Notre conception actuelle des soins médicaux et de la santé est particulièrement focalisée sur les actes techniques et chirurgicaux, sur les traitements médicamenteux, sur l’imagerie médicale et, bientôt, sur la médecine individualisée grâce à la biologie génétique. Malgré la formidable efficacité de ces approches, est-ce suffisant ? Un certain nombre d’indices – comme la croissance des maladies chroniques, la prévalence des dépressions, la persistance des maladies cardiaques ou encore des cancers – suggèrent que la santé pourrait aussi dépendre d’autres causes que les raisons physiopathologiques invoquées classiquement : les relations corps-esprit et médecin-soignant avec le malade, les relations sociales du patient et sa créativité et/ou encore le rapport de ce dernier à son corps et à l’environnement. Ces aspects indiquent que notre vision de la vie est peut-être trop mécaniste et n’intègre pas suffisamment l’aspect psychophysique de la santé. La biologie quantique nous invite quant à elle à considérer la santé de façon plus globale.
La biologie quantique est une discipline émergente qui n’évoque certainement rien pour la plupart d’entre nous. L’approche quantique est cependant très enrichissante de par ses concepts qui élargissent considérablement notre vision parfois trop mécaniste du monde du vivant. Elle est aussi complexe par la compréhension difficile du monde quantique : celui-ci nécessite un effort de réflexion et d’abstraction pour mettre de côté nos habitudes mentales et bénéficier de nouveaux angles de vue sur les sciences de la vie, la médecine et la santé. Le monde quantique peut en effet nous aider à mieux comprendre la réalité dans laquelle nous vivons – de la matière à la conscience – et, de ce fait, à réinterpréter la question corps-esprit qui est au cœur de notre vie et de notre santé. Le paradoxe actuel ? Dans notre monde du début du xxie siècle, nous avons assimilé les technologies issues de la physique quantique dans tous les aspects de notre vie quotidienne (téléphones portables, ordinateurs, internet, PET-scanners, IRM, etc.), sans vraiment comprendre l’impact que cette science peut avoir sur notre compréhension du monde et de nous-mêmes.
La physique quantique nécessite une introduction préalable. Pour cela, il faut revenir à l’esprit de ses fondateurs. Pour eux, la connaissance du monde quantique bouleverse notre conception de la réalité. N. Bohr, E. Schrödinger, A. Einstein, W. Pauli, W. Heisenberg et R. Oppenheimer, pour ne citer qu’eux, ont curieusement exploré les philosophies orientales pour tenter de comprendre les « bizarreries » de la physique quantique qui remettent en question notre conception déterministe du monde. E. Schrödinger1 s’est par exemple intéressé à l’Advaita Vedanta, N. Bohr à la philosophie chinoise du yin-yang,2 W. Pauli à la philosophie archétypale de C. G. Jung,3,4 W. Heisenberg à la dualité corps-conscience et R. Oppenheimer à la Bhagavad-Gita…5
La plupart d’entre nous partagent une vision mécaniste du monde. En retournant dans le passé, on peut situer l’émergence de la vision mécaniste et déterministe au moment de la naissance de la science moderne, et en particulier de la physique classique de Newton au xviie siècle. Cette vision est alors devenue un paradigme de compréhension quasi universel, conscient et inconscient, qui a imprégné notre langage et notre façon de penser de la physique à la médecine. Elle a construit l’aventure extraordinaire de la science et de la technologie, avec ses merveilles et ses dangers ; mais elle a aussi appauvri notre représentation de la réalité en proposant une conception étriquée du monde comme une collection de machines cybernétiques, physiques, chimiques, génétiques et électriques.6
Si la représentation mécaniste et déterministe de notre réalité est en bonne partie pertinente, elle n’est qu’une réponse incomplète à nos interrogations sur la vie et la conscience,7,8 ainsi que sur la santé.
La physique quantique a remis en partie en cause la conception mécaniste et cybernétique en introduisant la notion d’incertitude. Pour elle, la matière est à la fois onde et corpuscule ; une chose peut donc être simultanément dans deux états superposés, ce qui peut sembler contradictoire à première vue. Le vide est plein d’énergie, l’observateur ne peut pas se dissocier de ce qu’il observe, la rétrocausalité (inversion temporelle) existe, deux particules peuvent être intriquées, etc.
La Biologie Quantique Nous Invite À Considérer la Santé de Façon Plus Globale
Le monde quantique est ainsi difficile à interpréter9 car il est en dehors de nos perceptions et, par conséquent, de nos représentations mentales de la réalité. Pour cette raison, l’interprétation quantique n’a pas encore pleinement pénétré la pensée humaine et changé notre grille d’interprétation du monde. Nous nous représentons usuellement la matière comme une chose inerte, massive et sans interaction avec son environnement autre que la gravitation et la réflexion de la lumière. Or, dans le monde quantique, invisible à nos yeux, ce qui se passe est très différent. L’atome est en fait une entité extrêmement complexe dont la masse est concentrée dans un noyau (protons, neutrons) infiniment plus petit que les dimensions de l’atome. Dans ce noyau, il existe une activité énergétique effrénée où vont se placer des électrons qui se meuvent selon une danse déterminée par leur fonction d’onde. Autant dire que cela n’a rien à voir avec une masse inerte ! Qui plus est, de nombreuses expériences confirment que non seulement la lumière se comporte à la fois comme une onde et une particule, mais également les électrons, les protons, l’atome et même les molécules.10
Bien que les phénomènes du monde quantique soient pour la plupart contre-intuitifs, tous les résultats expérimentaux confirment leur réalité avec un très haut degré de précision, et jamais la théorie quantique n’a été prise en défaut. En fait, c’est la théorie physique la plus solide et la plus précise, même si elle est en contradiction avec la théorie de la relativité générale d’A. Einstein, en particulier l’intrication quantique qui a été théorisée par J. Bell11 au CERN et expérimentalement vérifiée par A. Aspect.12 La complémentarité onde-corpuscule, le principe de superposition et le principe d’incertitude de Heisenberg sont vérifiés quotidiennement dans les laboratoires.
Mais le monde quantique en général disparaît de notre perception à l’échelle macroscopique, c’est-à-dire à notre échelle du visible ou du touché. Ainsi, tout ce que nous appréhendons avec nos sens est généralement parfaitement décrit par les équations et les lois de la physique classique. Cependant, la dynamique du cosmos et son évolution sont fondées sur la physique quantique : trou noir, naissance des étoiles et expansion de l’Univers. Par contre, elle n’a pas encore contribué à la compréhension de la conscience et de la vie.
La récente émergence de la biologie quantique13-16 pourrait être une clé de compréhension plus affinée de la vie en complément de la biologie moléculaire, et pourrait conduire au renouvellement de notre compréhension du monde vivant.
En bref, la biologie quantique suggère que certains phénomènes du vivant qui ne s’expliquent pas par la mécanique classique pourraient être d’origine quantique. De récentes découvertes le démontrent et confirment d’ailleurs les intuitions de l’un des fondateurs de la physique quantique, E. Schrödinger.17,18 Ainsi, les plantes captent la lumière et la transforment en énergie chimique par la chlorophylle grâce à la cohérence quantique19 qui permet d’obtenir une efficacité de conversion énergétique proche de 100 %. Le système de navigation des oiseaux migrateurs, qui était jusqu’à maintenant resté incompris, semble fondé sur des compas quantiques20 et est constitué de paires de radicaux libres situés dans les yeux des oiseaux. Il peut mesurer le champ magnétique terrestre avec une très grande précision, ce qui permet aux oiseaux migrateurs de naviguer en tenant compte de variations infimes du champ magnétique terrestre. Les canaux ioniques, qui sont essentiels au fonctionnement cellulaire et neuronal, semblent exploiter la cohérence quantique pour transporter comme une onde les protons, les ions sodium potassium, etc., à très grande vitesse à travers la membrane cellulaire.
On peut aussi citer l’étonnante capacité des lézards tels que les geckos de grimper le long des murs. La force d’adhésion de leurs pattes défie les lois de la physique. On sait aujourd’hui que cette puissante adhésion est créée par les milliards de poils d’échelle nanométrique situés au bout de leurs doigts, qui interagissent avec les surfaces par des forces de Van der Waals, qui sont d’origine purement quantique.
De plus, le très récent résultat sur l’intrication quantique de la photosynthèse chez les bactéries pourpres sulfureuses montre que les lois de la physique quantique s’étendent à la transformation de l’énergie lumineuse en énergie électrique au sein de populations bactériennes de plusieurs millions d’individus en même temps.21 Dans ce contexte, on peut envisager que les cellules des organismes vivants, y compris les neurones, puissent être d’une certaine façon intriquées entre elles et participer à l’homéostasie en engendrant une cohérence globale de l’organisme.
On Peut Supposer Que Les Phénomènes Quantiques Jouent Aussi Un Rôle Dans le Fonctionnement de la Conscience
Comment notre conscience agit-elle sur la matière de notre corps ? En voyant l’importance que les phénomènes quantiques semblent avoir dans les processus cruciaux du vivant, on peut supposer qu’ils jouent aussi un rôle important dans le fonctionnement de la conscience. Cette question peut être vue au travers de la métaphore entre quantique et psychisme dans le cas de l’effet placebo.22 Un autre parallèle peut être établi entre quantique et psychique dans le domaine des sentiments.
Par exemple, nos prises de décision sont en partie fondées sur la logique quantique du tiers inclus23,24 plutôt que sur un choix de logique binaire. Plusieurs choix existent de manière « superposée » avant notre prise de décision. Il nous arrive par ailleurs souvent d’avoir des émotions et des sentiments contradictoires simultanés à propos de nous-mêmes ou d’un-e collègue, ou dans le cadre d’une relation amicale ou amoureuse. C’est une forme d’états psychiques superposés qui peut être soit conflictuelle, soit enrichissante.
En ce qui concerne les tests cliniques, la physique quantique nous apprend notamment que la préparation expérimentale détermine le résultat. Par conséquent, quand on interroge un phénomène quantique de la nature, la réponse ne préexiste pas, elle existe seulement une fois la mesure faite par l’expérimentateur et selon sa méthode d’observation propre. Si l’on applique cette interprétation quantique aux tests cliniques, on part donc du principe que le protocole expérimental détermine l’observation et va influencer le résultat de l’étude.
Une de ces influences connues en médecine est l’effet placebo.31 D’autres effets similaires seraient à explorer, comme l’effet Zénon quantique,25 qui décrit le fait que, lorsqu’on observe assez fréquemment une particule instable, on l’empêche de se désintégrer immédiatement en allongeant sa durée de vie. Ce phénomène étrange pourrait être expliqué par le fait que chaque observation apporte une énergie à la particule, ce qui la maintiendrait en vie ! Il y a certainement d’intéressantes applications à en retirer pour nous-mêmes…
Dans le langage courant – qui est bien plus pertinent qu’on ne le pense – 26 on utilise la métaphore suivante : « J’ai des atomes crochus ou non avec celle-ci ou celui-là». Cette image, tirée de la représentation naïve des atomes et des molécules, est utilisée en chimie pour expliquer la formation de molécules par des crochets sur les atomes. En physique quantique, il n’y a pas cette idée mécaniste simpliste de crochets, mais plutôt celle d’espaces où les électrons dansent selon les fonctions d’onde propres à l’atome, tout en créant une molécule aux propriétés nouvelles. L’exemple le plus simple et le plus important pour la vie est la formation de l’eau à partir de l’oxygène et de l’hydrogène.
La métaphore quantique appliquée ici à nos relations humaines est bien plus profonde que la métaphore chimique : quand une relation s’établit entre deux personnes, leurs espaces personnels (fonctions d’onde) s’hybrident pour former un nouvel espace, superposé aux espaces individuels. Il en résulte un espace relationnel d’où émergent des sentiments conflictuels, amicaux ou amoureux selon les espaces de chacun et leur combinaison. Il faut aussi dire que tout comme la danse des électrons est imprédictible (incertitude quantique), l’issue des rencontres humaines est incertaine…
Mais qu’est-ce que l’effet placebo ou l’effet nocebo27 (effet placebo négatif) ont à voir avec la physique quantique ? Dans ces cas, la connexion entre le corps et l’esprit est centrale. L’hypothèse proposée par quelques scientifiques est que le cerveau fonctionne comme un ordinateur quantique – à savoir de manière beaucoup plus performante que le modèle binaire « on-off » classique. Ils suggèrent également que le corps et l’esprit (la conscience et l’esprit étant un produit des neurones) peuvent s’influencer de façon beaucoup plus subtile et complexe que prévu.
Une manière d’aborder la relation corps-esprit est celle de la dualité observateur-observé, qui a conduit à la controverse sur la nature de la physique quantique entre Einstein et les physiciens Heisenberg, Bohr et Pauli. La dissociation de l’observateur avec ce qui est observé, traditionnelle en physique classique, n’est plus valable dans le monde quantique. En faisant une métaphore, on pourrait en dire de même pour la relation corps-esprit, pour laquelle le corps jouerait le rôle de l’observé et l’esprit le rôle de l’observateur. Les deux aspects forment une seule chose, tout comme la dualité onde-particule. Ils peuvent donc s’influencer de façon physique sans que les lois de la physique classique puissent l’expliquer.
L’effet placebo a été remarquablement illustré par un essai clinique randomisé « en double aveugle » sur les médicaments et l’acupuncture,28 réalisé par la Harvard Medical School.23,30 Dans cette étude, tous les patients qui participent ont l’espoir de soulager leurs douleurs sévères aux bras (canal carpien, tendinite, douleur chronique au coude, à l’épaule et au poignet). La moitié des sujets de l’étude reçoivent des pilules antidouleur, les autres se voient proposer des traitements d’acupuncture. Un tiers des 270 sujets de la cohorte se sont ensuite plaints d’effets secondaires importants. Les pilules les rendaient paresseux, tandis que les aiguilles provoquaient un gonflement et des rougeurs ; la douleur de certains patients atteignait même des niveaux cauchemardesques !
Selon l’investigateur principal T. J. Kaptchuk,31 « les effets secondaires ont été tout simplement incroyables ». Mais, curieusement, ces effets concernaient seulement les patients préalablement informés des potentiels effets secondaires liés au traitement. Quant à la plupart des autres patients non avertis, ils ont signalé un réel soulagement ; ceux au bénéfice d’un traitement d’acupuncture se sentaient même encore mieux que ceux prenant des pilules antidouleur… Ces résultats sont exceptionnels : personne n’avait jamais prouvé que l’acupuncture fonctionnait mieux que les traitements antidouleur. Mais l’étude de Kaptchuk ne le prouve pas non plus. Les pilules données aux patients étaient en réalité de la fécule de maïs ; quant aux aiguilles d’acupuncture, elles étaient seulement des aiguilles rétractables qui n’ont pas du tout perforé la peau. L’étude ne visait d’ailleurs pas à comparer deux traitements, mais bien deux types de placebo avec une influence suggestive sur les effets secondaires. Comment décoder un tel résultat ? On peut citer la conclusion d’une communication scientifique de l’Académie nationale de médecine française,32 qui mentionne que notre cerveau a une grande capacité à produire d’innombrables neurotransmetteurs, endorphines, anticorps, anticancéreux, anti-inflammatoires, antidépresseurs et anxiolytiques, dont la production est directement connectée à nos cognitions et à notre conscience.
Retrouver Cet Équilibre Implique Une Action Simultanée du Corps et de L’esprit
La même efficacité du placebo dans une étude sur la migraine a été mise en exergue.33 Mais ce constat est-il si exceptionnel si l’on part du principe que la santé est le maintien de l’équilibre dynamique de la vie ? L’évolution de la vie durant quatre milliards d’années a permis la création d’organismes vivants pouvant faire face à une multitude d’agressions intérieures et extérieures, tout en maintenant leur homéostasie grâce à une myriade de réponses protectrices, métaboliques, immunitaires, hormonales, chimiques, électroniques, émotionnelles ou encore psychiques.
Néanmoins, une thérapeutique fondée sur l’effet placebo n’est pas si simple à mettre en œuvre. Elle devrait être étudiée de façon approfondie à la lumière de la relation corps-esprit, des neurosciences et de la génétique,34 afin de pouvoir développer des protocoles et des approches thérapeutiques cohérentes. Ces études ont d’ailleurs débuté en étudiant la réponse placebo du cerveau dans le traitement des douleurs chroniques à l’aide de l’imagerie IRM fonctionnelle et par PET-scanner.35,36
Dans un parallèle avec l’effet placebo-nocebo, on pourrait dire que le lien thérapeutique entre soignants et patients, ainsi que le regard que les patients portent sur eux-mêmes, est essentiel au succès ou non de l’expérience thérapeutique. La confiance en soi et en l’autre tout comme l’empathie sont certainement des facteurs importants. La prise en compte de l’effet placebo pourrait ainsi nous conduire au-delà d’une représentation purement mécaniste et déterministe de la vie et de la santé.
A la lumière des résultats des études sur l’effet placebo37 et de la connexion corps-esprit, on peut se demander si le protocole thérapeutique courant – entre médecins, soignants et patients – est optimal. L’accent actuel mis sur la technicité des actes médicaux ne conduit-il pas à l’erreur consistant à délaisser exagérément la capacité thérapeutique intrinsèque de notre corps ? Ne faudrait-il pas accompagner et traiter le patient comme une personne psychophysique intégrale ? La santé est le résultat de notre équilibre homéostatique à la fois mental et physique ; celui-ci peut bien évidemment être perturbé par des infections, des maladies ou des traumatismes. Retrouver cet équilibre implique une action simultanée du corps et de l’esprit, qui forment à la fois une unité et une complémentarité.38
Notre incompréhension de cette complexité et de ses effets non intuitifs pourrait bien être en relation avec les phénomènes de physique quantique bien réels, qu’il nous faudra apprendre à comprendre pour mieux appréhender la réalité du vivant. Ceci au même titre que la théorie de la relativité d’Einstein a corrigé la compréhension erronée des galaxies par la mécanique classique de Newton.
Source : Rapport annuel 2018 de la Fondation Leenaards, rubrique «Eclairage»: leenaards.ch/ra2018/#eclairage