La prévalence des troubles et complications psychiatriques est élevée chez les résidents des établissements médico-sociaux (EMS). Ce phénomène risque non seulement de diminuer leur qualité de vie, mais aussi de complexifier leur prise en charge. Afin de leur offrir une aide au niveau psychiatrique, nous avons mis en place dans quatorze homes fribourgeois un service de consultations et de liaisons réalisées par des médecins et infirmières spécialisés en psychiatrie de l’âge avancé. Cet article présente les résultats d’une enquête de satisfaction réalisée au terme d’une période-test d’un an de collaboration. Deux tiers des consultations-liaisons ont concerné des cas de démence ou des dépressions. Ces prestations ont été très bien évaluées, notamment en raison de leur dimension formatrice auprès des équipes.
Un service de consultation-liaison auprès des EMS du canton de Fribourg a été mis en place en août 2003 suite à un mandat de la DSAS (Direction de la santé et des affaires sociales). Divers partenaires de l’actuel Réseau fribourgeois de santé mentale (l’hôpital psychiatrique cantonal et le service psychosocial), en collaboration avec l’AFIPA (Association fribourgeoise des institutions pour personnes âgées), l’Hôpital Sud Fribourgeois et le Service du médecin cantonal, ont travaillé de concert à ce projet.
Ce besoin était lié à plusieurs réflexions, notamment relatives à la morbidité psychiatrique très élevée dans les institutions de long séjour, dont la prévalence tendrait d’ailleurs à augmenter.1 En effet, l’âge moyen des résidents avoisine généralement les 80 ans ; à cet âge, la prévalence des syndromes démentiels atteint, voire dépasse 20%. On a pu mettre en évidence que la majorité des résidents (environ 80%)2 présentent une ou plusieurs complications psychiatriques (démence 74%, délire 60%, hallucinations 30%, agressivité 50%, symptômes dépressifs 45%, anxiété 70%).3 De telles complications sont très fréquentes dans la maladie d’Alzheimer et d’autres formes de démence.4 Certaines d’entre elles, en particulier les complications dépressives et les états confusionnels,a diminuent considérablement la qualité de vie des personnes âgées, constituent un risque pour la santé et augmentent la mortalité.5
D’après les estimations pour 2008 de l’Association Alzheimer Suisse,b 40% despersonnes atteintes d’un syndrome démentiel vivent dans les EMS fribourgeois, ce qui représente environ 1100 personnes.
Tous ces éléments ont conduit l’Organisation mondiale de la santé, en 1997 déjà, à rédiger un protocole d’accord sur l’organisation des soins en psychiatrie gériatrique.6 Selon ce dernier, la psychiatrie gériatrique devrait impliquer ses connaissances particulières dans les réseaux de santé.c
Dans ce contexte, la consultation et la liaison doivent être distinguées (pour unedéfinition, voir par exemple Caduff).8 La première fait référence à l’examen durésident, alors que la deuxième se réfère à tout ce qui est abordé avec l’équipe soignante en l’absence du résident. Les deux peuvent être couplées, la consultation ne sera jamais unique, sans retour à l’équipe soignante, mais par contre, il se peut qu’il n’y ait que la liaison, par exemple pour des raisons de refus de consultation du résident ou de sa famille.
Dans le cadre de ces consultations-liaisons, il faut encore distinguer les prestations médicales d’une part et les prestations infirmières d’autre part.
Les prestations médicales sont multiples et ont pour objectifs principaux :
l’aide à l’établissement ou à la précision des diagnostics psychiatriques.
L’organisation des consilia thérapeutiques à l’attention des médecins traitants.
La transmission au personnel soignant de connaissances spécifiques pour le dépistage et la prise en soins de résidents atteints de troubles psychiatriques.
La prise en charge ciblée sur les ressources et déficits du résident.
L’aide ou maintien si possible des résidents atteints de troubles psychiatriques dans leur environnement habituel.
L’anticipation d’éventuelles complications en proposant une hospitalisation dans des situations qui l’exigent.
L’optimalisation des ressources du personnel soignant, du réseau et des proches.
Les prestations infirmières quant à elles portent sur les objectifs suivants :
favoriser l’échange d’expériences au niveau d’une équipe ainsi qu’entre les équipes.
Aider l’équipe soignante à acquérir une compétence clinique et promouvoir ainsi le plaisir de l’exercice de la profession.
Améliorer la pratique des soignants en leur permettant de résoudre par eux-mêmes des problèmes rencontrés.
Valider ce qui est déjà mis en place.
Etablir un lien entre des concepts théoriques et la pratique lors de situations complexes.
Un projet pilote a été mis sur pied et débuté le 1er octobre 2004. Une première évaluation a été réalisée au 30 septembre 2005. Suite à la satisfaction globale des partenaires de soins, il a été décidé d’élargir le projet initial à quatorze homes médicalisés (927 lits) parmi les 46 que compte le canton de Fribourg (totalisant 2298 lits). Une convention cadre de collaboration entre l’ancien hôpital psychiatrique cantonal et l’AFIPA a été élaborée et signée. Les autres homes du canton, comme au préalable, gardent la possibilité de demander une consultation en amenant le patient en ambulatoire au centre de soins hospitaliers de Marsens. En raison de difficultés inhérentes au recrutement du médecin cadre, cet élargissement et le début de cette nouvelle étape ont pu finalement prendre forme le 1er avril 2007. Cet article présente et discute ainsi les résultats d’une enquête de satisfaction des bénéficiaires desprestations de consultation-liaison (les EMS), à l’issue d’une année de pratique (période du 01.04.07 au 31.03.08).
Les données recueillies pour cette évaluation ont été les suivantes :
le nombre de patients/résidents concernés.
Le nombre de consultations effectuées.
Le nombre de liaisons réalisées.
Le sexe des patients/résidents.
L’âge des patients/résidents.
Le(s) diagnostic(s) médical (médicaux), y compris les comorbidités (par exemple un patient peut avoir un syndrome démentiel et un trouble de la personnalité).
L’évaluation de la consultation-liaison par les EMS se base sur un questionnaire avalisé par la commission des soins de l’AFIPA ciblant cinq axes : 1) l’organisation ; 2) la satisfaction des soignants ; 3) les résultats au niveau des patients ; 4) la satisfaction des familles et 5) les perspectives.
Ce questionnaire comportant quinze questions et offrant la possibilité de répondre sur une échelle de 1 à 4 suivant le degré de satisfaction ou non (à l’exception d’une question qui demande une réponse dichotomique oui/non) a été envoyé aux quatorze EMS. Des commentaires libres, mais se rapportant aux questions posées ont été demandés et formulés.
Au total, 146 résidents (soit 15,7%) ont été concernés par cette prise en charge qui a compté 204 consultations et 312 liaisons médicales réparties dans les quatorze homes. Les femmes sont, comme on pouvait s’y attendre d’un point de vue démographique, plus représentées (76,7% des résidents vus) et sont généralement plus âgées (l’âge moyen est de 82 ans pour les femmes et de 75 ans pour les hommes). Les diagnostics médicaux retenus pour ces patients sont représentés dans la figure 1.
On relève ainsi qu’environ 50% de la consultation-liaison ont concerné des patients/résidents touchés par des troubles cognitifs, alors que les 50% restant ont été répartis entre les différentes pathologies, à purement parler, psychiatriques.
Nous constatons clairement que du point de vue des prestations infirmières, la liaison (43 liaisons) prend une place beaucoup plus importante et significative par rapport à la consultation1 proprement dite.
Le taux de réponses des quatorze EMS au questionnaire qui leur a été envoyé est de 100%. La figure 2 représente, pour chacune des questions posées, le nombre d’EMS rapportant différents degrés de satisfaction (de pas du tout à entièrement).
Ces résultats montrent une satisfaction globalement élevée à très élevée de la part des EMS bénéficiant des prestations de consultation-liaison. D’ailleurs, treize EMS sur les quatorze ont déclaré désirer poursuivre la consultation-liaison.
Les faiblesses rapportées portent principalement sur les possibilités de remplacement de la consultation en cas d’absence (maladie, accident) prolongée du médecin de liaison. Elles ont également montré l’importance de renforcer la collaboration entre le médecin de liaison et le médecin traitant. Elles ont soulevé la question d’une éventuelle adaptation de la fréquence des visites suivant la taille du home.
Les forces ont montré un aspect didactique pour les équipes permettant de développer un savoir, une meilleure compréhension et acceptation des situations de soins complexes. L’intervention de l’infirmière de liaison a été appréciée et l’aspect rassurant de se référer à un pôle de compétences a bien été relevé. Dans un des quatorze EMS (accueillant une patientèle assez lourde et polymorbide), on a également mis en évidence une baisse des chutes attribuée à une médication psychotrope mieux ciblée.
L’évaluation de cette première année de consultations-liaisons élargie à quatorze EMS du canton de Fribourg montre sur le plan quantitatif un nombre conséquent de patients/résidents ayant bénéficié de ces prestations. Les diagnostics médicaux montrent que ce travail se répartit équitablement entre les pathologies cognitives et celles plus spécifiquement psychiatriques. Le travail infirmier a quant à lui nettement plus concerné la liaison, avec un nombre mineur de consultations.
L’enquête de satisfaction effectuée auprès des quatorze EMS apporte sur le plan qualitatif des résultats intéressants et espérés dans différents domaines. Le plus pertinent est l’augmentation des compétences de l’équipe soignante, ce qui a pour corollaire d’en diminuer les craintes face aux situations complexes. L’amélioration du confort des patients et résidents devant en découler, inférée uniquement en termes de stabilisation et de diminution des hospitalisations, nécessiterait par contre d’être mieux documentée.
Nous avons pour perspectives un élargissement de ces prestations à l’ensemble des homes du canton, selon des critères déterminés entre l’AFIPA et ses membres. Le renforcement de l’équipe médicale est acquis d’un point de vue formel, et le désir des partenaires est si possible de mettre en route cette nouvelle étape dans le courant du premier semestre 2009. Nous souhaitons aussi promouvoir l’apport du Service de psychologie du Secteur de la personne âgée, notamment pour des problématiques systémiques. Enfin, la formation du personnel soignant reste un point essentiel et ne peut se faire qu’en partenariat avec les différentes instances du canton de Fribourg (HES, Caritas, Etat).
> Les complications psycho-comportementales sont très fréquentes dans les syndromes démentiels, notamment des résidents en EMS
> Les pathologies plus spécifiquement psychiatriques sont également en augmentation chez les résidents de long séjour
> La psychiatrie de liaison en EMS offre une approche mieux ciblée de ces pathologies et de leur prise en charge
The prevalence of psychiatric disorders and symptoms in nursing homes is high. This phenomenon could potentially harm the residents’ quality of life but also complicate their treatment. To offer a regular psychiatric input, a group of psychiatrists and nurses specialized in psychogeriatrics have set up a consultation-liaison service in 14 nursing homes in the canton of Fribourg. In this paper, we report the results of a satisfaction inquiry realized after one year of collaboration. Dementia and depression were the two most common psychiatric diagnoses, accounting for more than two thirds of the cases. These services were found to be very satisfying, especially their educational dimension for the nursing home staff.