La limitation des coûts de la santé est une des grandes préoccupations dans la pratique de la médecine actuelle. L’expiration du brevet d’un médicament original peut laisser la place à des génériques moins chers. Malheureusement, la biodisponibilité des génériques peut être différente et osciller entre 80 et 125% de celle des médicaments d’origine. L’épilepsie est une maladie chronique nécessitant un traitement sur le long terme. Les antiépileptiques ont en général une fenêtre thérapeutique étroite. Dans le cadre d’un changement pour un générique, une diminution des taux du médicament augmente le risque d’une récidive de crises épileptiques avec possibilité de blessure ainsi qu’un impact défavorable sur le plan sociomédical. En conclusion, la modification d’une thérapie, qui a stabilisé la comitialité en substituant le médicament d’origine par un générique, n’est pas conseillée.
La préoccupation de restreindre les coûts de la santé nous concerne tous. Comment le patient peut-il être soigné le mieux possible en bénéficiant des progrès de la technologie médicale et du développement des traitements sans escalade des coûts ? Dans le budget global, les médicaments représentent 21% des coûts de la santé en Suisse.1 Le remplacement du médicament original par un générique pourrait être attractif vu le prix inférieur du générique. Le taux actuel de substitution par des génériques est estimé à 63%,2 donc relativement élevé. Dans ce contexte, il faut tenir compte des différents groupes de traitements médicaux, par exemple : antalgiques, anti-infectieux, etc.
L’épilepsie est une maladie chronique avec une prévalence de 1%. Les traitements ne sont en général pas très coûteux mais il s’agit de prescriptions à long terme. De plus, l’épilepsie est une affection où le patient vit avec une incertitude et la menace d’une éventuelle récidive de crises et leurs conséquences aussi bien sur le plan médical que social.
Les traitements antiépileptiques ont en général une pharmacocinétique compliquée, et leur effet se développe par le biais de différents mécanismes d’action. De plus, une interaction entre les médicaments est possible, ce qui peut soit diminuer l’effet, soit augmenter les effets indésirables. Les effets secondaires sont en général importants et dose dépendants. Le dosage est individuel et la fenêtre thérapeutique étroite par rapport à d’autres substances. Dans le cadre du suivi médical, le contrôle des crises doit être attentivement surveillé de même que les effets secondaires, ce qui nécessite parfois la mesure des taux sériques pour s’assurer d’une absorption en rapport avec l’effet clinique.3 La perte de contrôle du patient lors de la survenue de crises est une problématique journalière. Le patient risque de se blesser, parfois même de manière grave. La récidive peut avoir des conséquences sociales et économiques dans le cadre du travail et pour la conduite automobile. Une récidive de crise amène souvent à une consultation médicale, parfois en urgence, et nécessite une hospitalisation dans certains cas.4
Le brevet d’une substance expire après dix ans. Le prix d’un médicament est fixé en tenant compte du coût de développement. Une partie des gains de l’industrie pharmaceutique est réinvestie dans la recherche de nouveaux produits mais aussi dans la formation médicale.5 La biodisponibilité est définie par la fraction de la substance retrouvée dans la circulation systémique. Selon l’OMS, pour les génériques, elle doit se situer dans l’intervalle de confiance à 90%. Il en résulte une possible différence des taux sériques des génériques, qui peuvent osciller entre 80 et 125% des concentrations du médicament original. Il peut y avoir une différence de vitesse de dissolution et de demi-vie, ainsi que des intolérances aux additifs. En plus, la biodisponibilité est déterminée sur de petits groupes (minimum douze personnes) de volontaires sains de sexe masculin, pendant une durée limitée (environ douze semaines). Cette population test n’est donc de loin pas représentative d’une population telle que les différents sous-groupes de patients épileptiques traités (enfants, patients âgés, femmes en âge de procréer, patients avec comédications et/ou comorbidités importantes (dysfonction hépatique ou rénale, troubles cognitifs et consommation régulière d’alcool)).4
Dans le cadre d’une épilepsie, l’impact médicosocial est plus important en cas de récidive de crises. Le patient est alors absent du travail ou de l’école. En cas de nécessité, il aura recours à une consultation médicale, parfois en urgence, surtout en cas de blessure. Dans les cas graves, une hospitalisation pourra être nécessaire. La conduite d’un véhicule devra être suspendue, avec des conséquences professionnelles et sociales néfastes. Ces facteurs mènent également à une augmentation indirecte des coûts de la santé.
Dans la littérature actuelle, on trouve plusieurs indications montrant que la substitution d’un antiépileptique pour un générique peut être défavorable. Par exemple, pour la lamotrigine (Lamictal), dont le brevet a expiré en 2004 en Suisse, les nombreux génériques mis sur le marché ont occasionné une confusion chez certains patients du fait de leur aspect différent ; de plus, certains génériques n’ont pas été disponibles à long terme. Vu l’index thérapeutique étroit, la substitution d’un médicament original par un générique peut conduire à une diminution des taux sanguins et donc à une récidive des crises.4 Au Danemark, un cas, traité par des doses élevées de lamotrigine, a développé, après substitution par un générique, des effets secondaires sous forme d’un syndrome d’hypersensibilité progressif.6 Au Canada, une augmentation des coûts médicaux a été rapportée lors du passage à des génériques de la lamotrigine.7
Concernant la carbamazépine (Tégrétol), une substance fréquemment prescrite sous une forme galénique permettant une libération contrôlée, lors d’une substitution par un générique, l’absorption est plus rapide, ce qui conduit à une augmentation des effets secondaires.8-10
La phénytoïne est une substance avec une cinétique non linéaire et un index thérapeutique très étroit. Les génériques n’ont pas montré une stabilité satisfaisante11 et il en est résulté une diminution des taux sériques avec récidive des crises.12
La substitution du topiramate (Topamax) par de multiples génériques, évaluée sur le plan clinique et économique chez 948 patients (étude de cohorte ouverte), a montré une augmentation des hospitalisations, des lésions survenues dans le cadre de crises et une augmentation des coûts des soins. L’effet était moindre en cas de remplacement par un seul générique.13
Deux ans après l’expiration du brevet du zonisamide (Zonegran) aux Etats-Unis, il y avait dix-sept produits génériques différents disponibles sur le marché, ce qui a induit une certaine confusion chez les patients et des difficultés pour assurer le traitement à long terme.14
Une étude, effectuée par le biais d’un questionnaire envoyé aux médecins traitants de 50 patients épileptiques bien contrôlés, a montré, après remplacement par des génériques (phénytoïne, valproate, gabapentine et zonisamide), une augmentation des crises ; chez 21 patients, les taux sériques étaient diminués. L’étude a conclu à un effet défavorable sur la qualité de vie, à une perte de la capacité à conduire et une perte de jours de travail.15
Ainsi, l’expérience accumulée a conduit les organisations d’épileptologues de différents pays, comme l’Angleterre, le Pays de Galles, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne, l’Ecosse, la Suède, les Pays-Bas et les Etats-Unis, à formuler des recommandations pour la prescription des génériques d’antiépileptiques, et ceci de manière nuancée et adaptée à la pratique des différents pays.
Au vu de cette littérature, en s’attachant uniquement à des preuves solides on peut retenir deux choses : a) concernant une possible réduction des coûts par le remplacement des génériques, l’analyse nécessaire du rapport coûts-bénéfices n’a pas été faite et on ne peut donc pas conclure ;16 et b) concernant la récidive des crises après substitution des médicaments originaux par des antiépileptiques génériques, Perucca17 constate que la relation de cause à effet n’est pas établie.
L’utilisation des génériques des antiépileptiques est restreinte, car l’épilepsie est une affection chronique dans laquelle la récidive des crises a un impact important sur la qualité de vie et le risque de blessures. Les antiépileptiques sont des traitements avec une fenêtre thérapeutique étroite, des effets secondaires et des interactions complexes, à la suite desquels un abaissement des taux sériques peut conduire à la réapparition des crises. Selon le consensus actuel, il n’y a pas d’indication à modifier une thérapie qui a stabilisé la comitialité en remplaçant le médicament d’origine par un générique. Comme cité dans une publication récente et d’ailleurs comme règle générale dans la pratique de la médecine : «If it ain’t broke, don’t fix it».5 Par contre, il est possible de débuter un traitement antiépileptique par un générique, pour autant que celui-ci soit disponible à long terme.
La limitation des coûts de la santé est une des grandes préoccupations dans la pratique de la médecine actuelle. L’expiration du brevet d’un médicament original peut laisser la place à des génériques moins chers. Malheureusement, la biodisponibilité des génériques peut être différente et osciller entre 80 et 125% de celle des médicaments d’origine. L’épilepsie est une maladie chronique nécessitant un traitement sur le long terme. Les antiépileptiques ont en général une fenêtre thérapeutique étroite. Dans le cadre d’un changement pour un générique, une diminution des taux du médicament augmente le risque d’une récidive de crises épileptiques avec possibilité de blessure ainsi qu’un impact défavorable sur le plan sociomédical. En conclusion, la modification d’une thérapie, qui a stabilisé la comitialité en substituant le médicament d’origine par un générique, n’est pas conseillée.