Holguera, J., G., Nicolas, S. (2022). '– Une introduction sur les cobénéfices santé-environnement' in Santé et environnement.

31 – Une introduction sur les cobénéfices santé-environnement

Le concept de cobénéfices

Malgré l’acceptation croissante du besoin de répondre aux urgences climatiques et écologiques par de profondes transformations systémiques de nos sociétés, les interventions politiques et les changements de nos modes de vie restent entravés par de nombreux freins structuraux, sociaux et financiers, ainsi que de nombreuses barrières psychologiques au changement qui caractérisent notre relation aux problèmes climatiques et environnementaux 1 - 3 , sans mentionner les campagnes actives de désinformation menées par des groupes d’intérêt liés aux énergies fossiles notamment 4 , 5 . Néanmoins, les annonces qui se succèdent d’événements extrêmes liés au dérèglement du climat (incen-dies, sécheresses, inondations, etc.) et qui touchent également les pays occidentaux le rendent de plus en plus tangible et rappellent l’urgence de réduire drastiquement et rapidement les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES).

De nombreuses collectivités mettent en place des stratégies climatiques, ou « plans climat », afin de définir des objectifs de réduction des émissions de GES et guider l’implémentation de mesures. L’identification et la promotion des « cobénéfices » découlant de ces politiques climatiques, c’est-à-dire des bénéfices pour la santé, l’emploi ou tout secteur socio-économique, peuvent en renforcer l’acceptabilité. En effet, les menaces découlant du dérèglement climatique sont encore perçues dans les pays occidentaux comme distantes et abstraites, dans le temps ou dans l’espace. Dès lors, il peut paraître judicieux de souligner les bienfaits directs et immédiats, notamment en termes de santé, résultant de ces politiques publiques. Par exemple, les cobénéfices pour la santé découlant de mesures visant à réduire la dépendance à la mobilité motorisée sont nombreux (voir le chapitre 32 sur la pratique de la mobilité active). De même, il existe une marge pour promouvoir l’adoption d’une alimentation qui soit à la fois plus saine et plus durable (voir le chapitre 33 sur l’alimentation saine et durable). Les mesures visant à lutter contre la perte de la biodiversité et à renforcer la résilience des territoires en valorisant les espaces verts sont également reconnues comme pouvant être grandement bénéfiques pour la santé des populations (voir le chapitre 34 sur le contact avec la nature). Ces trois domaines sont explorés dans les chapitres qui suivent.

Faire converger des objectifs d’ordres environnementaux et socio-économiques en favorisant l’identification de potentielles synergies est nécessaire au vu de la complexité des enjeux de transition. En termes économiques, une meilleure prise en compte des cobénéfices à court ou moyen terme permettrait notamment de justifier les investissements nécessaires aux politiques environnementales. Mais les cobénéfices intersectoriels restent insuffisamment pris en compte dans la planification de politiques climatiques, notamment du fait du manque d’identification des objectifs communs entre différents secteurs, des difficultés aux collaborations intersectorielles et du manque d’intégrations horizontale et verticale des mesures prises par différentes institutions et acteurs 3 , 6 .

Un enjeu majeur de santé publique et une mobilisation des soignant•e•s

Les impacts du dérèglement climatique sont décrits comme une menace majeure de santé publique pour le xxie siècle 7 , 8 . On observe aujourd’hui une mobilisation du milieu de la santé sur ces thématiques avec, notamment, la publication annuelle du Lancet Countdown qui explore les liens entre santé publique et changement climatique, l’appel lancé en septembre 2021 par plus de 200 journaux médicaux en faveur d’une action urgente pour le climat 9 , ou le rapport spécial de l’OMS publié en amont de la COP26 qui s’est tenue en novembre 2021 et qui exhorte à prendre en compte la question de la santé dans les négociations climatiques 10 .

Dans ce contexte, de nombreux professionnel•le•s de santé se mobilisent sur les enjeux liés de durabilité et de santé et ceci à différents niveaux (voir Figure 1). Certain•e•s militent ou s’engagent politiquement afin d’alerter la population et exiger des gouvernements des conditions environnementales favorables à la santé des populations actuelles et futures 11 - 13 .

Figure 1.

Modalités d’implications des professionnel•le•s de santé dans un continuum d’engagement communautaire et dans la pratique clinique 19

Mais ces questions touchent également aux pratiques cliniques. Des études analysent et mettent en lumière les empreintes carbones et environnementales des services de santé 14 , 15 (voir le chapitre 39 : La science de la durabilité dans les services de santé). Leurs résultats permettent d’identifier les gros postes d’émissions. Certaines institutions et services renforcent leurs stratégies de durabilité et mettent en place des initiatives d’analyses de cycles de vie et d’éco-bilan des pratiques cliniques afin d’améliorer l’efficience environnementale des services de santé (voir le chapitre 40 : Recommandations pour l’écoconception des cabinets de médecine de famille).

Touchant plus au cœur de leurs pratiques, les professionnel•le•s de santé, de concert avec des actions de santé publique, vont devoir adapter leurs activités cliniques au changement climatique et aux dégradations environnementales. Les soignant•e•s vont par exemple devoir prendre en charge les effets sur la santé de l’accroissement des périodes de canicule, de l’augmentation des allergies respiratoires ou de l’émergence de nouvelles maladies infectieuses 16 (voir les chapitres spécifiques sur ces thématiques).

Des soignant•e•s explorent également de nouvelles interventions dans leurs pratiques en soulignant que certains changements de comportements bénéfiques pour la santé présentent des cobénéfices pour l’environnement. La WONCA (Association mondiale de médecine générale – médecine de famille) encourage ces interventions en proposant la définition suivante pour valoriser ces cobénéfices à un niveau individuel : « Choix quotidiens et changements clés que les personnes/patients peuvent faire dans leur propre vie qui conduisent simultanément à un bénéfice pour leur propre santé et pour celle de l’environnement 17 . » Les professionnel•le•s de santé pourraient ainsi accompagner des changements sociétaux au travers de conseils et d’informations visant l’adoption de certains comportements. C’est notamment le cas d’habitudes de vie portant sur l’alimentation, les pratiques de mobilités quotidiennes et du contact avec la nature.

Des interventions cliniques dans ces domaines pourraient accompagner des politiques publiques à un niveau individuel, comme cela peut être le cas avec d’autres thèmes tels que le tabagisme ou la consommation d’al-cool : des approches individuelles ciblées vont de pair avec des mesures structurelles de santé publique. Bien entendu, l’articulation entre ces interventions au niveau individuel et les interventions structurelles (législations, infrastructures, normes sociales, etc.) doit être réfléchie afin d’assurer leur efficacité. À ce jour cependant, aucune étude d’implémentation n’a exploré le type d’information, les modalités d’interaction avec les patient•e•s, l’acceptabilité et l’efficacité de ces interventions 18 . Une recherche clinique de qualité dans ce domaine, qui devra s’appuyer sur des collaborations interdisciplinaires, est donc nécessaire.

L’utilisation du concept de cobénéfice n’a pas pour objectif d’entretenir une forme de dualisme entre l’humain et l’environnement naturel, en séparant les bénéfices pour l’environnement d’un côté et ceux pour la santé de l’autre. La santé humaine est dépendante du fonctionnement du système Terre qui assure les conditions favorables à la santé et à la vie. Ainsi, les bénéfices pour l’environnement résultant de stratégies de réduction d’émissions de GES par exemple sont bien sûr bénéfiques pour la santé et il est important de souligner cet état de fait. Mais il s’agit plutôt de lier les mesures environnementales avec des effets tangibles et à court terme en santé publique en encourageant une prise en compte systémique des coûts et bénéfices de nos actions.

À noter qu’il est essentiel de souligner l’importance de conserver une rigueur terminologique dans ce que l’on considère comme « cobénéfique » en évitant les usages alibi. Il est notamment important d’éviter que ce concept ne soit pas mobilisé que pour des actions peu ambitieuses, relativement faciles à implémenter mais insuffisantes face aux changements structuraux profonds qui sont nécessaires pour faire face aux enjeux environnementaux d’aujourd’hui.