La rétinopathie diabétique (RD) est la principale cause de cécité chez les personnes en activité.1 Actuellement, 382 millions de personnes sont diagnostiquées dans le monde, avec une croissance attendue à 552 millions en 2030.2 Le diabète évolue donc de manière épidémique. Actuellement, en Suisse, 11,3 % de la population est atteinte du diabète, avec une incidence en augmentation.2 Les études épidémiologiques ont démontré que 25 % des diabétiques de type 1 présentent une RD à cinq ans, augmentant à 80 % à dix et quinze ans; et 25 % d’entre eux développeront une RD proliférative après quinze ans de maladie.3–5 Concernant le diabète de type 2, la prévalence de la RD est de 27,9 % pour les diabétiques connus et de 10,5 % pour les patients nouvellement diagnostiqués. Bien que le risque relatif de développer une RD soit traditionnellement plus élevé dans le diabète de type 1, les études récentes montrent que l’incidence de la RD ainsi que la prévalence globale de cécité ont diminué au cours des quinze dernières années, probablement en raison de la mise en œuvre de lignes directrices diagnostiques, thérapeutiques et préventives.6 Il paraît évident que la prévention des complications du diabète est capitale en termes de santé publique.
Quel est le meilleur dépistage ? Quel est le contrôle optimal des facteurs de risque de RD ? Comment le monde médical peut-il répondre à l’augmentation croissante du nombre de patients atteints ? Nous allons discuter des interventions nécessaires dans le dépistage de la RD.
L’impact socio-économique de la RD est très important si l’on considère que 72 % des diabétiques de type 1 développeront finalement une rétinopathie diabétique proliférante (RDP) et 42 % un œdème maculaire diabétique (OMD) nécessitant un traitement. 1,4 % des patients diabétiques de type 2 avec RD ont une maculopathie diabétique et 0,3 % une forme proliférante. Une étude suisse a calculé une dépense en soins de santé par personne dans les diabètes de types 2 et 1 d’environ 5294 US$ et 168 696 US$ respectivement, en raison de la RD seule.7 En outre, trois autres études indépendantes ont estimé les dépenses annuelles pour la RD à 8400 US$, 6342 US$ et 17 530 US$ respectivement, ne prenant pas en compte les dépenses pour les frais de soins hospitaliers, ni celles pour la thérapie pharmacologique oculaire.8 D’un autre côté, si les recommandations de traitement étaient appliquées, un coût estimé de 966 US$/personne/année et de 1120 US$/personne/année serait économisé pour les patients avec une RDP/OMD respectivement.9 Ces coûts sont moins élevés que le coût annuel causé par le déficit visuel, comme pour la prise en charge globale du diabète si l’on réalisait une intervention multifactorielle.10
Les trois principaux facteurs modifiables des complications diabétiques sont l’hyperglycémie, l’hypertension artérielle et la dyslipidémie (tableau 1).
Le premier but dans le traitement du diabète est le maintien de la glycémie au niveau minimum normal permettant d’éviter les effets secondaires. La relation entre glycémie et progression de la RD est déjà établie.11 Toutefois, l’ancien dogme selon lequel un contrôle étroit de la glycémie réduirait l’incidence de la RD de 76 %, et sa progression de 54 %, doit être corrigé vers le bas : à 11 %, signifiant que 89 % du risque est expliqué par d’autres facteurs.12 En outre, une récente méta-analyse implique une possible surestimation du contrôle glycémique.13 Néanmoins, les effets d’un bon contrôle glycémique ne sont pas négligeables et perdurent pendant au moins dix ans.14 Pourtant, une amélioration trop rapide d’une HbA1c longtemps élevée peut accélérer la progression de la RD, nécessitant un équilibre glycémique plutôt progressif et des contrôles trimestrielles dans la première année. Ce constat souligne l’importance particulière d’une approche multifactorielle.
L’hypertension artérielle est le second facteur de risque modifiable important dans la prévention de la progression de la RD. En effet, la réduction de la pression artérielle a montré une réduction significative de la RD (34 %), une amélioration de la fonction visuelle (47 %) et une réduction du besoin de recourir au laser (35 %).15 Cependant, des études pharmacologiques sur le système rénine-angiotensine ont montré des résultats controversés, à savoir que la prévention de la progression de la RD serait indépendante de la pharmacothérapie.16 Ainsi, bien que de nombreuses questions restent encore ouvertes, un meilleur contrôle de la pression artérielle est une composante importante dans la protection vasculaire réduisant le taux de rétinopathie.
Enfin, le contrôle lipidique intervient aussi dans la prévention de la RD. La dyslipidémie est un facteur de risque indépendant bien établi, associé à la progression de la RD pour le type 1.17 A ce jour, les thérapies hypolipémiantes basées sur les statines sont essentielles pour la protection vasculaire dans le diabète. Bien que leur rôle exact dans la prévention de la RD reste controversé, des études cliniques ont démontré des effets bénéfiques dans la réduction des exsudats durs et des microanévrismes rétiniens, ainsi que dans la nécessité d’un traitement laser.18 En outre, le fénofibrate a démontré une efficacité dans la réduction de l’OMD et la progression de la RD, de même qu’un traitement combiné avec le fénofibrate et la simvastatine est associé à une réduction de 40 % de la progression de la RD sur quatre ans. Bien que cela semble être en partie indépendant de l’effet hypolipémiant, ce double traitement peut être bénéfique particulièrement chez des patients diabétiques de type 2 dans le ralentissement de la progression de la rétinopathie établie.19
La relation réciproque entre fonction rétinienne et rénale dans la RD est déjà connue depuis 1986 sous le terme de « syndrome rénal-rétinien ».20 En effet, les études ont montré qu’une néphropathie diabétique prédispose à une RD plus agressive.21 Bien que ce risque ne soit pas clair pour le diabète de type 2, il existe une association similaire entre albuminurie et OMD.
La RD pendant la grossesse est d’une importance particulière avec des implications à la fois pour la mère et pour le bébé. Le dépistage avant la conception, pendant la grossesse ainsi que lors du post-partum est crucial.22 En général, les femmes enceintes non diabétiques qui développent un diabète gestationnel présentent rarement une RD, celle-ci étant en outre habituellement réversible en post-partum. Cela pourrait expliquer le fait que, dans certains pays ayant des programmes de dépistage établis, aucun examen du fond d’œil ne soit prévu.23 Au contraire, jusqu’à 58 % des femmes diabétiques de type 1 qui deviennent enceintes démontrent une progression de la RD, avec une forme proliférante dans 16 % des cas. La progression de la RD est liée à la rétinopathie de base, à la durée du diabète lors de la conception ainsi qu’à la présence de facteurs de risque coexistants comme l’hypertension. Par ailleurs, l’augmentation du métabolisme peut conduire à une apparition nouvelle d’un OMD qui peut se résoudre en post-partum. Au contraire, la régression d’une forme proliférante est moins probable. Par conséquent, toutes les patientes enceintes connues comme diabétiques doivent être étroitement surveillées avec examens ophtalmologiques fréquents.
De récentes études indiquent que le risque et l’incidence de développer une RD ainsi que l’incidence de la RD responsable d’une cécité sont en baisse chez les patients nouvellement diagnostiqués avec le diabète, pour une durée de la maladie comparable. Ceci pourrait être expliqué, au moins en partie, par la mise en œuvre progressive de lignes directrices à jour dans le diagnostic, le traitement des facteurs de risque ainsi que l’éducation accrue des patients6 (tableaux 2 et 3). Certaines études épidémiologiques récentes indiquent qu’un nombre important de diabétiques visés ne suivent pas encore les recommandations métaboliques et les traitements des facteurs de risque.24,25 Le plus grand obstacle à la prévention primaire du diabète est sa nature indolente et chronique. Cela impose la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire. Par exemple, l’inobservance au dépistage a été reconnue comme facteur de risque de rétinopathie menaçant la vision.26 Dans ce contexte, la relation médecin-malade ainsi que médecin généraliste-ophtalmologue et autres spécialistes est primordiale pour améliorer la compliance. Ce dialogue a permis d’améliorer progressivement la participation des diabétiques au dépistage de la RD et ainsi de diminuer son incidence et d’améliorer le rapport coût-efficacité. Des études récentes ont analysé la charge de travail que représente le diabète répartie entre les différents domaines de santé, notamment les visites régulières au médecin de famille, soulignant ainsi l’importance du médecin généraliste.27 Ce dernier reste le pivot central pour le patient comme pour les spécialistes concernés, dans cette prise en charge au long cours du diabète et de ses complications potentielles et actives.
La photocoagulation diminue le risque de baisse visuelle de moitié sur trois ans et aussi le risque de développer une RDP.28 En particulier, elle réduit significativement la perte visuelle sévère à deux ans (6,4 % vs 15,9 %), avec un effet plus important sur les yeux à « haut risque » (néovaisseaux prépapillaires, figures 1 à 4, hémorragie intravitréenne sur néovaisseaux), avec une diminution de 50 %. La même relation existe pour le laser focal et l’OMD. Néanmoins, les effets secondaires peuvent provoquer une réduction du champ visuel, une héméralopie, une modification de la vision des couleurs, une exacerbation d’œdème maculaire et un glaucome aigu.
L’avènement des inhibiteurs du facteur de croissance vasculaire endothélial (VEGF) a marqué l’un des progrès les plus importants en ophtalmologie moderne dans le traitement de la RD.
Le VEGF est un facteur favorisant la néovascularisation, qui rompt la barrière hémato-rétinienne et augmente la perméabilité vasculaire, favorisant ainsi la formation de l’œdème maculaire. Le nombre et l’ampleur des essais cliniques, menés jusqu’à présent, soulignent l’utilité d’un traitement anti-VEGF dans l’OMD (figures 5, 6 et 7). Cela a conduit à un abandon progressif des stratégies de photodestruction.
Actuellement, trois agents anti-VEGF sont disponibles en Suisse et en Europe (tableau 4).29 Le traitement est effectué à des intervalles d’une injection/mois pendant les trois premiers mois (phase de charge) avec surveillance étroite, d’éventuelles nouvelles injections étant décidées en fonction de l’évolution clinique. Le nombre moyen d’injections pour maintenir la vision dans les première, deuxième et troisième années de traitement est de 9, 3, et 2 respectivement.29
Une seconde option pharmacologique est l’utilisation de stéroïdes.30 Les trois types de stéroïdes intravitréens actuellement diversement utilisés dans le monde sont présentés dans le tableau 5. Leur autorisation d’utilisation est arrivée récemment, avec l’approbation de la Food and Drug Administration pour l’implant de dexaméthasone. Malgré leur efficacité, ils sont également associés à des effets secondaires comme une augmentation de la pression intraoculaire et la formation de cataracte, raisons pour lesquelles leur utilisation est plus fréquente dans un OMD persistant ou réfractaire, ainsi que dans les yeux pseudophakes.
Dans la foulée d’une mondialisation en cours, d’une urbanisation de la société et de l’insuffisance d’accès aux soins primaires dans certaines zones rurales, la tâche de détection, de prévention et de gestion de la RD est énorme.31 Le diabète est une maladie multisystémique qui affecte collectivement les professionnels de santé. Dans ce sens, la valeur de la prévention a de vastes implications individuelles et socio-économiques. La recherche de nouveaux biomarqueurs (par exemple, microanévrismes rétiniens, altérations du flux sanguin et du tonus capillaire rétiniens) ainsi que de nouveaux moyens de les détecter (imagerie à haute résolution : tomographie en cohérence optique à domaine spectral SD-OCT ou imagerie par résonance magnétique, imagerie rétinienne non mydriatique, imagerie rétinienne en large champ) pourrait apporter une solution. De même, l’avènement de la télémédecine a le potentiel d’étendre nos prestations de soins. Bien qu’ils ne puissent pas rendre compte de chaque maladie oculaire car certains signes sont détectables seulement lors d’un examen ophtalmologique, des programmes de dépistage basés sur la télémédecine ont déjà été développés.32 Leur avantage est clair : un plus large dépistage de la population diabétique, en particulier dans les populations isolées, avec mauvaise observance du suivi ou absence d’accès aux soins, en réduisant la morbidité et la mortalité. Finalement, ces avancées peuvent être considérées en termes de dépistage mais ne rivalisent pas en termes de sensibilité avec la réalisation d’un fond d’œil qui reste le gold standard.
La principale difficulté dans la prévention des effets secondaires du diabète se trouve dans sa nature indolente. Bien que des modalités de traitement efficaces existent, un nombre significatif de patients atteints avec menace visuelle peuvent ne pas avoir de symptôme. Ainsi, l’évaluation continue de la rétinopathie est une stratégie nécessaire. La mise en œuvre de soins multifactoriels, avec bénéfice pour les autres organes cibles, est aussi efficace que le dépistage continu. Malheureusement, la compliance au traitement diminue avec le nombre de comprimés que le patient doit prendre.33 Dans ce sens, une plus étroite coopération entre les endocrinologues, les médecins généralistes et les ophtalmologues peut fournir une plateforme de travail efficace et simple, avec des suivis raisonnables et de nouvelles thérapies multicibles.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Le diabète progresse de manière épidémique et, de ce fait, nécessite une prévention adaptée visant à éviter les complications
▪ La théorie ancestrale selon laquelle une réduction stricte de l’HbA1c suffirait dans la prévention de la rétinopathie diabétique (RD) a dû être réévaluée au cours des dernières années vers une approche multifactorielle des facteurs cardiovasculaires et métaboliques
▪ Actuellement, ce type d’approche est largement accepté dans le traitement des complications microvasculaires liées au diabète, dont la RD
▪ La collaboration entre les différentes disciplines (ophtalmologues, endocrinologues, généralistes) est capitale. La mise en œuvre de soins multifactoriels, avec bénéfice pour tous les organes cibles, est aussi efficace que le dépistage continu. Dans cette mesure, une plus étroite coopération entre les différents soignants pourra fournir une plateforme de travail