La recherche clinique et moléculaire sur les mécanismes de contrôle de l’inflammation s’est intensifiée de manière spectaculaire suite à la découverte des Toll-like receptors (TLR). Ces efforts ont permis l’identification et la caractérisation d’une nouvelle classe de protéines appelées NOD-like receptors (NLR), qui sont les pendants intracellulaires des TLR. Ils agissent comme de véritables senseurs des dangers encourus par la cellule et sont essentiels à l’initiation de la réponse inflammatoire. Leur implication dans la pathogenèse de nombreuses maladies auto-inflammatoires et auto-immunes modifie notre compréhension des mécanismes impliqués dans ces maladies. Nous discutons ici ces découvertes majeures, ainsi que leurs implications cliniques en dermatologie courante.
La recherche sur les Toll-like receptors (TLR) a tout juste dix ans. Pourtant, on ne compte plus les publications sur le sujet et l’imiquimod (activateur du TLR-7) fait déjà partie de notre pratique courante comme booster de l’immunité antivirale/tumorale. Toutefois, les TLR sont le sommet d’un iceberg dont la partie immergée est constituée de nombreuses autres molécules impliquées dans l’activation de l’immunité, notamment les NOD-like receptors (NLR).1 La structure de ces protéines cytoplasmiques est caractérisée par la succession de trois domaines permettant, respectivement, de détecter le danger (LRR), de former un large complexe d’activation (NACHT) et enfin de recruter et d’activer leur cible moléculaire (type domaine de la mort, PYD ou CARD) (figure 1).2 On distingue actuellement pas moins de 21 NLR, classés selon leur structure en plusieurs sous-familles (NALP1-14, IPAF, NAIP, NOD1-5 et CIITA). Cette architecture n’est pas très éloignée de celle des TLR, mais de par sa plus grande variabilité, elle permet un éventail de détection et de réponse plus étendu (figure 1). La plupart des signaux activateurs des NLR sont des produits microbiens qui entraînent l’activation de voies de signalisation pro-inflammatoires permettant l’activation des bras inné (neutrophiles) et adaptatif (cellules T) de l’immunité. Mais le rôle des NLR ne s’arrête pas là, puisqu’ils détectent de nombreuses attaques non microbiennes et ont été récemment rattachés à plusieurs maladies génétiques auto-inflammatoires et auto-immunes. L’observation de ces maladies rares et des données obtenues en laboratoire apporte une lumière nouvelle sur les mécanismes impliqués dans des maladies fréquemment rencontrées en pratique dermatologique, comme le vitiligo, l’acné et la goutte.
Le vitiligo est une maladie fréquente dont la pathogénie restait pourtant mal connue jusque-là. On détectait chez ces patients des anticorps et des cellules T antimélanocytes, sans pouvoir réellement expliquer leur présence.3 Or, on a récemment découvert que les formes familiales du vitiligo sont liées à des mutations de NALP1, également associées à diverses maladies auto-immunes (diabète, thyroïdites auto-immunes et lupus érythémateux systémique).4 NALP1, ASC et caspase-1 forment un complexe moléculaire contrôlant l’activation de cytokines clefs de l’inflammation, notamment l’interleukine(IL)-lβ, raison pour laquelle ce complexe est appelé «inflammasome».5 Bien que le rôle fonctionnel des mutations de NALP1 n’ait pas été étudié, on peut proposer le modèle suivant : les microtraumatismes, dont l’effet sur le vitiligo est évident,6 induisent une activation exagérée de l’inflammasome et une sécrétion augmentée d’IL-1, activée, responsable de la perte de tolérance aux auto-antigènes présents dans les mélanocytes. De manière similaire, une perte de tolérance permettrait de développer une réponse auto-immune dirigée contre les cellules centrofolliculaires (thyroïdite), pancréatiques (diabète) ou cutanées (lupus). Ce modèle semble corroboré par le rôle clef de l’inflammasome de NALP3 dans la tolérance et la sensibilisation aux allergènes cutanés (voir ci-dessous).
Les mutations découvertes dans le gène codant pour NALP3 identifient un groupe de syndromes regroupés sous le terme de cryopyrinopathies (cryopirin étant synonyme de NALP3).7 La forme la moins sévère, l’urticaire familial lié au froid (FCAS), est caractérisée par des fièvres répétitives, une atteinte cutanée à type d’urticaire et des douleurs articulaires. Dans le syndrome de Muckle-Wells, plus sévère, ce tableau peut s’accompagner par une perte auditive progressive et une amyloïdose rénale. Dans la forme la plus sévère (NOMID ou CINCA), les manifestations sont présentes tôt dans la vie et s’accompagnent d’une atteinte systémique cutanée, articulaire et nerveuse (CNS). La corrélation génotype-phénotype n’est pas parfaite mais reste un outil pronostique valable, si l’on garde en considération le fait que 50% des patients n’ont pas de mutation détectable de NALP3. La qualité de vie et le pronostic de ces patients sont améliorés spectaculairement par l’anakinra (IL-1ra, inhibiteur soluble de l’IL-1), dont le profil toxicologique est excellent.7 L’arrivée prochaine sur le marché d’un anticorps humanisé bloquant l’IL-1β, dont les études cliniques semblent prometteuses, va encore étoffer notre arsenal thérapeutique ciblant cette voie de signalisation. D’autres maladies auto-inflammatoires similaires pourraient également être dues à des dysfonctions de l’inflammasome. En effet, l’arthrite juvénile idiopathique systémique (SoJIA, anciennement maladie de Still), la maladie de Still de l’adulte (AoSD) et le syndrome de Schnitzler sont tous trois caractérisés par des atteintes articulaires évoluant par poussées, accompagnées de lésions urticariennes et d’une gammapathie monoclonale pour le syndrome de Schnitzler, ainsi que par une sécrétion augmentée d’IL-lβ et une réponse très favorable à l’anakinra (tableau l).8-10
La goutte et la pseudo-goutte sont des maladies inflammatoires caractérisées par la présence dans les articulations ou la peau de cristaux d’urate ou de pyrophosphate, respectivement. Ces cristaux sont suspectés d’agir comme des signaux de danger signant le largage d’ADN par des cellules mortes, et ont été identifiés récemment comme étant des activateurs très puissants de l’inflammasome.11 La présence de NALP3 est d’ailleurs essentielle, chez la souris, pour le recrutement massif des neutrophiles induit par ces cristaux.11 L’importance de l’IL-1β dans ce système suggère d’ailleurs que d’autres maladies neutrophiliques, par exemple le syndrome de Sweet et le pyoderma gangrenosum, sont liées à une activation de l’inflammasome. La relevance clinique de ces observations a été démontrée dans une étude clinique lausannoise démontrant l’excellente activité de l’anakinra dans le traitement de formes rebelles de gouttes.12
Finalement, il est utile de se pencher sur la fièvre méditerranéenne familiale (FMF) et le syndrome d’arthrite pyogénique, acné et pyoderma gangrenosum (PAPA). La FMF est une maladie dont la clinique est très proche de celles des cryopyrinopathies, mais sans élément cutané. Elle est due à une mutation dans le gène codant pour Pyrin (figure 1) qui semble inhiber NALP3 mais qui pourrait également former un véritable inflammasome, dont l’activité est modulée par PSTPIP1.7 Or cette molécule est mutée dans le syndrome PAPA, caractérisé par une acné nodulo-kystique, un phénomène de pathergie (formation d’abcès stérile sur les sites de ponction veineuse) ainsi que par des ulcères stériles d’extension rapide, remplis de neutrophiles (pyoderma gangrenosum, anciennement connu sous le terme d’ulcère phagédénique), réalisant avec l’atteinte des articulations le tableau d’une maladie neutrophilique récidivante.13 Il est certain que l’acné, dans ses formes sévères (acne fulminans, SAPHO, tétrade acnéique), partage de nombreuses caractéristiques cliniques avec ces syndromes : évolution par poussées inflammatoires, infiltrat neutrophilique, atteinte concomitante articulaire. Il est donc possible que le syndrome PAPA représente un modèle rare mais informatif de l’acné et du pyoderma gangrenosum, suggérant que les NLR jouent un rôle important dans ces maladies. Finalement, il est intéressant de noter que la FMF est traitée depuis l’antiquité par la colchicine, tout comme la goutte, ce qui suggère un mécanisme moléculaire commun certainement lié aux NLR.
Nous avons récemment démontré l’importance de l’inflammasome dans l’hypersensibilité de contact. En effet, l’inflammasome est essentiel pour la sécrétion d’IL-lβ par les kératinocytes humains exposés à des irritants ou des sensibilisants puissants (comme le DNCB).14 De plus, chez la souris, la présence de NALP3 est essentielle pour l’activation des cellules T et la sensibilisation à ces substances. Il est d’ailleurs possible d’utiliser l’anakinra pour induire une tolérance à un sensibilisant (liée en partie aux cellules T régulatrices) ou, au contraire, de décupler l’effet d’un sensibilisant moyen en activant l’inflammasome avec le SDS.15 Ceci suggère qu’en l’absence de signaux de danger, un signal de tolérance est envoyé au système immunitaire, alors qu’en présence de danger, l’IL-1β favorise le développement de cellules Th17 et Th1 actives. Ces observations peuvent être utiles pour l’amélioration des techniques de désensibilisation et d’immunothérapie antitumorale. Pour rappel, le DNCB est utilisé en clinique dans l’alopécie en aire (immunomodulateur) et le mélanome (immunostimulant).16
La maladie de Crohn est clairement associée à la fois à une sécrétion majorée d’IL-lβ dans la muqueuse et à des mutations dans le gène codant pour NOD2. In vitro, NOD2 permet de détecter la présence du muramyldipeptide, un composant de la paroi bactérienne. NOD2 active RIP-2, une kinase permettant d’augmenter l’expression de la pro-IL-lβ, et semble également activer faiblement la caspase-1. Les mécanismes par lesquels les mutations de NOD2 influencent le Crohn restent controversés, certains éléments suggérant une perte de fonction et d’autres un gain de fonction.17 L’étude de l’efficacité des traitements bloquant l’activité de l’IL-1β dans cette maladie permettra peut-être de juger de l’utilité de cette découverte.
Devant un tableau clinique d’épisode inflammatoire récurrent, il est devenu essentiel d’évoquer l’éventualité d’une maladie liée à l’activation des NLR, puisqu’on dispose maintenant d’un traitement efficace et sûr (anakinra, IL-1Ra). Toutefois, il est également utile de reconnaître la valeur éducative de ces syndromes rares, qui peuvent permettre de mieux comprendre les mécanismes phytopathologiques de maladies fréquentes que nous croyons parfois connaître, comme le vitiligo et l’acné. En effet, cette ouverture d’esprit a permis à des patients atteints de goutte de bénéficier d’une nouvelle approche thérapeutique efficace. Il faut espérer que ceci se répète dans le futur pour d’autres maladies impliquant l’IL-1β, que ce soit l’acné, le vitiligo, les maladies neutrophiliques ou la maladie de Behçet (bien qu’aucune étude clinique ne soit actuellement enregistrée pour ces maladies).
> Un inhibiteur de l’interleukine-1β (anakinra) est disponible en clinique dès aujourd’hui, d’autres sont à venir
> Devant une maladie récurrente de la peau et des articulations, il faut penser à une maladie auto-inflammatoire liée aux NLR car un traitement efficace est disponible
> Des formes rebelles de goutte peuvent bénéficier d’un traitement d’anakinra
> L’irritation cutanée par des détergents favorise la sensibilisation aux allergènes cutanés
Clinical and molecular research on inflammation has soared tremendously thanks to the discovery of Toll-like receptors (TLRs). These efforts have resulted in the recent identification and characterization of a new class of proteins called NOD-like receptors (NLR), which are intracellular analogs of the TLRs. These molecules act as true sensors of the dangers encountered by the cell and are essential for the initiation of the inflammatory response. Their implication in the pathogeny of numerous auto-inflammatory and autoimmune diseases revolutionizes our understanding of the mechanisms underlying the development of these diseases. We discuss here these major discoveries as well as their clinical implications.