L’obésité est définie selon l’OMS comme une accumulation excessive de graisse qui présente un risque pour la santé.1 La raison ultime de cette accumulation excessive est toujours un déséquilibre de la balance énergétique, en d’autres termes un apport alimentaire excédant la dépense énergétique.
L’apport alimentaire excessif est la résultante d’une multitude de facteurs qui aboutissent à un comportement alimentaire pathologique. Dans ce comportement pathologique, entrent en jeu plusieurs composantes, comme une dérégulation hormonale et / ou neurologique,2 ou une altération d’ordre comportemental.3 A leur tour, les fonctions hormonale et neurologique aussi bien que le comportement lui-même sont influencés par la génétique, l’épigénétique et l’environnement.4 A tout ceci s’ajoutent également les effets de certains traitements médicamenteux. Les éléments que nous venons de citer ne sont que les plus connus dans une longue liste. Celle-ci est très vraisemblablement destinée à s’allonger. Par conséquent, nous n’aurons probablement jamais fait le tour de tous les éléments responsables du dérèglement de l’apport énergétique.
La dépense énergétique globale est composée pour l’essentiel par le métabolisme de base et l’activité physique. S’il est vrai qu’il existe une variabilité individuelle du métabolisme de base, il n’y a pas de preuve qu’une réduction de la dépense énergétique liée à une diminution du métabolisme de base joue un rôle significatif dans le développement de l’obésité. Par contre, la sédentarité est un facteur unanimement reconnu comme responsable majeur de l’actuelle épidémie d’obésité.5
Il est bien connu que l’obésité est un fléau avec de multiples complications de santé. Le but ici n’est pas de décrire toutes les comorbidités qui lui sont liées mais simplement de rappeler qu’il s’agit de pathologies graves, à caractère chronique et souvent invalidantes. En 2010, une déclaration de l’OMS indiquait que l’augmentation de l’incidence de l’obésité avait atteint les proportions d’une épidémie mondiale et qu’au moins 2,8 millions de personnes décédaient chaque année des conséquences de leur surpoids ou obésité.6 Dans une mise à jour effectuée par la même organisation en mai 2014, ce chiffre a augmenté jusqu’à 3,4 millions.7
L’obésité est une maladie chronique. Il n’existe ainsi jamais de guérison. Même si l’objectif principal du traitement médical est la perte de poids, la rechute fait partie de la règle. En effet, seulement 20 % des patients qui ont obtenu une perte de poids manifeste arrivent à la maintenir sur le long terme.8 Le challenge médical revient à établir une relation thérapeutique étroite et sur le long terme, dans le but de limiter l’intensité et la durée de ces rechutes.
Le développement de comorbidités est une conséquence inévitable de l’obésité. Celles-ci vont toucher, comme cité précédemment, le système cardiovasculaire, le contrôle métabolique et le système ostéoarticulaire, entre autres. De plus, il est également bien connu que l’obésité est très souvent associée à des pathologies de la sphère psychique. Ainsi, dans son cursus de vie, le patient obèse devient tôt ou tard un malade compliqué, ce terme indiquant la présence simultanée de plusieurs maladies chez un même individu.
Chez le patient obèse, ces multiples pathologies chroniques coexistent souvent avec des problématiques d’ordre personnel ou contextuel, comme l’exclusion sociale, un bas niveau culturel, ou encore des problèmes financiers. L’interaction entre facteurs socioculturels et pathologies multiples engendre des situations bien souvent très difficilement gérables, voire ingérables. Ceci correspond au concept de maladie complexe, cette dernière étant l’aboutissement de situations sous-jacentes infiniment nombreuses, et dont les conséquences sont imprévisibles.9
Au vu de ce qui précède, il apparaît très clairement que la prise en charge d’un patient souffrant d’obésité doit impérativement être globale. Le patient obèse fait couramment l’objet d’un traitement multidisciplinaire du fait de ses multiples comorbidités (maladie compliquée). L’histoire naturelle de l’obésité, évoluant toujours vers une maladie complexe, impose un traitement global du patient par le biais de l’interdisciplinarité. En effet, le travail interdisciplinaire s’efforce de créer des interactions entre les différents intervenants, d’intégrer et coordonner l’activité de chacun et d’établir des buts thérapeutiques communs.
Dans l’optique d’une prise en charge globale, l’Association européenne pour l’étude de l’obésité (EASO) a créé un réseau international de centres publics ou privés spécialisés dans le traitement de l’obésité. Les buts de ce réseau sont multiples : tout d’abord, offrir aux patients un traitement interdisciplinaire grâce à la création d’équipes de thérapeutes ayant différentes formations. Deuxièmement, établir des échanges d’informations et la mise en commun de données dans le but de favoriser l’analyse, la réflexion et le possible développement de projets d’études.10–12
De plus en plus, dans les milieux de soins, ce concept d’interdisciplinarité est bien accepté. Or, dans la réalité, nous sommes souvent bien loin d’une bonne mise en pratique. Les raisons sont nombreuses, les principales nous semblent être les suivantes : en tant que soignant, partager avec d’autres soignants demande du temps, de l’énergie. Cela nécessite une souplesse d’esprit, un degré obligatoire de remise en question car, dans la collaboration, il faut sans cesse s’adapter aux autres.
Un autre point important est la difficulté de mettre en place un matériel logistique commun et, en particulier, des dossiers communs. A ce titre, les progrès de l’informatique nous aident et nous aideront très probablement à avancer dans ce domaine.13
Le secret médical indispensable pour préserver les intérêts des patients représente aussi un obstacle à l’interdisciplinarité. Souvent, les patients et également les médecins s’opposent à partager des données de santé afin de sauvegarder ce secret médical. De ceci, il découle que tout ne peut pas être partagé. Ainsi, il nous faut impérativement définir avec nos patients les limites entre les éléments du dossier à transmettre et ceux qui doivent rester confidentiels. En reprenant l’exemple de l’outil « dossier informatisé partagé », ces notions ont été bien prises en compte en donnant la possibilité au patient de décider quel élément est, ou n’est pas visible et par qui.
Concernant le partage des informations, les collaborations entre médecins somaticiens et psychiatres sont souvent particulièrement difficiles. Plusieurs écoles psychothérapeutiques clivent les aspects psychiques et somatiques alors que ces composantes se côtoient en permanence chez l’individu. Il nous semble donc difficile, voire même impossible de prendre en charge des patients de façon correcte sans une réelle collaboration entre médecins psychiatres et somaticiens.
En 2011, s’est créé à Genève un groupe de médecins praticiens qui, ayant différentes formations, ont en commun une longue expérience dans le traitement de l’obésité. Ce groupe est composé d’internistes, d’endocrinologues, de psychiatres, de pédiatres, de chirurgiens bariatriques et de chirurgiens plasticiens. Le but de l’association est de mettre en pratique les principes de l’interdisciplinarité illustrés dans les chapitres précédents.
Il est évident que le concept d’interdisciplinarité s’étend également à d’autres thérapeutes et, en particulier, aux médecins de famille, dont la collaboration est indispensable. Dans ce travail, doivent aussi être impliqués les nombreux autres professionnels de la santé tels que psychologues, diététiciens, physiothérapeutes bien souvent présents aux côtés de nos patients obèses.
A l’intérieur de l’Association, le travail interdisciplinaire s’applique à différentes activités : cela peut concerner le traitement spécifique d’un patient, quand ce dernier est suivi par plusieurs membres du groupe. Des consultations communes entre patient, médecin somaticien et médecin psychiatre sont organisées. Des réunions ont lieu à intervalles réguliers permettant aux membres de l’association de solliciter l’avis des autres spécialistes sur un cas qui leur pose problème. Un dossier médical commun spécifique à l’obésité est à l’étude. Ce dossier pourrait être intégré dans le dossier électronique partagé qui est actuellement mis en place par l’Etat de Genève.
L’approche interdisciplinaire s’applique aussi à la réflexion sur différentes problématiques liées à l’obésité. Les thèmes à approfondir, proposés par un ou plusieurs membres du groupe, font d’abord l’objet d’une mise au point en ce qui concerne les données de la littérature. La synthèse de ce travail est ensuite présentée au groupe. Chaque membre est invité à exprimer son point de vue et à contribuer au débat. La visibilité du GITO est assurée par un site internet (gito-ge.ch) ainsi que par des publications dans des journaux scientifiques.14
Le traitement des maladies complexes nécessite une prise en charge globale du patient et, donc, une approche interdisciplinaire. L’activité du GITO s’inscrit dans ce concept pour essayer d’améliorer la prise en charge du patient obèse.
Les auteurs remercient le Professeur Francis Waldvogel pour l’aide apportée à l’élaboration de cet article.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’obésité étant une maladie complexe, son traitement global ne peut se pratiquer qu’en interdisciplinarité
▪ L’interdisciplinarité implique non seulement un travail à plusieurs mais également une forte interaction entre soignants
▪ A Genève, s’est créé en 2011 le Groupe interdisciplinaire pour le traitement de l’obésité (GITO) afin d’améliorer la prise en charge médicale des patients obèses