Cet article présente la rééducation après prothèses totales d’épaule anatomique (PTEa) et inversée (PTEi), qui se découpe en 3 phases : cicatrisation et initiation du mouvement (semaines 0-6), récupération du mouvement (7-12), renforcement et retour à l’activité (13-18). Après 6-12 mois, la plupart des patients rapportent une nette diminution des douleurs et une reprise des activités légères à modérées. La rééducation de la PTEi implique spécifiquement de renforcer le muscle deltoïde et de prévenir la luxation. Le résultat fonctionnel est légèrement inférieur pour la PTEi, qui est posée lorsque des lésions musculo-tendineuses sont associées à des lésions osseuses, mais la satisfaction est comparable entre les deux types d’implants. La longévité de ces prothèses, bien que plus courte chez le patient actif jeune, est généralement bonne.
Le développement des prothèses d’épaule a débuté dans les années 50, sous la forme d’hémi-arthroplastie (HA, seule la pièce humérale était remplacée). Ensuite les prothèses totales d’épaule dites anatomiques (PTEa, où l’on remplace également la glène) ont permis de prendre en charge l’usure de la glène, qu’elle soit primaire ou secondaire. Pour finir, la reconnaissance d’omarthroses excentrées, caractérisées par une ascension de la tête humérale en raison d’une insuffisance de la coiffe des rotateurs, source de mauvais résultats et de descellements précoces des prothèses anatomiques, a impliqué le développement de la prothèse totale d’épaule inversée (PTEi). La prothèse est dite inversée car la tête de l’humérus est remplacée par une pièce concave, alors que la glène l’est par une demi-sphère (figure 1). L’objectif est de redonner un pivot stable à l’épaule afin d’optimiser l’action du deltoïde lors de l’élévation du bras.1,2 D’abord réservées aux omarthroses associées aux ruptures de coiffe, les indications de la PTEi ont été progressivement élargies : prothèse de révision, épaule pseudo-paralytique sans omarthrose, fractures complexes, etc. Le développement des PTE anatomiques et inversées ont fait chuter les indications de l’HA.3,4 L’objectif de cet article est d’informer les cliniciens sur les principes, les étapes et les résultats de la rééducation après PTEa et PTEi.
La rééducation est centrée sur les activités de la vie quotidienne (AVQ), le but étant d’atteindre la meilleure fonction possible de l’épaule. Pour des patients jeunes ou très actifs, ou lors de doutes, une communication avec le chirurgien est primordiale afin de définir des objectifs réalistes sans mettre en danger la PTEa. Les étapes de la rééducation sont présentées dans le tableau 1.
La rééducation débute le jour suivant l’opération. Une mobilisation précoce permet une récupération plus rapide des AVQ légères et de l’indépendance du patient, bien qu’elle ne modifie pas le résultat à 1-2 ans.5 Le respect de la douleur est primordial à ce stade. La pose de la prothèse induit d’office une réinsertion du muscle sous-scapulaire, qui joue un rôle essentiel dans le maintien du centrage de la tête humérale, la récupération fonctionnelle et le risque de descellement à terme.6 Il est donc fondamental de préserver sa suture tendineuse en phase initiale.7
L’information (suites et précautions postopératoires, mise en place du gilet et exercices à domicile) est importante afin de permettre une sortie de l’hôpital en toute sécurité.8 Une fiche à l’attention des patients opérés d’une PTEa est présentée dans l’annexe 1, et une version en ligne (cf. annexe 1) est disponible pour les éléments spécifiques à la PTEi.9-11
Les buts poursuivis durant cette phase de 6 semaines sont l’antalgie, la récupération progressive de la mobilité de l’épaule et de la fonction dans les activités légères. Le port du gilet est prescrit dans un but antalgique, mais il est recommandé de réaliser des exercices de mobilisation du coude, du poignet et des doigts (figure 2). Des étirements des muscles qui relient l’épaule à la nuque sont utiles pour prévenir des douleurs secondaires (figure 3).
La résistance des tendons suturés restant faible à ce stade, on évitera toute mise en tension du sous-scapulaire jusqu’à 6 semaines postopératoires. La flexion et l’abduction sont donc limitées à 90° et la rotation latérale (RL) à 0° et on évitera de solliciter activement l’épaule en rotation médiale (RM).7 La mobilisation en actif-assisté (figure 4), ainsi que l’autorééducation avec un travail infradouloureux et progressif en pendulaire (figure 5), actif-assisté (figure 6), ou actif (figure 7) sont primordiales. Une utilisation progressive du membre supérieur dans les AVQ légères est conseillée, afin de favoriser l’autonomie et d’éviter le développement d’une kinésiophobie (peur du mouvement). Le port de petits objets (moins de 500 g) bras au corps est possible.
Les semaines 7 à 12 correspondent à la phase de récupération du mouvement et d’intégration osseuse de la prothèse. Tous les mouvements actifs, dans la limite des douleurs, sont autorisés (figures 6 et 7). La fragilité du tendon reste importante et la charge maximale admise est de 1,5 kg.12
La rééducation vise la récupération des amplitudes actives tout en minimisant les compensations scapulaires, le but étant de permettre au patient d’être indépendant dans les AVQ. La tonification isométrique et la proprioception peuvent débuter sans risque.
A la fin de cette phase, les activités légères ne devraient plus être douloureuses et le patient devrait être capable de réaliser les activités au-dessus de la tête.
Dès la 13e semaine débute la phase de renforcement et de retour à l’activité (figure 8). Nous proposons de limiter le port de charge à 10-15 kg jusqu’à 18 semaines. Lors de la rééducation, l’accent est mis sur la proprioception et le renforcement infradouloureux. En cas de raideur qui impacte la qualité de vie du patient, une mobilisation passive à but d’étirement capsuloligamentaire peut être envisagée, en concertation avec le chirurgien.
Le patient devrait à ce stade pouvoir effectuer sans douleurs toutes ses activités quotidiennes, y compris celles au-dessus du niveau des épaules. A long terme, une mobilité jusqu’à 140° en élévation peut être pronostiquée en actif (tableau 2).13
Les étapes de la rééducation de la prothèse inversée sont identiques à celles de la prothèse totale. Nous allons donc présenter ici les aspects spécifiques de la PTEi, en mentionnant les raisons pour lesquelles des différences existent. Les étapes de la rééducation sont présentées dans le tableau 3.10
L’abord delto-pectoral, le plus courant, implique une section du tendon du sous-scapulaire, sans réinsertion systématique, la prothèse étant par définition conçue pour une coiffe déficiente. Aucune limitation orthopédique n’est requise lors de PTEi standard. Un transfert éventuel du grand dorsal pour retrouver une rotation latérale active implique d’éviter le renforcement spécifique de ce muscle durant 4 semaines.
Spécifiquement pour les PTEi, la mobilisation passive en extension, adduction et rotation médiale combinées est proscrite, car elle engendre un risque de luxation. Ce mouvement peut néanmoins être rééduqué sans risque majeur de manière active (figure 7, travail actif en rotation médiale). Les autres éléments de la rééducation sont similaires à ceux de la PTEa (figures 2 à 7).
Le PTEi étant indiquée en cas de déficience de la coiffe des rotateurs, la tonification du deltoïde revêt une importance particulière pour pallier aux déficiences des autres muscles. Le gain d’amplitude active et l’initiation du renforcement sont centraux lors de cette phase de rééducation (figures 6 et 7). Il ne faut cependant pas perdre de vue que l’amplitude pronostiquée est généralement plus basse que celle des PTEa pour des raisons biomécaniques, bien que des compensations puissent se faire dans l’articulation scapulo-thoracique.14-17 Il est donc contre-productif de rechercher un gain d’amplitude supplémentaire lorsqu’une butée se fait sentir en fin de course articulaire. La mobilité peropératoire étant un facteur prédictif de la mobilité à une année, il est utile de la connaître pour fixer des objectifs de rééducation adéquats.18
Les objectifs en termes d’amplitude articulaire étant plus modestes pour la PTEi que la PTEa, l’objectif recherché est principalement la récupération d’une fonction indolore dans les AVQ. Il est donc important d’informer le patient dès le stade préopératoire que les amplitudes se situeront aux alentours de 120° d’élévation du membre supérieur, et que la rotation médiale permet au mieux d’atteindre la vertèbre L3 avec la main. Outre le gain d’amplitude active, le renforcement et la proprioception sont nécessaires pour la récupération de la fonction (figure 8).
L’essentiel de la récupération a lieu durant les 6 mois postopératoires, une évolution étant possible jusqu’à deux ans.17,19 Il convient cependant de bien informer le patient sur le pronostic fonctionnel, et de rester réaliste sur les bénéfices attendus. L’amélioration risque en effet d’être inférieure aux attentes des patients qui présentaient une fonction préopératoire relativement préservée.2 Les patients jeunes notamment se montrent moins satisfaits que les patients plus âgés.21 Les résultats généralement atteints pour les PTEa et PTEi sont présentés dans le tableau 1.
Concernant la PTEa, une activité physique adaptée est généralement possible, pour peu qu’elle n’implique pas le port de charges lourdes ou d’impacts répétés sur l’implant.22 Un reclassement professionnel devra être envisagé en cas d’activité professionnelle contraignante. Il convient également de rester prudent quant aux sports pratiqués, certaines études ayant mis en évidence un taux de complications élevé chez de jeunes actifs qui pratiquent une activité inadaptée (charges > 10 kg, mouvements répétitifs, mouvements fréquents au-dessus de la tête).21 Une majorité de chirurgiens conseille donc la pratique de sports à faible impact. 23
Concernant la PTEi, bien que le résultat soit considéré comme satisfaisant chez 75-90 % des patients, il ne faut pas perdre de vue que l’objectif reste la récupération de la fonction dans les AVQ.24,25 La majorité des patients reprend des activités d’intensité légère à modérée pour l’épaule après une PTEi (par exemple, jogging, natation…),23,26,27 mais la littérature reste pauvre pour étayer des recommandations.28 Une reconversion doit être envisagée chez les personnes qui exercent une activité professionnelle exigeante pour l’épaule.
Des douleurs modérées peuvent encore être présentes au stade initial. L’apparition d’une raideur ou d’une douleur suspecte peut être le signe de complications précoces. Une déformation orientera vers une possible luxation, tandis que d’autres signes cliniques (écoulement, rougeur, chaleur, fièvre) dirigeront plutôt vers une infection. En plus des complications précitées, on restera attentif à l’apparition d’une raideur secondaire de l’épaule en cas de limitation d’amplitude douloureuse. Une péjoration tardive des douleurs ou de la fonction de l’épaule implique des examens pour en détecter la cause (usure ou descellement d’un composant, érosion de la glène, dégradation de la coiffe, fracture, infection…).1,29-31
La PTEi présente un taux de complications légèrement plus élevé que les autres types de prothèses : luxations, infections, neuropathies, ce qui implique de choisir de manière rigoureuse l’implant le plus adapté à la situation du patient.1,31 Les complications spécifiques de la PTEi sont liées au risque de luxation, qui reste cependant limité à 2,7 %.32
Malgré un taux de survie > 90 % à 10 ans, certaines études pointent des risques d’échec et de descellement des PTEa chez les patients de moins de 50 ans ayant un niveau d’activité élevé.33,34 La longévité de la PTEi reste également problématique chez les patients jeunes et actifs.35 En cas de révision sans possibilité de reconstruction, l’intervention consiste à convertir la PTEi en hémiarthroplastie en gardant uniquement la tige humérale.
Les prothèses d’épaule offrent des solutions thérapeutiques tout à fait satisfaisantes pour récupérer un mouvement fonctionnel et indolore dans les activités de la vie courante. Les PTEi ont des résultats légèrement inférieurs à ceux des PTEa, mais représentent une option à privilégier dans les situations où l’intégrité de la coiffe des rotateurs n’est pas assurée. La rééducation veille à être progressive, en recherchant le bon équilibre entre le respect des douleurs et la reprise des activités. La longévité de la prothèse peut s’avérer problématique chez le patient jeune. Il convient donc d’envisager une reconversion professionnelle et sportive pour préserver la prothèse chez les personnes actives.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪Les prothèses totales d’épaule constituent une option efficace pour diminuer les douleurs et améliorer la fonction en cas d’omarthrose
▪La pose d’une prothèse totale inversée est indiquée en cas d’incompétence de la coiffe des rotateurs
▪La rééducation se découpe en phases de cicatrisation et initiation du mouvement (0-6 sem.), récupération du mouvement (7-12 sem.) et renforcement et retour à l’activité (13-18 sem.)
▪Le pose d’une prothèse inversée implique de renforcer spécifiquement le deltoïde et d’éviter les mouvements passifs en rotation médiale + extension (risque de luxation)
▪Une reconversion est à discuter en cas d’activité professionnelle contraignante pour l’épaule
This article aims to present the principles of rehabilitation following anatomical and reverse total shoulder arthroplasties. The rehabilitation consist of three phases: wound healing and movement initiation (weeks 0-6), movement recovery (7-12), strengthening and return to activity (13-18). At 6 to 12 months follow-up, most patients report a substantial decrease in pain and a return to light to moderate activity level. The rehabilitation of the reverse arthroplasty specifically requires deltoid muscle strengthening and dislocation prevention. The functional outcome is slightly inferior for reverse arthroplasty, which is indicated when musculotendinous lesions are associated to bone lesions, but satisfaction rates are comparable between the two types of implants. The durability of total shoulder arthroplasties is globally satisfying, though shorter in young active patients.