Les tumeurs cartilagineuses sont des pathologies rares, dont la découverte est souvent fortuite sur une imagerie réalisée pour une autre raison. Parfois symptomatiques (douleur, raideur articulaire, déformation, fracture), elles doivent motiver une exploration clinique, radiologique, et histopathologique. La prise en charge dépend des lésions identifiées et peut comporter un simple suivi clinique ou un geste chirurgical complexe, fruit d’une discussion menée par une équipe multidisciplinaire composée de radiologues, pathologues et chirurgiens. La découverte d’une lésion cartilagineuse induit souvent une dose d’inquiétude non négligeable chez les patients atteints. Leur connaissance, par le médecin traitant et le chirurgien orthopédiste, nous semble indispensable afin de proposer une prise en charge optimale qui devra se faire dans un centre spécialisé.
Les tumeurs cartilagineuses sont rares et leur découverte est souvent fortuite sur une imagerie réalisée pour une autre raison. Leur diagnostic se pose par confrontation des données épidémiologiques, radiologiques et anatomopathologiques. La première étape repose sur la clinique et l’analyse de clichés radiographiques standard. Le siège de la lésion (épiphyse, métaphyse, diaphyse), son étendue et son aspect permettent dans un grand nombre de cas d’orienter le diagnostic et d’estimer le degré d’agressivité. La biopsie s’impose au moindre doute diagnostique, au terme d’une démarche rigoureuse, en concertation avec les différents acteurs. Toute erreur de prise en charge initiale peut s’avérer désastreuse pour la suite du traitement,1 et justifie, dès qu’une tumeur cartilagineuse est suspectée, d’orienter le patient vers une équipe pluridisciplinaire capable d’assurer le traitement tant sur le plan chirurgical qu’oncologique.
Cet article a pour objectif de rappeler les différentes tumeurs originaires du cartilage et de donner les éléments clés orientant leur diagnostic et leur prise en charge.
Communément appelé exostose, l’ostéochondrome est la tumeur osseuse bénigne la plus fréquente, avec une prévalence difficile à estimer en raison de son caractère habituellement asymptomatique. Il représente 35 % des tumeurs osseuses bénignes, 8 % de l’ensemble des tumeurs osseuses, et concerne l’homme dans 2 cas sur 3. Il s’agit d’une excroissance osseuse issue d’un îlot de cartilage de croissance ectopique qui grandit et mature selon un processus d’ossification enchondrale normale.
Tout os peut être touché, mais la localisation la plus fréquente concerne dans 90 % des cas la métaphyse des os longs, avec une prédilection pour le fémur distal (30 %), le tibia proximal (20 %) et l’humérus proximal (17 %).2 La forme sporadique est 6 fois plus commune que celles héréditaires multiples (encadré 1) et a un taux de transformation maligne inférieur à 1 %, versus 5-10 % dans les formes multiples.3 Si la découverte d’un ostéochondrome peut se faire à tout âge, son développement se fait pendant la croissance, et le risque de dégénérescence sarcomateuse augmente à partir de 25-30 ans.
Maladie des exostoses multiples
La maladie des exostoses multiples (maladie de Bessel-Hagen) est une affection autosomique dominante à haute pénétrance (96 %) caractérisée par la présence de plusieurs ostéochondromes chez un même patient.3 Sa prévalence est de 1 pour 50 000 individus.
Radiologiquement, cette lésion se présente comme une ossification bien délimitée, dont la cavité médullaire est en continuité avec celle de l’os sous-jacent (figure 1).2 La lésion peut être décrite comme « sessile » ou « pédiculée » selon la forme de son implantation. Elle a un développement perpendiculaire à la métaphyse et se dirige vers la diaphyse.
La dégénérescence sarcomateuse d’un ostéochondrome (chondrosarcome le plus souvent) est la complication la plus crainte.4 Elle doit être évoquée devant la survenue de symptômes récents, n’évoquant ni une bursite ni un accrochage mécanique. Les signes IRM évocateurs sont une épaisseur de coiffe cartilagineuse de plus de 1,5-2 cm, un signal myxoïde de la coiffe cartilagineuse, la présence de micro-calcifications dans les tissus mous et une prise de contraste précoce après injection de gadolinium.5
La prise en charge d’un ostéochondrome sporadique consiste habituellement en un suivi exclusivement clinique, car il est asymptomatique dans la majorité des cas. L’abstention thérapeutique ne dispense cependant pas d’une surveillance régulière et d’une éducation des patients. L’excision chirurgicale peut être indiquée en cas de lésion symptomatique, souvent par frottement des muscles et tendons au contact, créant une pseudo-bursite inflammatoire, ou par compression des structures adjacentes (nerfs, vaisseaux…) (figure 2). Les ostéochondromes du squelette axial et des ceintures chez l’adulte, dont le risque de dégénérescence est augmenté, incitent à être plus interventionniste. Aussi, toute modification du comportement clinique, telle qu’une douleur, une tuméfaction, ou une augmentation de volume, doit impérativement conduire à la réalisation d’une imagerie pour écarter une dégénérescence sarcomateuse. La résection d’un ostéochondrome doit être complète, en bloc, avec tout son périchondre.
Le chondroblastome est une lésion bénigne rare, comptant pour < 1 % des tumeurs osseuses. Il touche principalement l’épiphyse des os longs du jeune adulte (entre 10 et 25 ans dans 85 % des cas).6 A l’état macroscopique, le chondroblastome apparaît comme un tissu mou, grisâtre et hémorragique, composé de chondroblastes, cellules mononuclées à noyau ovale, ayant une activité mitotique normale.
La localisation épiphysaire du chondroblastome explique sa symptomatologie. Les douleurs sont fréquentes, constantes, souvent à caractère inflammatoire. Des signes articulaires sont souvent rapportés, mimant une arthrite. Des épanchements réactionnels (un tiers des cas), raideurs articulaires ou amyotrophies ne sont pas rares.
A la radiographie, le chondroblastome apparaît habituellement comme une lésion médullaire géographique excentrée lytique bien délimitée, cernée d’un fin liseré de condensation et pouvant contenir des zones de calcifications punctiformes (figure 3). On retrouve un amincissement ou une érosion corticale dans 75 % des cas et une réaction périostée dans 15 à 30 % des cas. A l’IRM, la tumeur a un signal d’intensité basse-intermédiaire en T1, un signal hétérogène intermédiaire en T2, et est entourée d’un œdème périlésionnel intense.7
La prise en charge du chondroblastome est chirurgicale et consiste en un curetage-comblement de la cavité. Il existe cependant quelques formes rares très agressives,8 qui peuvent nécessiter un geste chirurgical radical, et des cas rapportés de métastases pulmonaires bénignes dans moins de 1 % des cas.
Le fibrome chondromyxoïde est une tumeur bénigne rare représentant 0,5 % des tumeurs osseuses. Il se manifeste le plus souvent entre la première et la troisième décennies de vie. Il touche plus communément les hommes que les femmes, et se situe dans la métaphyse des os longs dans 80 % des cas, en particulier au tibia proximal. Il se caractérise par des cellules fusiformes dispersées dans une matrice myxoïde, mais avec très peu de cartilage mature. L’important polymorphisme cellulaire peut rendre le diagnostic difficile, notamment avec un chondroblastome, ou un chondrosarcome de bas grade.9
La radiographie met en évidence une lésion lytique géographique arrondie ou polylobée, cernée d’un liséré dense et contenant des cloisons osseuses. Généralement excentrée et soufflant la corticale, elle contient rarement des calcifications et son grand axe suit habituellement celui de l’os atteint. Les calcifications sont rares (< 25 % des cas). A l’IRM, on observe une lésion en hypo-signal T1 et un franc hyper-signal hétérogène en T2, ainsi qu’une prise de contraste hétérogène à l’injection de gadolinium (figure 4).
L’excision chirurgicale en marge saine est le traitement de choix du fibrome chondromyxoïde. Pour les petites lésions limitées à l’os, un curetage-comblement est proposé avec cependant un risque de récidive important de 25 % des cas.10
Le chondrome est la seconde tumeur cartilagineuse bénigne après l’ostéochondrome. Dans la large série de Brien et coll.11 répertoriant 3067 tumeurs osseuses primaires, 237 chondromes ont été identifiés, comptant pour 19,7 % des tumeurs cartilagineuses et 7,7 % de toutes les lésions. Leur découverte se fait généralement de manière fortuite au cours d’une imagerie. Le pic d’incidence se situe entre 30 et 40 ans.12 Les os longs de la main sont impliqués dans 40-65 % des cas, suivis des os longs majeurs (fémur, humérus et tibia) qui comptent pour environ 25 % des cas, et des petits os du pied (7 %).2 Le risque de transformation sarcomateuse est rare (< 1 %) en cas de lésion isolée, mais est augmenté dans le cadre d’une enchondromatose (40 %) (encadré 2).13 Une filiation existe entre chondromes et chondrosarcomes centraux, dans la mesure où des mutations IDH1/IDH2 (isocitrate déshydrogénase) sont présentes dans 50 % des enchondromes solitaires, 90 % dans la maladie d’Ollier, et dans certains chondrosarcomes centraux.14
Maladie de Ollier
La maladie d’Ollier, ou enchondromatose multiple, est une affection sporadique non héréditaire rare (prévalence 1/100 000) définie par la présence de multiples chondromes distribués de manière asymétrique sur le squelette.22 L’association d’une enchondromatose à de multiples hémangiomes définit le syndrome de Maffucci.23
A la radiographie standard, le chondrome se présente comme une lacune intramédullaire arrondie ou ovale, homogène et bien délimitée. De situation métaphysaire ou métaphysodiaphysaire, il est parfois lobulé, sans condensation périphérique et contient souvent des calcifications intratumorales en arcs ou en anneaux (pathognomoniques). Une encoche endostée est possible, mais ne doit pas mesurer plus des deux tiers de l’épaisseur de la corticale (figure 5).15 L’IRM retrouve une lésion typiquement lobulaire en hyposignal T1 et franc hypersignal T2 pseudoliquidien. Les calcifications sont en hyposignal T1 et T2.
La prise en charge est discutée au chapitre suivant. Les éléments cliniques et radiologiques résumés dans le tableau 1 permettent d’orienter la conduite à tenir. La biopsie n’a pas de place dans le diagnostic des chondromes.
Le chondrosarcome (CS) est la deuxième tumeur osseuse maligne primaire de l’adulte après l’ostéosarcome. Il représente environ un quart de tous les sarcomes osseux et constitue un groupe hétérogène de néoplasies caractérisées par la production d’une matrice cartilagineuse. Son incidence est d’environ 0,1/100 000 cas par an avec un pic entre 30 et 60 ans et un ratio H : F = 1.16
• Les CS centraux peuvent être primitifs (85 % des cas), ou secondaires à un chondrome solitaire, ou dans le cadre d’une maladie d’Ollier ou un syndrome de Maffucci (encadré 2). Ils se développent au sein de la cavité médullaire et ont pour sites de prédilection le fémur proximal, le pelvis et l’humérus proximal.
• Les CS périphériques se développent à partir de la coiffe cartilagineuse d’un ostéochondrome et se localisent principalement au niveau du pelvis ou de la ceinture scapulaire.
• D’autres sous-types histologiques de CS existent (périosté, dédifférencié, à cellules claires, myxoïde…), mais ne seront pas discutés dans cet article en raison de leur rareté.
Le pronostic des CS dépend de leur degré de malignité, qui est extrêmement variable. L’analyse pathologique cherchera à préciser le grade du CS (bas grade (1), grade intermédiaire (2) et haut grade (3)), en fonction de la cellularité, de l’activité mitotique et des atypies cellulaires. Tous les stades existent entre le chondrosarcome de grade 1 (tumeur cartilagineuse atypique) et celui de grade 3. Ces tumeurs sont rarement homogènes et plusieurs contingents cellulaires de grades différents peuvent coexister au sein d’une même lésion. Cette notion est importante, car l’échantillonnage d’une biopsie peut passer à côté de la composante de plus haut grade et se montrer ainsi faussement rassurant. Les métastases concernent les CS de grade 3 ou comportant un contingent dédifférencié.
Contrairement au chondrome qui est en règle générale asymptomatique, la douleur est la principale plainte menant au diagnostic. Elle est souvent sourde, d’horaire mixte, et présente depuis plusieurs années.
Les radiographies montrent des signes très variables en fonction de l’agressivité de la tumeur : les calcifications sont présentes dans 90 % des cas au CT-scan ; l’ostéolyse est métaphysodiaphysaire souvent allongée, à bords polylobés ; un épaississement cortical, ou à l’inverse des encoches endostées profondes (> deux tiers de l’épaisseur corticale) avec un aspect d’élargissement de la cavité médullaire sont observés dans les grades 1 et 2. Une soufflure ou une rupture corticale est présente dans les grades 2 et 3.
L’IRM montre une architecture lobulée, plus marquée en cas de tumeur bien différenciée. L’atteinte des tissus mous est considérée comme pathognomonique et la prise de contraste après injection est constante.17 Certains critères sont évocateurs de malignité : une taille > 6 cm, des marges mal délimitées, des contours lobulés, une encoche endostée > deux tiers de la corticale et des calcifications en « pop-corn » (figure 6).15
La différenciation entre un chondrome et un chondrosarcome de bas grade peut s’avérer extrêmement difficile radiologiquement et histologiquement (tableau 1). Il n’y a pratiquement aucune différence histologique entre ces deux entités, et il est recommandé d’adresser le patient à un centre spécialisé pour définir la stratégie thérapeutique sur la base des examens radiologiques et du comportement clinique de la tumeur.
Au niveau des os longs, en cas de lésion évocatrice de chondrome, sans signe radiologique de malignité et non symptomatique, l’abstention thérapeutique est la règle. En revanche, une localisation au niveau du squelette axial, en particulier au pelvis où la lésion est considérée comme étant un chondrosarcome jusqu’à preuve du contraire, une résection en bloc sera en général proposée.18 Une biopsie peut être réalisée au préalable, afin de confirmer la nature cartilagineuse de la lésion. Le choix de l’abord pour la biopsie est critique en raison de la forte tendance des CS à essaimer le long de son trajet. La règle est que la biopsie soit réalisée après concertation multidisciplinaire dans le centre où sera opéré le patient afin que son trajet soit déterminé avec le chirurgien.
En raison de leurs faibles activité mitotique et vascularisation, les CS sont habituellement réfractaires à la chimiothérapie et à la radiothérapie.19 Le traitement chirurgical constitue donc la seule option thérapeutique. Pour les lésions de grade intermédiaire et de haut grade, la résection en bloc avec des marges > 4 mm fait foi.20 En revanche, l’attitude à tenir vis-à-vis des lésions de bas grade reste débattue : la décision entre curetage intralésionnel associé à une thérapie adjuvante locale par phénol ou cryothérapie21 ou résection large d’emblée 20 se fera après concertation multidisciplinaire dans un centre spécialisé.
La découverte d’une lésion cartilagineuse sur des examens d’imagerie est une situation relativement fréquente qui peut dérouter le non-spécialiste. Trois situations sont envisageables : 1) la tumeur est bénigne (ostéochondrome, chondroblastome, fibrome chondromyxoïde, chondrome) : il faut alors préciser si une biopsie est nécessaire pour confirmer le diagnostic et si un traitement est justifié ; 2) la tumeur est maligne (chondrosarcome) : le patient doit être dirigé rapidement vers une équipe pluridisciplinaire pour se voir proposer un traitement adéquat et 3) le diagnostic est incertain : la lésion doit être considérée comme maligne jusqu’à l’obtention d’un diagnostic anatomopathologique de certitude.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les tumeurs osseuses cartilagineuses sont rares et de découverte en général fortuite
▪ Leur traitement est presque exclusivement chirurgical. Toutes ne nécessitent cependant pas d’être opérées d’emblée
▪ La différence entre un chondrome et un chondrosarcome de bas grade est difficile à faire et se base sur un faisceau d’éléments cliniques et radiologiques
▪ Concernant les chondrosarcomes, la biopsie n’est pas fiable quant au grade de tumeur dans environ 50 % des cas. La voie d’abord est à discuter impérativement avec le chirurgien au préalable. Le contingent du plus haut grade à l’histologie définitive détermine le pronostic
▪ Toute lésion cartilagineuse au niveau du bassin doit être considérée comme un chondrosarcome de bas grade au minimum
▪ En cas de doute, il ne faut pas hésiter à référer le patient en centre spécialisé des sarcomes
Les tumeurs cartilagineuses sont des pathologies rares, dont la découverte est souvent fortuite sur une imagerie réalisée pour une autre raison. Parfois symptomatiques (douleur, raideur articulaire, déformation, fracture), elles doivent motiver une exploration clinique, radiologique, et histopathologique. La prise en charge dépend des lésions identifiées et peut comporter un simple suivi clinique ou un geste chirurgical complexe, fruit d’une discussion menée par une équipe multidisciplinaire composée de radiologues, pathologues et chirurgiens. La découverte d’une lésion cartilagineuse induit souvent une dose d’inquiétude non négligeable chez les patients atteints. Leur connaissance, par le médecin traitant et le chirurgien orthopédiste, nous semble indispensable afin de proposer une prise en charge optimale qui devra se faire dans un centre spécialisé.