1
Une des principales conclusions à laquelle les auteurs ont abouti après quinze ans de suivi concerne l’évolution de l’acuité visuelle dans les trois groupes de patients : ils ont observé qu’elle récupère rapidement dans une majorité des cas pour presque atteindre ses valeurs initiales après quatre à six semaines. Cette récupération était la plus rapide dans le groupe où les patients recevaient des corticostéroïdes par voie intraveineuse (IV), néanmoins le résultat fonctionnel était le même dans les trois groupes après un an de suivi. Ainsi, le traitement par corticostéroïdes IV à hautes doses, suivi d’un relais per os, accélère la récupération visuelle et diminue l’intervalle de rétablissement, mais n’a pas d’influence sur le résultat fonctionnel à long terme.2
Les déficits du champ visuel régressent dans une grande majorité de cas, mais ne disparaissent pas complètement. Statistiquement, le risque de développer une récidive après la première manifestation d’une NNO est de 28 % après un intervalle de cinq ans et augmente à près de 35 % à dix ans. Ces taux de récidive sont plus importants chez des patients ayant été diagnostiqués avec une SEP. Il est intéressant de noter que selon cette étude, il existe un taux de récidives élevé d’environ 30 % dans le groupe traité par des corticostéroïdes oraux avec un dosage de 1 mg/kg comparativement aux deux autres groupes (15 % chacun).
Une autre conclusion majeure de l’étude ONTT concerne l’effet protecteur de la prise de corticostéroïdes intraveineux pendant les deux premières années de traitement. Le risque de développer une SEP deux ans après une NNO avec une IRM suspecte est de 16 % dans le groupe traité par des corticostéroïdes IV, un risque plus faible comparativement aux deux autres groupes qui présentent un risque de 30 % chacun.
Le traitement d’une NNO avec des stéroïdes n’a aucune influence sur la probabilité de développer une SEP dans le futur.
Si l’on considère uniquement les critères cliniques, le risque de développer une SEP après une NNO est de 50 % dans les quinze années qui suivent son diagnostic. L’IRM nous permet de préciser ce risque en fonction du nombre de lésions. Chez des patients avec une NNO et une IRM normales, le risque de développer une SEP dans les quinze ans qui suivent est de 25 %. Si une SEP se développe, elle se manifestera dans les dix ans qui suivent la NNO. Après cet intervalle, le risque dans ce groupe chute à un taux de pratiquement 0 %. Un risque bien plus important de développer une SEP a été rapporté chez les patients présentant une IRM pathologique, c’est-à-dire montrant des lésions faisant suspecter une SEP. Dans ce groupe, le risque de développer une SEP après une NNO augmente progressivement jusqu’à 72 % dans les quinze ans suivant la NNO.1–3
Le nombre de lésions à l’IRM n’a pas une influence considérable sur le risque de développer une SEP. Le tableau 5 résume ce risque en fonction du temps et le résultat de l’IRM selon les résultats de l’étude ONTT.
L’examen le plus important pour évaluer le risque de développer une SEP chez les patients avec une NNO est l’IRM. Les autres facteurs influençant ce risque dans le contexte d’une IRM normale sont le sexe (le risque est trois fois plus élevé chez les femmes) et la localisation de la lésion (une manifestation rétrobulbaire présente un risque deux fois plus élevé). La perte complète de la vision sur un œil, l’absence de douleur, un œdème du nerf très marqué et des hémorragies papillaires diminuent le risque d’une SEP. Néanmoins, il est possible que ces patients présentent une NNO atypique, c’est-à-dire non associée à une maladie démyélinisante.
Dans le traitement de la NNO, il faut faire la distinction entre une NNO aiguë isolée, sans suspicion de SEP et les mesures thérapeutiques que l’on prend si la NNO est considérée comme un événement inflammatoire monophasique avec démyélinisation (clinically isolated syndrome) pouvant évoquer une SEP mais ne remplissant pas encore les critères diagnostiques (critères de McDonald). Si l’acuité visuelle ne s’améliore pas, certains auteurs préconisent de traiter le patient par immunoglobulines. Les avis divergent cependant dans la littérature concernant l’efficacité des immunoglobulines dans le cadre d’une NNO.4,5 Par contre, l’effet d’une plasmaphérèse dans une NNO résistant aux corticostéroïdes a été rapporté par plusieurs études cliniques et devient actuellement un traitement de choix dans ce contexte.
La décision d’initier une thérapie immunomodulatrice est prise si, dans le cadre d’une NNO, l’IRM est positive et si l’on considère que le patient présente un risque élevé de développer une SEP. L’efficacité d’un tel traitement est évaluée en fonction des critères que sont le nombre de poussés par an, de nouvelles lésions à l’IRM et le degré de handicap attribuable à la maladie (EDSS, Expanded Disability Status Scale). De nombreuses études rapportent une baisse du risque de survenue d’une SEP suite à un traitement immunomodulateur, toutefois aucune différence n’a été observée concernant le degré de handicap physique lorsque l’on compare cette thérapie avec un placebo.6–10
La NNO chez l’enfant se manifeste typiquement des deux côtés et, au contraire de l’adulte, dans deux tiers des cas un œdème papillaire y est associé. En plus d’une baisse de vision, les enfants rapportent souvent des céphalées. Il n’est pas rare qu’une NNO apparaisse après une infection ou une vaccination, souvent en association avec un épisode fébrile qui précède les troubles oculaires. Chez les enfants, le risque de développer une SEP est majoré dans le cadre d’une atteinte unilatérale. Le traitement consiste lui aussi en des corticostéroïdes et le pronostic en ce qui concerne la récupération est meilleur que chez l’adulte ; de plus, le risque associé au développement d’une SEP est moins important.
Un contexte clinique atypique de NNO doit immédiatement faire évoquer un possible diagnostic différentiel et remettre en question le diagnostic initial. Il faut toujours exclure une lésion compressive (à travers une IRM), une ischémie du nerf optique (artéritique ou non artéritique), une atteinte systémique (sarcoïdose, lupus érythémateux disséminé, maladie de Wegener) et une neuropathie optique de Leber. Les neuropathies paranéoplasiques dans le cadre d’une tumeur maligne existent, mais sont très rares. La neuromyélite optique de Devic peut présenter le même tableau clinique qu’une SEP et peut également se manifester avec une NNO bilatérale.11 Elle peut typiquement être suivie d’une paraparésie ou d’une paraplégie et se manifester à l’âge adulte ainsi que dans l’enfance. Cliniquement, la NNO, dans le cadre d’une maladie de Devic, n’est pas associée à des douleurs périorbitaires contrairement à la NNO démyélinisante. L’IRM est normale ou peut montrer des lésions aspécifiques qui ne remplissent pas les critères radiologiques d’une SEP. Un critère diagnostique de la neuromyélite optique est la présence d’une lésion au niveau de la moelle épinière à l’IRM au gadolinium sur trois plages vertébrales. Les anticorps contre l’aquaporine que l’on retrouve dans la neuromyélite optique ont une sensibilité de 75 % et une spécificité de plus de 90 %. La perte des cellules ganglionnaires rétiniennes objectivable à l’OCT est plus importante que dans une NNO associée à une SEP.12 Le traitement consiste à donner des corticostéroïdes et de l’azathioprine. De plus, dans la phase aiguë, une plasmaphérèse est recommandée.
L’OCT est une technique d’imagerie médicale qui utilise l’interférométrie avec une lumière proche de l’infrarouge pour visualiser certaines structures anatomiques (rétine, cornée) avec une résolution de l’ordre du micromètre. Cette technologie fait désormais partie des examens complémentaires fréquemment utilisés par l’ophtalmologue. Elle a récemment gagné en popularité entre autres au travers de son utilisation pour le traitement et le suivi de patients avec des œdèmes maculaires (par exemple, dans le cadre d’un diabète, d’une dégénérescence maculaire, etc.). Comme la rétine et le nerf optique sont les seuls endroits où les cellules ganglionnaires sont accessibles à une imagerie, l’OCT a pu être utilisée pour quantifier le processus de dégénérescence dans la NNO. Deux mois après une NNO, on peut ainsi observer une diminution de l’épaisseur de la couche des fibres nerveuses rétiniennes (RNFL) originaires des cellules ganglionnaires.13 Il faut noter que l’on observe également une diminution de l’épaisseur de cette couche chez des patients avec une SEP qui n’ont pourtant jamais souffert d’une NNO.14,15 La figure 5 montre les mécanismes postulés responsables de cette atteinte.
Il est évident que non seulement une NNO mais aussi des processus dégénératifs primaires sans manifestation clinique peuvent aboutir à une diminution des fibres nerveuses rétiniennes. De plus, une dégénérescence trans-synaptique se manifestant au niveau des radiations optiques peut être également à l’origine d’une diminution de l’épaisseur de cette couche.16 L’OCT est moins sensible que les PEV dans le diagnostic d’une NNO.17
L’OCT ne permet à l’heure actuelle aucun pronostic sur le risque d’une SEP après une NNO.
Le tableau 6 résume les arguments en faveur de l’utilisation de l’OCT dans la NNO et le tableau 7 les arguments en défaveur de l’OCT dans le contexte d’une NNO.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.