Considérées comme un simple produit de dégradation aux origines antédiluviennes, les matières fécales sont actuellement portées au firmament par la communauté scientifique, au sens large du terme, après le succès éblouissant des premiers cas de transplantation fécale effectuée chez des patients atteints de colite à Clostridium difficile.1 Chaque mois, d’autres indications thérapeutiques de la transplantation fécale viennent s’ajouter à la longue liste des vertus fantasmées de ces déjections à haute valeur ajoutée potentielle et très faible coût financier. Que d’espoirs animent donc les professionnels de la santé ! Il paraît dès lors opportun pour ne pas dire judicieux de revenir aux faits objectifs de cette nouvelle classe thérapeutique avant d’en entrevoir les éventuelles applications majeures de demain.
La problématique de la colite à Clostridium difficile consiste en la difficulté d’éradication de ce pathogène et son haut risque de récurrence estimé à 15-20 %.2 Après l’échec des antibiotiques classiques adaptés à cette affection digestive, le recours à la transplantation fécale est devenu l’un des standards admis par la communauté scientifique. Le principe est donc simple : on remplace un « organe » malade (le microbiote digestif) par un « organe » sain en instillant les matières fécales quasi brutes d’un donneur en bonne santé à un malade au moyen d’une sonde nasoduodénale, d’un endoscope ou encore en demandant au malade d’avaler des gélules renfermant la précieuse substance. Alors que des études ont prouvé le succès de cette thérapeutique sur le plan clinique, nul ne connaît le mécanisme d’action précis de cette transplantation et beaucoup se sont déjà perdus en conjectures approximatives. La restauration de la diversité microbienne au sein du tube digestif demeure à ce jour la seule certitude avérée de la transplantation fécale.3
Chaque mois, d’autres indications thérapeutiques de la transplantation fécale viennent s’ajouter à la longue liste des vertus fantasmées
Les matières fécales contiennent une quantité astronomique de bactéries, estimées à environ 1013 bactéries par ml, bactéries dont, par ailleurs, chaque être humain détient un assortiment tout à fait unique. Alors qu’on connaît depuis longtemps le rôle du microbiote dans les processus de digestion ou de synthèse d’acides gras ou de vitamines, ce n’est que depuis quelques années qu’on a identifié le rôle du microbiote dans certaines voies métaboliques d’importance. Le microbiote devrait être à cet égard considéré comme un « organe à part entière » au même titre que le pancréas ou le rein. Les évidences sont élevées pour ce qui concerne les relations microbiote-obésité tant chez la souris que chez l’homme.4–6
Les relations microbiote et système nerveux central sont plus ténues et pour le moins mystérieuses, n’empêchant cependant pas certains auteurs d’avoir déjà dans leur point de mire le traitement par la transplantation fécale de la dépression de l’autisme ou de la sclérose en plaques.7,8 A tort ? Pas tout à fait ! On sait d’ores et déjà que la flore digestive des patients souffrant de ces affections est différente en termes qualitatifs de celle d’individus sains. On suppute à juste titre que le microbiote produit de multiples molécules encore inconnues à ce jour mais dont les actions peuvent être comparables à celles des neurotransmetteurs conventionnels. Les données animales renforcent encore les espoirs de ces nouveaux axes thérapeutiques : des souris axéniques peu sociables et peu actives le deviennent après transplantation fécale, d’autres anxieuses et déprimées voient leur comportement significativement s’améliorer après transplantation.9 Nous nous trouvons donc résolument à l’orée d’une médecine « bench to bedside » dont les résultats chez l’homme sont attendus avec une impatience enthousiaste, pour ne pas dire plus.