L’actualité et la proximité de l’été nous rapprochent des tiques et des pathologies qui leur sont associées. Poursuivons la lecture de l’exposé que vient de faire1 l’Institut national français de la recherche agronomique (Inra) sur les différents travaux originaux menés sur ce thème ; travaux de recherche allant d’études fondamentales jusqu’à la recherche participative impliquant les citoyens (RMS 2017;13:1218-9).
L’un de ces travaux, baptisé « OH Ticks », est un projet de recherche dédié au diagnostic des maladies à tiques. On sait que le diagnostic de la maladie de Lyme est difficile à établir et que les tests actuellement sur le marché alimentent de nombreuses controverses.2 « Une vingtaine de tests de diagnostic sont commercialisés en France auxquels on reproche leur manque de fiabilité » souligne l’Inra.
Il faut ici compter avec le fait qu’outre Borrelia burgdorferi la tique Ixodes peut porter et transmettre de nombreux autres pathogènes (cinq microbes différents ont été retrouvés sur la même tique), cette co-infection compliquant le diagnostic et pouvant expliquer les symptômes atypiques et déroutants, observés chez de nombreux patients. Le projet « OH Ticks » coordonné par l’Inra a précisément pour but de mieux connaître les agents pathogènes transmis par les tiques afin de pouvoir proposer des tests de diagnostic adaptés.
« Dans certains cas le diagnostic de la maladie de Lyme de personnes qui se sont fait piquer est négatif même si ces personnes présentent les symptômes de la maladie, explique Muriel Vayssier-Taussat, chef du département scientifique Santé animale de l’Inra et coordinatrice du projet. D’autres sont séropositifs mais le traitement antibiotique reste inefficace ». Deux hypothèses peuvent ici être avancées : des pathogènes (encore inconnus) transmis par les tiques pourraient être responsables de maladies encore non diagnostiquées ; l’existence d’une co-infection associant les bactéries responsables de la maladie de Lyme et d’autres pathogènes, parasites ou virus résistant au traitement antibiotique prescrit.
Or ce phénomène de co-infection entre différents microbes transmis par les tiques a déjà été confirmé par l’équipe de Muriel Vayssier-Taussat après une collecte de 267 tiques Ixodus ricinus dans les Ardennes françaises. « Nous avons notamment trouvé d’autres bactéries, en particulier des bartonelles et des rickettsies. Environ 20 % de tiques en sont infectées ». Les malades séronégatifs pour Lyme étaient-ils infectés par ces bactéries ? La démonstration a été faite au cours d’une autre étude en collaboration avec l’unité des Rickettsies de Marseille et des médecins généralistes auprès de soixante-six patients piqués par des tiques et déclarés séronégatifs pour Lyme. La moitié des malades étaient infectés soit par des bartonelles, soit par des rickettsies et certains étaient infectés par les deux. « Les bartonelles donnent des symptômes peu spécifiques. On peut donc imaginer que des malades séronégatifs pour Lyme soient en fait atteints de bartonellose, ou d’autres infections qu’on ne diagnostique pas encore », souligne Muriel Vayssier-Taussat.
Les prélèvements sanguins réalisés auprès des soixante-six patients provenant de la France entière, puis la mise en culture, ont d’autre part révélé la présence, chez six personnes, de bactéries appartenant au genre Bartonella. Et le séquençage du génome de chacun des six isolats bactériens a montré que trois souches appartenaient à l’espèce Bartonella henselae, connues pour être hébergées chez les chats – et responsables chez l’homme de la maladie des griffes du chat. Les trois autres souches identifiées sont des espèces réputées pour être hébergées par la faune sauvage et jusqu’à présent jamais isolées chez l’homme : Bartonella doshiae chez les campagnols et mulots, Bartonella tribocorum chez les rats et Bartonella schoenbuchensis chez les cervidés.
Le projet « OH Ticks » a pour but de mieux connaître les agents pathogènes transmis par les tiques
« Ces résultats révèlent pour la première fois la présence de Bartonella issues de la faune sauvage chez des patients piqués par des tiques, précise l’Inra. Ils permettent d’envisager des traitements thérapeutiques adaptés aux espèces bactériennes identifiées. L’identification de ces nouvelles bactéries devrait en outre contribuer à améliorer les techniques de diagnostic des maladies à tiques. »
Le projet « OH Ticks » réunit des médecins du réseau Sentinelles, des CHU répartis sur la France entière, l’Institut Pasteur ainsi que des médecins vétérinaires. Il se fonde notamment sur les nouvelles méthodes de séquençage haut débit pour identifier d’éventuels nouveaux microbes. Il a pour ambition de mettre au point les techniques qui permettront de prouver le lien entre la morsure de tique, la présence d’un microbe et les symptômes chez l’hôte. Ces résultats seront ensuite utilisés pour développer de nouveaux tests de diagnostic adaptés.
L’exploration du microbiote de la tique à l’aide du séquençage haut débit (Next Generation Sequencing), associé à la bioinformatique, permet notamment de contourner les difficultés de mise en culture d’organismes inconnus (composition des milieux de culture, besoin en oxygène, …), ou l’impossibilité de mise en évidence de bactéries inconnues par PCR. « Rapide et fiable, cette technologie est en passe de révolutionner le domaine du diagnostic, souligne l’Inra. Des nouveaux microorganismes identifiés, les chercheurs ont extrait l’ensemble des ARN – témoins de la présence de microorganismes viables – de tiques Ixodes ricinus prélevées en Alsace et dans les Ardennes françaises. »
Les ARN séquencés ont permis de dresser un tableau d’ensemble des micro-organismes – bactéries, virus et protozoaires – présents chez les tiques. C’est ainsi qu’a été mise en évidence la présence (inattendue) des bactéries Borrelia miyamotoi et Neoehrlichia mikurensis, toutes deux associées à des fièvres sévères, de nouvelles espèces de parasites Babesia et Theileria potentiellement associées à des maladies et d’un virus, le virus Eyach, suspecté pour être à l’origine de maladies chez l’homme. De nombreux nouveaux virus identifiés dans ces tiques sont en cours de caractérisation. « Pour exploiter ces résultats, quelques partenariats avec des acteurs industriels sont déjà prévus et les scientifiques souhaitent développer des relations avec des industriels du secteur de la santé humaine et / ou animale » souligne l’Inra.
Peut-on espérer la mise au point d’un vaccin ? Des recherches sur ce thème sont menées par Sarah Bonnet, directrice de recherche à l’Inra et coordinatrice du projet Vactix. Ces travaux ciblent des molécules de la tique elle-même et non pas ceux des microbes dont elle est le vecteur. Une telle approche pourrait ainsi se révéler efficace contre plusieurs agents infectieux. « Nous travaillons directement sur les molécules de tiques Ixodes ricinus qui sont impliquées dans deux types de fonction : la prise du repas sanguin de l’arthropode et la transmission des agents pathogènes » explique Sarah Bonnet.
C’est ainsi que les chercheurs impliqués dans ces travaux en viennent à se pencher sur la physiologie des glandes salivaires des tiques et qu’ils étudient les molécules qui interviennent dans la mécanique de la transmission des microorganismes vectorisés. Sur la base de la comparaison des tiques infectées et non infectées, ils ont pu mettre en évidence environ huit cents gènes surexprimés dans les glandes salivaires des tiques infectées. « Ce travail permet également d’approfondir les connaissances sur les interactions moléculaires entre les tiques et les agents pathogènes qu’elles véhiculent, souligne l’Inra. Cinq de ces gènes sont en cours d’étude chez la souris et des tests d’efficacité vaccinale sont prévus prochainement chez le mouton avec le plus avancé des candidats vaccins, IrSPI (un inhibiteur de sérine protéase). En cas de résultats positifs, ces recherches pourront alors être appliquées chez les animaux domestiques avant d’envisager une application chez l’homme. »
(Fin)