D’après les données épidémiologiques actuellement disponibles, le diabète ne semble pas être un facteur de risque d’infection par le SARS-CoV-2. Il est cependant associé à une maladie plus sévère principalement en raison de sa haute prévalence chez les personnes âgées et polymorbides dont l’évolution est plus souvent défavorable. Comme lors de n’importe quelle autre infection, un diabète préexistant, surtout s’il est mal contrôlé, peut favoriser les surinfections et entraîner des complications aiguës liées à l’hyperglycémie, elle-même majorée par l’infection. Il est important de recommander aux patients d’avoir suffisamment de matériel à domicile, d’effectuer des automesures régulières de la glycémie, ainsi que de contacter un soignant immédiatement en cas de déséquilibre glycémique ou d’infection. Le traitement antidiabétique doit être adapté comme habituellement en cas d’infection. Une insulinothérapie doit être envisagée en cas d’hyperglycémie persistante chez tout patient hospitalisé pour une infection aiguë.
Le nouveau coronavirus SARS-CoV-2 (COVID-19) causant un syndrome respiratoire aigu sévère, responsable la pandémie mondiale actuelle, est le sujet de nombreuses interrogations, tant pour les patients que pour les soignants. Du fait de la rapidité de la propagation du virus, peu de données épidémiologiques sont actuellement disponibles. Certains articles scientifiques, majoritairement chinois, ont suggérés que le diabète était l’une des comorbidités les plus présentes parmi les patients atteints.1-3 Le diabète avait précédemment été décrit comme un facteur de risque important d’évolution défavorable lors des deux précédentes infections à un coronavirus : le SRAS en 2002, qui avait affecté plus de 8000 personnes principalement en Asie, ainsi que le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) en 2012, lequel avait affecté plus de 2000 personnes, principalement en Arabie Saoudite.4
L’objectif de cet article est de préciser l’impact du diabète sur la maladie COVID-19, de donner une conduite à tenir vis à vis des traitements antidiabétiques, ainsi que de proposer quelques mesures à recommander aux patients diabétiques.
Les données épidémiologiques disponibles montrent que les patients âgés et ceux connus pour des maladies chroniques, telles que diabète, hypertension, maladies coronariennes, maladies cérébrovasculaires, semblent être plus à risque d’atteinte sévère du COVID-19. On note, dans les données initiales chinoises et selon les auteurs, 12 à 22 % de diabète parmi les patients atteints.1-3 Ces données sont confortées avec celles des Centers for Disease Control and Prevention aux Etats-Unis montrant une prévalence du diabète de 6, 24 et 32 % chez les personnes COVID-19 positives, respectivement non hospitalisées, hospitalisées sans soins intensifs, et hospitalisées avec soins intensifs.5
Une des hypothèses physiopathologiques est l’augmentation de l’expression de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE 2) chez les patients diabétiques, tant de type 1 que de type 2.6 Cette enzyme, exprimée dans les poumons, l’intestin, les reins et les vaisseaux sanguins, serait préférentiellement liée par le SARS-CoV-2 et pourrait expliquer une atteinte plus grave dans certains groupes de patients. De plus, l’hyperglycémie, qu’elle soit aiguë7 ou chronique, est connue pour altérer la réponse du système immunitaire, menant à une réponse proinflammatoire exagérée,8 état qui a été objectivé chez des patients sévèrement atteints du COVID-19.9 Par ailleurs, cette relation entre diabète et formes sévères du COVID-19 est également due à une association statistique : les formes les plus sévères ou les décès sont majoritairement vues chez les patients de plus de 65 ans, population dans laquelle la prévalence du diabète est élevée. Rappelons à ce titre qu’environ un quart des personnes de plus de 75 ans présentent un diabète de type 2.
Il n’y a pour l’instant aucune preuve que le risque de COVID-19 est plus élevé chez les personnes diabétiques. En effet, la prévalence du diabète chez les personnes COVID-19 positives non hospitalisées est comparable à celle de la population générale.5
Le risque de développer une forme sévère est plus élevé chez les diabétiques, en particulier s’ils présentent d’autres comorbidités. En effet, les patients diabétiques apparaissent comme plus à risque d’une évolution défavorable. Dans les premières études chinoises rapportant le taux de patients diabétiques dans la population infectée, le diabète apparaît comme 2,26 fois (IC 95 % : 1,47-3,49) plus fréquent chez les patients présentant une infection plus sévère comparés à ceux présentant une infection moins sévère. Les données chinoises montrent que le diabète confère un odds ratio de 2,85 (IC 95 % : 1,35-6,05) de mortalité intrahospitalière.10 Ces données, sur des études cas-témoins, surestiment, avec le calcul de l’odds ratio, le risque relatif de décès si présence d’un diabète. Elles ne sont pas toujours ajustées sur l’âge, qui est un facteur confondant important de prévalence de diabète. En Italie, une prévalence de diabète de 35,5 % est notée chez les patients décédés du COVID-19, dans une population d’âge médian de 80,5 ans (interquartile range ; IQR : 31-103) et majoritairement masculine (70 %). En comparant avec l’incidence de diabète dans la même tranche de population en Italie en 2018 (20,3 %), les auteurs rapportent un risque relatif de diabète de 1,75 chez les patients décédés du COVID-19.10 Enfin, il est à relever que, dans une analyse récente, le taux de glycémie n’était pas associé avec la sévérité du COVID-19.11 Il convient donc d’insister sur l’âge avancé des patients avec une atteinte sévère, ainsi que leurs multiples comorbidités, les définissant comme une population particulièrement à risque.
Chez les patients diabétiques, ce risque accru de présenter des complications liées à l’infection virale est bien connu et fait préconiser la vaccination contre la grippe saisonnière ou le pneumocoque. Être vacciné contre la grippe permet en effet de réduire le risque de se rendre à l’hôpital pour un accident vasculaire cérébral de 30 %, pour un infarctus myocardique de 22 % et pour une pneumonie de 15 %. La mortalité est également diminuée de 24 %.12
En cas d’infection aiguë, un état d’insulino-résistance s’installe et nécessite une adaptation du traitement antidiabétique, avec parfois relais par insuline chez les patients habituellement traités par antidiabétiques oraux (ADO), ou une majoration de l’insulinothérapie préexistante.13-15 Chez tout patient diabétique, une infection par le SARS-CoV-2 va donc être associée à un risque augmenté de décompensation acidocétosique ou hypersomolaire.16
Pour le moment, ni les ADO ni l’insuline n’ont été associés avec une augmentation du risque d’infection par le SARS-CoV-2, ou d’évolution défavorable.
Chez les patients diabétiques traités uniquement par ADO, si le traitement devait être poursuivi dans un contexte septique et notamment en cas d’absence d’apports alimentaires, il existe des risques selon le type de traitement (tableau 1).
Enfin, en cas d’infection sévère à SARS-CoV-2 nécessitant une hospitalisation et un traitement antiviral, certains ADO nécessitent une surveillance en cas d’utilisation concomitante d’atazanavir ou de lopinavir/ritonavir. L’utilisation concomitante de répaglinide et d’atazanavir est même contre-indiquée (tableau 2). En cas de doutes, nous recommandons de consulter le site : www.covid19-druginteractions.org.
Le patient suivra les mesures barrières émises par l’OFSP : distanciation sociale, lavage fréquent des mains, sorties limitées. Le soignant peut émettre un certificat demandant à l’employeur de respecter les directives de l’OFSP pour les personnes diabétiques en contact avec le public, en favorisant le télétravail ou en procurant masques et gants pour une protection plus optimale.
Tout d’abord, en absence d’infection sévère, il est important de recommander aux patients de continuer de prendre leur traitement antidiabétique habituel. Ceci est valable pour les autres médicaments, notamment les hypocholestérolé miants et les antihypertenseurs. Concernant les bloqueurs du système rénine-angiotensine (inhibiteurs de l’enzyme de conversion et sartans), la poursuite du traitement est recommandée.17 Alors que l’enzyme ACE 2 semble être un des récepteurs au coronavirus dans les voies respiratoires, il n’y a pour l’instant aucune preuve scientifique que les bloqueurs du système rénine-angiotensine influencent le cours de la maladie (tableau 3). Comme mentionné précédemment, en cas de maladie induisant une diminution des apports alimentaires ou l’hydratation, il sera nécessaire de diminuer voire même stopper certains traitements antidiabétiques (tableau 1). En cas d’hyperglycémies persistantes, il sera indiqué d’adapter le traitement ADO ou l’insuline. Nous recommandons à tous les patients diabétiques de contacter leur médecin ou leur diabétologue traitant afin de discuter toute adaptation de traitement si nécessaire. Ces adaptations peuvent être aisément faites par télémédecine.
Dans le but d’éviter des sorties régulières en temps de confinement partiel, nous recommandons aux patients d’avoir des réserves suffisantes à domicile pour au moins deux semaines (p.ex. en cas d’infection par le COVID-19), tant en matériel qu’en médicaments oraux ou injectables. Ainsi, en cas de confinement dû à une forme bénigne de la maladie, aucune sortie ne sera nécessaire. Nous leur rappellerons d’avoir notamment des tampons alcoolisés, des désinfectants supplémentaires pour les mains, ainsi que des bandelettes et lancettes pour contrôle de la glycémie capillaire, matériel de surveillance, aiguilles, cathéters et réservoirs, piles. Pour les patients insulinopéniques à risque de présenter une cétose particulièrement en cas d’infection, nous recommandons également d’avoir des bandelettes urinaires et/ou capillaires (préférentiellement) pour contrôler les corps cétoniques et de revoir avec leur médecin l’adaptation des doses en cas d’hyperglycémie avec ou sans cétonémie. En raison de l’anorexie possiblement présente au cours de la maladie, le risque d’hypoglycémie peut être majoré. Il sera donc aussi indiqué d’avoir du glucagon en réserve. Enfin, il est utile de rappeler à tout patient de garder une réserve de glucides à ingestion rapide séparée des autres aliments de la maison et facilement accessible.
Durant cette épidémie, les habitudes hygiéno-diététiques étant particulièrement modifiées, un suivi accru de la glycémie est recommandé. Les noms et numéros de téléphone des médecins traitants, ainsi que tout autre soignant de l’équipe multidisciplinaire de diabétologie, doivent être facilement accessibles, afin de pouvoir les joindre en cas de nécessité (tableau 4). En cas de consultation urgente, le soignant respectera les directives d’hygiène émises par les autorités. Le suivi thérapeutique est essentiel pour éviter les hospitalisations. Les soins podologiques en particulier devraient être poursuivie en cas de risque d’hospitalisation pour mal perforant plantaire. La rupture de la continuité des soins chez les patients déséquilibrés ou compliqués les expose à un risque de décompensation diabétique grave plus élevé que celui lié au COVID-19.
Il est important d’informer les patients sur les symptômes à reconnaître, lesquels sont hétérogènes et peuvent comprendre une fièvre, une toux, mais parfois juste un syndrome grippal ou des symptômes gastro-intestinaux. Souvent, le patient notera une augmentation de ses glycémies et/ou de ses besoins en insuline parfois précédant les signes infectieux eux-mêmes. Si une infection était confirmée, sans signe de gravité, une surveillance attentive du glucose et des corps cétoniques en cas d’hyperglycémie prolongée, ainsi que les mesures de correction en découlant, est impérative. Des contacts téléphoniques rapprochés avec un soignant seront envisagés (tableau 4).
En cas de traitement régulier par paracétamol, nous recommandons de rappeler aux patients porteurs de certains systèmes de monitoring en continu du glucose (CGM), tels que le Dexcom G5, Medtronic Enlite et Guardian, que ce traitement peut altérer les valeurs de glycémie affichées. En cas de doute, un suivi par glycémies capillaires ou des étalonnages plus fréquents sont à proposer.
Au vu du risque de déséquilibre glycémique induit par l’insulino-résistance en lien avec le contexte infectieux, nous préconisons un suivi strict des glycémies chez tout patient connu pour un diabète, même sous monothérapie ADO. L’HbA1c et la cétonémie doivent être mesurées chez les patients présentant des glycémies élevées, connus ou non pour un diabète. Chez les patients sous inhibiteurs du SGLT-2, la cétonémie est une mesure indispensable dès l’admission, même si la glycémie est normale, car des acidocétose euglycémique peuvent survenir en cas de décompensation. En cas d’hyperglycémies persistantes, un arrêt du traitement ADO devra être envisagé, avec un relais, transitoire par insulinothérapie basal-bolus (tableau 4). Un contrôle glycémique strict étant associé avec une baisse de la morbi-mortalité chez les patients en soins intensifs,18,19 une insulinothérapie intraveineuse avec des objectifs stricts (7-10 mmol/l) sera nécessaire chez certains patients, parfois même à hautes doses, en raison d’une insulinorésistance accrue. Un contact étroit avec l’équipe multidisciplinaire de diabétologie intrahospitalière de votre centre devra être prévu.
Le diabète est associé avec une évolution plus sévère et défavorable de l’infection à SARS-CoV-2. Il est important de préciser que cette population présentant des complications sévères est souvent âgée et souffre d’autres comorbidités majeures, souvent sur le plan métabolique et cardiovasculaire. Il n’y a pas d’indication à modifier le traitement antidiabétique en prévention. En revanche, des recommandations de suivi strict et d’équilibre glycémique sont à énoncer en cas d’infection. En cas de formes sévères, les antidiabétiques non insuliniques présentent tous des risques propres. Le recours à une insulinothérapie intensifiée sera donc nécessaire pour viser un équilibre glycémique mettant le patient à l’abri du risque de surinfection.
Nous recommandons de revoir avec les patients la nécessité d’avoir suffisamment de matériel à domicile, d’effectuer des automesures régulières de la glycémie, ainsi que de contacter un soignant immédiatement en cas de déséquilibre glycémique ou d’infection.
Pour tout renseignement complémentaire, la Société Suisse d’Endocrinologie et de Diabétologie met à jour les recommandations sur le thème COVID-Diabète (www.sgedssed.ch/fr/diabetologie/covid-19).
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Sur la base les données épidémiologiques actuellement disponibles, le diabète ne semble pas être un facteur de risque d’avoir un COVID-19
▪ Le risque d’évolution sévère ou défavorable en cas de COVID-19 est plus élevé chez les patients diabétiques, probablement dû à une polymorbidité préexistante
▪ En cas d’infection, une insulinorésistance s’installe et le traitement doit être adapté
▪ Une insulinothérapie doit être envisagée en cas d’hyperglycémie persistante chez tout patient hospitalisé pour une infection à COVID-19
Based on the epidemiological data currently available, diabetes does not seem to be a risk factor for infection with SARS-CoV-2 but may be associated with a more severe course. Diabetes is extremely common in older patients with co-morbidities who are at risk of unfavorable outcomes. As with any other infection, poorly controlled pre-existing diabetes can promote secondary infections and lead to acute complications related to hyperglycemia, worsened itself by the infection. It is important to advise patients to have enough diabetic equipment and supplies at home, to make regular blood glucose self-tests, and to contact a caregiver immediately in case of glycemic imbalance or signs of infection. Antidiabetic therapy may need adjustments following usual sick day rules. Insulin therapy should be considered to treat any persistent hyperglycemia in patients hospitalized for an acute infection.