La survenue de la pandémie de Covid-19 a eu un impact mondial prépondérant sur la société, avec des répercussions majeures sur l’activité chirurgicale. Au fur et à mesure de l’évolution de la pandémie, les ressources hospitalières disponibles pour effectuer les interventions chirurgicales ont été utilisées pour les patients atteints du Covid-19, avec une réduction de la capacité opératoire. L’impact s’est étendu de la chirurgie urgente à la chirurgie oncologique et les effets à long terme restent à établir. Des protocoles visant l’optimisation des soins, tels que la réhabilitation améliorée après chirurgie, permettent de pallier partiellement la réduction des ressources disponibles, afin d’améliorer les résultats de la chirurgie.
La pandémie de Covid-19 a eu un incroyable impact sur la vie humaine, sur le système sanitaire et sur l’économie mondiale. Ainsi, en 2020, la principale nouveauté chirurgicale est dramatique, puisqu’il s’agit d’une réduction importante du nombre d’interventions réalisées dans le monde en raison de la pandémie, dont les conséquences seront mesurables seulement dans quelques années. En effet, alors que les statistiques d’hospitalisations et les courbes de décès suite au Covid-19 étaient bien accessibles dans les médias ou sur internet, les conséquences en termes de complications, séquelles et mortalité chez les patients non atteints par le Covid-19 et dont les opérations ont été retardées ou annulées mettront plusieurs années avant d’être mesurées et publiées.
Des estimations montraient en mars-avril 2020 qu’environ 28 millions d’interventions chirurgicales avaient été annulées ou reportées durant les 3 premiers mois du pic de la pandémie. Avec la survenue de la 2e vague en automne 2020, le chiffre a dépassé les 40 millions d’interventions annulées ou reportées, avec des impacts importants dans le domaine de la chirurgie oncologique. En supposant qu’environ 20 à 25 % des opérations restent possibles, il faudrait probablement une année au moins pour rattraper toutes les interventions annulées, en tenant compte du fait que de nouveaux patients viendront s’ajouter à ces listes.1
En Suisse, le premier cas de Covid-19 est apparu le 25 février 2020 et les mesures restrictives ont été introduites au cours des 23 jours suivants. Le nombre de patients Covid-19 au CHUV passait rapidement à la mi-mars de 5 à 140. Le maximum de patients hospitalisés au CHUV lors de la 1re vague était de 152 alors qu’au cours de la 2e vague, il était de 286 patients. Les HUG ont eu des pics de plus de 600 patients hospitalisés en même temps durant la 2e vague, chiffre identique à l’ensemble du canton de Vaud.
Lors de la première vague, l’activité chirurgicale élective au CHUV a baissé à 43 % de son taux avant Covid-19 et ne s’est jamais rétablie complètement avant la 2e vague lors de laquelle cette activité a baissé à 30 %. Le nombre de consultations passait de 728 à 296 durant la 1re vague de Covid-19, soit 59 % de moins.1 Durant la période de 6 semaines de la 1re vague de la pandémie, le nombre d’interventions est passé de 295 à 165, soit une baisse de 43 %, alors que le nombre d’interventions chirurgicales en urgence passait de 1476 à 897, soit 39 % de moins.1
Au cours de la 2e vague de Covid-19 en octobre-novembre 2020, le nombre de lits de soins intensifs du CHUV est passé de 35 à 73. Le nombre de salles d’opération utilisables est passé de 16 à 6 au bloc principal et de 6 à 0 à l’Hôpital orthopédique. Les autres hôpitaux romands ont été contraints de mettre en place des changements similaires.
Ces diminutions sont dues aux déplacements de professionnels de la santé vers les soins intensifs chirurgicaux, les soins intermédiaires et la médecine et, lors de la 1re vague uniquement, par la transformation de zones chirurgicales en soins intensifs. Si les salles d’opération sont restées libres au cours de la 2e vague, les ressources humaines ont bien été déplacées vers les soins intensifs, limitant grandement la capacité opératoire d’un hôpital de la taille du CHUV. Les HUG et les hôpitaux régionaux romands ont connu des déplacements similaires.
Les interventions déplacées ou supprimées n’étaient pas uniquement des interventions oncologiques, mais aussi des interventions sur des patients présentant des douleurs importantes ou des risques de complications ou d’infections graves. Le choix des interventions pouvant être réalisées durant les périodes critiques était délicat, puisque si certaines interventions comme des hernies symptomatiques ou des éventrations abdominales pouvaient être repoussées, il y avait un risque pour ces patients de devoir être opérés en urgence, avec une probabilité plus élevée de nécessiter le recours à une unité de soins intermédiaires ou de soins intensifs déjà surchargée. Il s’agissait donc de bien évaluer les risques et les avantages à repousser une intervention ou pas.
Ainsi, certains hôpitaux ont décidé de mettre sur pied des comités pour décider du maintien ou non d’opérations. Les options étaient : a) de maintenir les interventions électives ; b) de supprimer les interventions électives et c) de poursuivre les interventions électives mais de ne pas accepter de nouveaux cas.2 Cette dernière stratégie n’est pas adaptée car trop rigide. Les hôpitaux romands ont poursuivi certaines interventions électives en adaptant le programme opératoire en fonction de l’arrivée de nouveaux cas urgents, sorte d’effet domino : déplaçant les cas en fonction de leur degré d’urgence.
Pour la chirurgie des cancers, la situation était plus délicate puisque, si un certain nombre de cancers peuvent être traités par des chimiothérapies en attendant ou en préparation à la chirurgie, il est démontré que certains cancers doivent être opérés rapidement. Une intervention chirurgicale dans un délai de 32 jours suivant le diagnostic radiologique initial d’un cancer du pancréas réduit le risque de progression de la tumeur à un stade non opérable.3 Des projections ont suggéré que le risque de métastases hépatiques de cancer du pancréas augmentait significativement à partir de 2 semaines de délai opératoire, pour augmenter encore si le délai passe à 4 ou 8 semaines.4 Un délai de plus de 16 semaines étant associé à une survie des patients de 18 % à 1 an et de 5 % à 2 ans, versus 52 et 35 % sans délai respectivement.5 Cependant, au vu de la limitation des ressources opératoires, de nombreuses sociétés scientifiques ont établi une série de recommandations en proposant des alternatives à la chirurgie ou son report en fonction des ressources hospitalières disponibles.6 Pour la chirurgie oncologique hépatobiliaire, un résumé des différentes recommandations est disponible dans une récente revue,7 et les différentes options alternatives ou permettant le report d’une intervention chirurgicale telles que la chimiothérapie, la thermoablation percutanée, la radio-embolisation ou la chimio-embolisation sont présentées. La limitation des ressources engendrées par la pandémie renforce l’importance des réunions multidisciplinaires afin d’attribuer le meilleur traitement disponible en fonction du patient et de la biologie de la tumeur.
Dans la situation actuelle de pandémie et pour la chirurgie oncologique gastro-intestinale et hépatobiliaire, lors d’un récent sondage incluant 79 services dans 20 pays européens, environ 40 % des chirurgiens ont observé un report des interventions chirurgicales pour les cancers hépatobiliaires et gastro-intestinaux, avec dans près de deux tiers des cas un report de plus de 4 semaines.8 Les conséquences au long terme de ces reports ne pourront être analysées qu’ultérieurement.
De plus, un certain nombre de patients oncologiques bénéficiant de chimiothérapies néoadjuvantes et atteignant les seuils de toxicités nécessitent soit une diminution des doses, soit même une interruption du traitement oncologique médical et nécessitent donc une chirurgie rapidement. D’autres interventions plus particulières comme les chimiothérapies intrapéritonéales hyperthermiques (CHIP) pour les carcinoses péritonéales ou les chimiothérapies intrapéritonéales pressurisées par aérosols (PIPAC) ne pouvaient pas être repoussées, nécessitant des capacités opératoires maintenues. Au CHUV lors de la 2e vague, le nombre de chimiothérapies effectuées par le Service d’oncologie médicale a été de 150 % par rapport à la même période en 2019, pouvant illustrer en partie le recours plus important à la chimiothérapie dans l’attente d’une intervention chirurgicale.
Un autre facteur à analyser est la robustesse de notre service de santé. Pour des interventions urgentes comme les cholécystectomies ou les appendicectomies, il a pu être démontré dans le canton de Vaud que si la durée entre la survenue des premiers symptômes et la consultation aux urgences avait été significativement augmentée, probablement par la crainte des patients de contracter le Covid-19 à l’hôpital, la durée entre l’admission aux urgences et la prise en charge chirurgicale est restée la même alors que les cas étaient plus compliqués, avec davantage de perforations d’appendicites et de cholécystites abcédées. En revanche, les durées de séjours n’ont pas été augmentées. Cette étude en cours de finalisation concerne le CHUV et l’ensemble des hôpitaux de la Fédération des hôpitaux vaudois (FHV).
Le virus SARS-CoV-2 se transmettant par aérosol, une interrogation importante du monde médical a été le danger potentiel de contamination en salle d’opération : contamination des patients et du personnel, anesthésistes, soignants et chirurgiens.
Pour les patients opérés en électif, un test PCR a été imposé 24 à 72 heures avant l’admission. Pour les équipes, les anesthésistes travaillant sur les voies respiratoires utilisaient un équipement de protection complet et les intubations étaient réalisées de préférence par vidéo-endoscopie. Le monde chirurgical a beaucoup débattu du risque potentiel de la laparoscopie, en raison de la circulation de CO2 sous pression en contact avec les tissus. En fait, malgré des prises de position de certains experts (autoproclamés ?) et de sociétés scientifiques qui recommandaient de renoncer à la laparoscopie, il n’existe aucune donnée concluante permettant de défendre cette restriction. En Suisse romande, les interventions se sont poursuivies par laparoscopie lorsqu’indiqué, sans aucune contamination de membre de l’équipe de salle d’opération ni de patients.
En revanche, les patients Covid-19 positifs, même faiblement symptomatiques, n’ont pas été opérés en électif. En effet, en cas d’infection périopératoire par le SARS-CoV-2, le risque de complications pulmonaires atteint 50 %, avec une mortalité importante de près de 20 % en cas de chirurgie élective et jusqu’à 26 % pour une chirurgie en urgence.9 Si ces patients avaient une indication importante, leur opération a été repoussée, idéalement à 4 semaines après les premiers signes d’infection.10
Avec une telle diminution de la capacité opératoire et une surcharge de l’occupation des lits d’hospitalisation ou de soins continus et intensifs, toutes les possibilités permettant de diminuer les complications chirurgicales et raccourcir les durées de séjours sont les bienvenues. Parmi toutes ces mesures, le concept de réhabilitation améliorée après chirurgie Enhanced Recovery After Surgery (ERAS) est capital dans l’optimisation des ressources de santé hospitalière pour la chirurgie.
Il a été démontré que ERAS permet de réduire les complications entre 20 et 50 % selon les spécialités, entraînant des diminutions de séjours de quelques jours à quelques semaines, sans augmenter les taux de réadmission et en diminuant la nécessité d’avoir recours aux soins intensifs.11 Depuis 2011, le CHUV a progressivement introduit le programme ERAS en chirurgie colorectale puis hépatique, s’étendant ensuite à de nombreuses spécialités. En chirurgie viscérale du CHUV, les patients opérés de l’œsophage, du foie ou du pancréas ne vont que très exceptionnellement aux soins intensifs depuis l’introduction de ERAS. Par ailleurs, les diminutions de séjours pour les patients opérés du foie et du pancréas ont été de l’ordre de 40 à 50 %. De nombreuses études démontrent que ERAS permet de diminuer les coûts de 2000 à 8000 francs suisses par patient pour la chirurgie lourde.12 Ceci permet un retour sur investissement d’un facteur 4 ! Ainsi, l’application du programme ERAS permet d’optimiser les résultats de la chirurgie en développant une étroite collaboration entre le personnel infirmier, les chirurgiens, les anesthésistes et d’autres spécialistes de la santé comme les physiothérapeutes et les diététiciens. Depuis l’introduction de ERAS au CHUV, des économies d’environ 12 millions ont pu être réalisées sur plus de 5000 patients traités avec cette méthode de réhabilitation améliorée après chirurgie, libérant un potentiel de 12 000 lits en 8 ans. Il ne fait aucun doute qu’avec la limitation des ressources entraînées par la pandémie de Covid-19, un tel programme est un facteur important dans leurs optimisations.
La pandémie de Covid-19, avec les deux vagues au printemps et en automne 2020, a un impact chirurgical dont les conséquences sur la survie des patients notamment oncologiques ne sont pas encore mesurables. La réattribution des ressources de santé au sein des hôpitaux a entraîné des modifications de la prise en charge de patients oncologiques avec une augmentation du nombre de chimiothérapies néoadjuvantes permettant de patienter. Des concepts, comme la réhabilitation améliorée (ERAS) après chirurgie, qui permettent de diminuer les complications, les durées de séjours et les coûts, sont particulièrement utiles en période de restrictions des ressources pour optimiser les résultats de la chirurgie.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• La pandémie de Covid-19 a des répercussions majeures sur l’activité chirurgicale avec une réattribution des ressources de santé pour les patients Covid-19
• Une optimisation des soins, notamment par le recours aux principes de réhabilitation améliorée après chirurgie, des patients non Covid-19 est nécessaire
• Les conséquences à long terme de la pandémie sur les patients nécessitant une chirurgie oncologique ou urgente restent à déterminer
The occurrence of the COVID-19 pandemic had a major impact on global society with major repercussions on surgical activity. As the pandemic has evolved, the hospital resources available to perform surgeries have been reallocated to COVID-19 patients with a reduction in surgical capacity. The impact has spread from urgent surgery to cancer surgery, and the long-term effects remain to be established. Protocols allowing cost-saving care, such as enhanced recovery after surgery, are tools that can partially offset the rationing of available resources in order to optimize the surgical outcome.