L’épaule a subi des changements fonctionnels à travers l’évolution de l’être humain. Lors de l’acquisition de la bipédie, elle est passée d’une articulation portante à une articulation portée facilitant la préhension.1L’insuffisance relative de la coiffe des rotateurs résultante et l’importante mobilité soumettent l’épaule à de fortes contraintes et à des conflits entre les structures osseuses ou les parties molles,2expliquant la prévalence élevée des lésions rencontrées.3
Les mouvements de l’épaule reposent sur une musculature extrinsèque (principalement le muscle deltoïde) et intrinsèque (la coiffe des rotateurs) servant à stabiliser la tête humérale en face de la cavité glénoïde et à contrer l’effet luxant du muscle deltoïde. Lors d’une lésion de la coiffe des rotateurs, la contraction du deltoïde n’a plus d’opposition. Le vecteur de force qui en résulte fait monter la tête humérale et affaiblit le pivot de l’articulation. L’élévation antérieure active est affaiblie, voire impossible alors que l’élévation passive reste possible (par opposition à l’épaule gelée, appelée aussi capsulite rétractile, où les amplitudes aussi bien actives que passives sont limitées) ; on parle alors d’épaule pseudoparalytique. Il existe alors deux modalités de traitement : soit la reparation de la coiffe des rotateurs, soit l’implantation d’une prothèse totale d’épaule inversée (PTEI) (figure 1).4Les prothèses anatomiques ne sont pas adaptées lorsqu’une lésion de la coiffe est associée à une omarthrose. Une réparation de la coiffe est envisageable si la qualité des muscles et des tendons est suffisante pour assurer un bon pronostic. En présence d’une coiffe des rotateurs irréparable ou d’atteinte significative de l’articulation gléno-humérale, la PTEI représente le traitement de choix. Cette prothèse est de préférence implantée après l’âge de 60 ans. Les excellents résultats obtenus et la multiplication des indications expliquent son utilisation prédominante de nos jours.
Le but de cet article est de rappeler les principes biomécaniques de la PTEI et de passer en revue ses indications et les résultats obtenus.
En présence d’une lésion de la coiffe des rotateurs, le seul muscle demeurant capable d’élever le membre supérieur est le muscle deltoïde. Afin de permettre une élévation antérieure active satisfaisante, sa fonction doit être potentialisée. En médialisant et abaissant le centre de rotation de l’articulation gléno-humérale, les prothèses inversées augmentent le moment de force du deltoïde et le remettent en tension, facilitant le recrutement des fibres musculaires. La fonction est donc rétablie en modifiant la morphologie de l’articulation. Le type d’articulation change ; il s’agit désormais d’une charnière (hinge joint) qui nécessite davantage de place pour bouger, dans la mesure où elle ne tourne plus sur elle-même (spinning joint) comme la prothèse anatomique, mais autour de la glénosphère, ce qui engendre des conflits osseux pouvant limiter les amplitudes articulaires.5,6
Cette prothèse a été développée par Paul Grammont initialement pour le traitement de l’omarthrose, associée à une insuffisance de la coiffe des rotateurs chez la personne de plus de 70 ans.7 La PTEI a permis de prendre en charge bon nombre de situations qui restaient auparavant sans traitement. En conséquence, nous avons assisté ces dernières années à une veritable « inversomania ». Son utilisation doit néanmoins être pondérée. Il est par exemple souvent préférable de réparer la coiffe des rotateurs, même en cas d’épaule pseudo-paralytique,8 plutôt que d’opter d’emblée pour un design inversé. En réalité, il existe une indication à la mise en place d’une PTEI uniquement lorsqu’il n’y a pas de meilleure option. Le tableau 1 présente les différentes indications retenues à ce jour. A noter que l’insuffisance seule du deltoïde n’est plus considérée comme une contre-indication absolue.9 Il n’y a, par contre, pas de limite d’âge supérieure, l’âge en soi n’étant pas une contre-indication à une qualité de vie acceptable.
Les résultats sont dans l’ensemble très satisfaisants (98 % des cas),9–12 partant du principe que la qualité de vie d’un patient, qui a une fonction scapulohumérale déplorable et d’importantes douleurs, sera améliorée par la chirurgie. La recuperation fonctionnelle peut déjà être obtenue après quelques jours ou quelques semaines (figure 2), notamment grâce au développement de nouvelles voies d’abord peu invasives.13 Un des auteurs de cet article (A. Lädermann) s’est intéressé à mieux comprendre les différents revers de cette chirurgie, afin d’améliorer les résultats cliniques et radiologiques à long terme.
Nous avons démontré que l’expérience du chirurgien joue un rôle-clé pour le résultat et la maîtrise des complications.14 Cette chirurgie devrait être réservée à des spécialistes de l’épaule.
En raison de la médialisation du centre de rotation ou d’une latéralisation de l’humérus trop importante, des conflits osseux peuvent se développer entre respectivement le bord médial du composant huméral et le col scapulaire ou de l’humérus avec l’acromion, et limiter ainsi la mobilité postopératoire. A long terme, le conflit scapulo-huméral est la complication la plus fréquente.15 Il peut désormais être limité par un design prothétique optimal.6 Habituellement, le temps et les mouvements répétitifs permettent d’estomper ces conflits (la PTEI avec son nouveau design inversé de type charnière doit faire sa place), ce qui explique que le résultat définitif est généralement obtenu après un an. L’arrivée sur le marché de logiciels de planification préopératoire permet désormais de planifier, avant l’opération, le type d’implant et son positionnement idéal, ce qui devrait permettre l’obtention de meilleurs résultats cliniques.
Un manque de remise en tension du deltoïde peut être la cause d’instabilité12 ou de mauvaise fonction,11,16 alors que l’abaissement du centre de rotation lié au design peut engendrer un allongement du bras avec étirement neurologique (ne conduisant qu’exceptionnellement à des atteintes cliniques).17 Des techniques de planification pré et peropératoire ont été développées afin de parer à ces diverses complications.12
L’incidence d’infections est de l’ordre de 5 %, un taux supérieur à celui rapporté lors d’arthroplastie anatomique. Cela peut s’expliquer en raison de l’état général diminué des patients, de chirurgie de révisions avec dissection chirurgicale importante et d’un large espace mort sous-acromial, lié à l’allongement du bras, permettant la formation d’hématomes postopératoires.
Des stratégies ont été mises en place ces dernières années afin de limiter ce risque au maximum. Les patients prennent des douches avec savon antiseptique la veille et le matin de la chirurgie, reçoivent une antibiothérapie à l’induction qui est poursuivie durant 24 heures. De surcroît, une antibiothérapie locale est administrée en fin d’intervention. Finalement, de nouveaux designs ont permis de diminuer l’espace mort sous-acromial.
Le protocole de rééducation dépend de la technique chirurgicale, des tendons qui ont été éventuellement détachés et de la tenue de la prothèse. Elle doit être douce, progressive et non douloureuse. Pour les PTEI avec ténotomie du sous-scapulaire ou abord transdeltoïdien, le port d’une simple écharpe est recommandé durant quatre semaines. La rééducation est initialement passive durant le temps de cicatrisation du sousscapulaire, puis active. Des exercices de renforcement ne sont jamais préconisés, la force revenant progressivement d’ellemême. Par contre, lorsqu’aucun muscle n’est sectionné (PTEI par voie deltopectorale sans ténotomie du sous-scapulaire), une immobilisation postopératoire n’est pas nécessaire. La rééducation active est entreprise dès le lendemain du geste et toutes les activités peuvent être reprises immédiatement. Ceci a permis de limiter d’une manière drastique les durées d’hospitalisation et de permettre aux patients de rentrer à domicile sans passer par des centres de rééducation.
La PTEI permet actuellement de diminuer les douleurs et de restaurer la fonction articulaire, au prix d’une brève phase de convalescence. Il s’agit d’une excellente option si l’indication est bien posée et le geste bien réalisé. Grâce aux logiciels de planification préopératoire, aux instruments spécifiques pour chaque patient et aux nouveaux designs prothétiques arrivant sur le marché, les résultats vont continuer à s’améliorer
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les prothèses anatomiques ne sont pas adaptées lorsqu’une lésion de la coiffe est associée à une omarthrose
▪ Une réparation de la coiffe est envisageable seulement si la qualité des muscles et des tendons est suffisante pour assurer un bon pronostic
▪ Il n’y a pas d’âge limite pour proposer une PTEI (prothèse totale d’épaule inversée) si cela conduit à une amélioration de la qualité de vie
▪ Lorsque le muscle sous-scapulaire et le muscle deltoïde sont épargnés lors de l’implantation d’une PTEI (voie deltopectorale sans ténotomie du sous-scapulaire), une immobilisation postopératoire n’est pas nécessaire