L’asphyxie positionnelle (AP) est une entité fatale consistant en une entrave mécanique des mouvements respiratoires, due à la position du corps. Les conséquences en sont une hypoventilation alvéolaire importante et, le cas échéant, une hyperexcitabilité cardiaque. Cette dernière se produit en raison d’une acidose respiratoire associée à une libération massive de catécholamines lorsqu’un individu est entravé et soumis à une contrainte physique. Ainsi, ce syndrome, qui peut se produire lors de diverses circonstances, est surtout observé lors de contraintes physiques et en association avec un Excited delirium (ED). Le diagnostic de l’AP se base essentiellement sur trois critères : une position corporelle entravant l’échange normal de gaz, l’impossibilité de se libérer de cette position et l’exclusion d’autres causes possibles de décès.
L’asphyxie positionnelle se définit comme l’asphyxie chez un individu résultant d’une entrave des mouvements respiratoires du fait de sa position avec, pour conséquence, une hypoventilation alvéolaire significative.
En théorie, il existe deux possibilités pour qu’un individu se retrouve dans une situation engendrant une AP. Soit son corps est fixé dans cette position en raison de dispositifs externes (figure 1), soit l’individu concerné se trouve accidentellement immobilisé dans une position non physiologique entravant ses mouvements respiratoires, en raison de troubles de la vigilance, comme une chute dans les escaliers avec un traumatisme crânien et une perte de connaissance (figure 2).1,2 Les effets négatifs de ces positions antiphysiologiques sont généralement augmentés par des facteurs associés contribuant soit à aggraver l’hypoxie/anoxie cérébrale, soit à diminuer, voire supprimer les capacités de réaction. De ce fait, ces situations d’AP se rencontrent en particulier chez des patients avec des pathologies préexistantes (pathologies cardiorespiratoires et neuropsychiatriques), des personnes âgées, des individus obèses et/ou se trouvant sous l’influence de substances psychotropes (notamment alcool et sédatifs).
Il existe des situations où les mouvements respiratoires sont entravés en raison de facteurs extrinsèques (par exemple : dispositif de contrainte, menottes, membres attachés) ou intrinsèques (par exemple : imprégnation alcoolique, prise de médicaments psychotropes ou de stupéfiants), alors que la position est considérée comme physiologique.2,3 Parmi les cas de contrainte externe, il faut également attirer l’attention sur la position en décubitus ventral avec les poignets et les chevilles liés ensemble derrière le dos (Hog-tied-position) (figure 3), utilisée parfois par la police en cas d’arrestation, notamment de sujets agités présentant d’importants signes de résistance.3
L’Excited delirium (ED) induit par la prise de substances psychotropes, notamment la cocaïne, est une entité bien connue et récemment actualisée par DiMaio.4 Il s’agit d’un état aigu d’excitation psychique et d’agitation physique qui augmente fortement les besoins en oxygène du corps, en particulier au niveau cardiaque. Plusieurs cas de décès subits ont été rapportés dans la littérature chez des individus ayant présenté un tableau typique d’ED. Le décès survenait après une arrestation policière mouvementée, suivie d’une immobilisation par différents moyens de contention physique. Cette immobilisation conduisait à une hypoventilation alvéolaire importante, dans un contexte d’hyperexcitabilité myocardique consécutive à une acidose respiratoire combinée à une libération massive de catécholamines.
Lors des investigations médicales concernant de telles situations, il importe donc de connaître les antécédents personnels de la victime et les circonstances qui ont conduit à son décès, notamment en termes d’agitation, de moyens de contention mais aussi d’imprégnation alcoolique, médicamenteuse ou par stupéfiants, afin d’évoquer le diagnostic d’AP après avoir écarté toute autre possibilité.
A titre d’’illustration, nous présentons un exemple d’AP typique et un cas d’ED avec une composante asphyxique.
Il s’agit d’un homme de 64 ans, connu pour un alcoolisme chronique, qui est trouvé décédé à son domicile, étendu en décubitus dorsal en bas et en travers de l’escalier menant à l’étage supérieur, avec les genoux en flexion (figure 2). Fait notable, la tête est en hyperflexion sur le thorax, position manifestement de nature à limiter les mouvements respiratoires. Il n’y a pas eu d’intervention du médecin-légiste sur place.
Les investigations médico-légales ont essentiellement mis en évidence des signes compatibles avec une AP, tels que des pétéchies conjonctivales et l’absence de lividités cadavériques au niveau de la partie antérieure du cou et de la région pectorale, compatible avec une hyperflexion de la tête. Une hypertrophie-dilatation cardiaque et une athérosclérose généralisée non susceptibles d’expliquer le décès ont également été mises en évidence.
Les analyses toxicologiques ont objectivé des taux moyens d’éthanol de 2,23 g‰ dans le sang périphérique et de 3,29 g‰ dans l’urine ainsi que la présence concomitante d’une benzodiazépine (nordiazépam) à une concentration thérapeutique dans le sang.
Un homme de 42 ans fortement agité, sous l’influence de cocaïne, tenant des propos incohérents et se prenant pour le diable, est signalé à la police. En tentant de le maîtriser, une bagarre entre plusieurs policiers et l’individu a lieu. Une fois mis à terre en position de décubitus ventral, avec les membres supérieurs et les membres inférieurs en position d’extension, l’homme est maintenu par le cou avec une matraque. Il se débat malgré tout avec force et l’un des gendarmes doit le maintenir couché au sol en le chevauchant au niveau du dos. Alors qu’on lui entrave les poignets dans le dos, l’un des policiers constate que l’individu saigne du nez, qu’il respire «en râlant» et que le tonus musculaire s’est relâché tandis que son pouls est devenu à peine palpable. A l’arrivée des secouristes, l’individu est en arrêt cardiorespiratoire. Après une reprise d’activité cardiaque sous réanimation, l’intéressé est adressé aux urgences où il arrive comateux avec une température corporelle de 38°C. Le contrôle de l’urine est positif pour la cocaïne. Une encéphalopathie postanoxique avec absence de réveil, consécutive à un arrêt cardiorespiratoire sur prise de cocaïne, est alors diagnostiquée. Devant la persistance d’une évolution défavorable, un retrait thérapeutique est décidé. Le décès de cet homme interviendra au sixième jour d’hospitalisation.
Les investigations médico-légales ont essentiellement mis en évidence une anoxie cérébrale dans le contexte d’un arrêt cardiorespiratoire. Le rapport d’autopsie fait état d’ecchymoses et de dermabrasions cutanées sur quasiment l’ensemble du corps, d’hématomes des muscles pectoraux bilatéraux et du diaphragme à gauche et d’une fracture de l’arc antérieur des quatrième et cinquième côtes gauches.
Les analyses toxicologiques ont été effectuées sur les échantillons sanguin et urinaire prélevés peu après l’arrestation, respectivement une et trois heures après l’arrêt cardiorespiratoire. Le sang ne contenait pas d’alcool éthylique. Les tests d’orientation se sont révélés positifs pour les benzodiazépines, le cannabis et la cocaïne. La caractérisation et les dosages de ces substances ont confirmé la prise de cocaïne avant l’arrêt cardiorespiratoire, mais sans atteindre des valeurs permettant d’attribuer le décès à la consommation de ce stupéfiant. L’analyse toxicologique des cheveux a révélé une consommation importante de cocaïne au cours des trois mois précédant les faits.
Le terme de «décès par asphyxie positionnelle» a initialement été utilisé pour décrire le mécanisme menant à la mort, quand un individu alcoolisé, en règle générale obèse, se trouvait encastré dans un espace restreint, par exemple entre un lit et un mur, et suffoquait.
Par la suite, des cas de mort subite chez des individus maintenus en position ventrale lors d’une arrestation, entraînant une asphyxie, même sans pression exercée au niveau du cou, ont été décrits dans la littérature et de nombreux cas ont été rapportés.5,6 Bon nombre de cas de mort subite et inattendue lors d’une contrainte physique ont été observés lors de détentions policières ainsi que dans certaines situations des services d’urgences. Ces décès surviennent chez des personnes présentant un comportement particulièrement violent et incontrôlable, souvent associé à un effort physique extrême, une hyperthermie et une imprégnation de substances stimulantes (par exemple : cocaïne, amphétamines, LSD), l’ensemble étant qualifié d’ED.7
Une étude a montré une augmentation significative des cas de mort subite en détention policière depuis les années 1980 jusqu’au début des années 2000. La mort a été associée à un comportement violent, à l’utilisation de moyens de contrainte et à une intoxication, notamment dans le cadre d’abus de cocaïne et de narcotiques.8 Une autre étude a notamment montré que 93% des sujets décédés dans de telles circonstances étaient des hommes âgés en moyenne de 35,7 ans, que 89% d’entre eux étaient menottés et que pour plus de 50% des contraintes supplémentaires avaient été nécessaires. De la cocaïne a été retrouvée chez plus des trois quarts des sujets décédés,9,10 de manière générale à des taux inférieurs à ceux détectés chez les individus décédés suite à une consommation de cocaïne. Ainsi, les taux mesurés chez des individus, présentant un ED, correspondent plutôt à ceux observés lors d’une utilisation «récréative» de cocaïne.11 A l’occasion d’une étude portant sur 61 décès, en milieu policier, d’individus avec un tableau clinique d’ED associé à une prise de cocaïne chez 60% des sujets, Ross a souligné l’existence d’une hyperthermie avec des valeurs moyennes de 40°C.12 Dans tous les cas, la contrainte physique avait été utilisée et certains des détenus avaient été immobilisés dans une position où les pieds et les poings étaient liés.
De manière générale, le syndrome d’ED est caractérisé par une détérioration de l’état de conscience avec une symptomatologie confusionnelle fluctuante souvent associée à des symptômes psychotiques. Le patient peut être vigilant, agité ou dans un état stuporeux. Quand la confusion, la peur et l’excitation augmentent, le patient peut devenir plus agité, perdre le contrôle de lui-même, devenir combatif et potentiellement dangereux pour lui-même ou pour les autres. L’ED est une urgence psychiatrique et médicale caractérisée par une agitation extrême avec une hostilité qui peut progresser jusqu’à la mort. Cet état d’agitation s’accompagne le plus souvent d’une élévation de la température centrale.
Le rôle des stimulants, en particulier de la cocaïne, semble important : en effet, la cocaïne est un agent sympathomimétique extrêmement puissant qui sensibilise le myocarde aux catécholamines. Elle augmente ainsi la pression artérielle ainsi que la contractibilité et la fréquence cardiaques, aboutissant à une augmentation du besoin en oxygène du myocarde.13 De plus, la cocaïne augmente le risque d’arythmies cardiaques graves, y compris d’arrêt cardiaque, en l’absence même d’une pathologie préexistante du cœur.14,15
A l’autopsie, la cause de la mort n’est souvent pas établie sur les seules constatations macro- et microscopiques. En revanche, le décès peut être attribué au syndrome de l’ED,4 dès lors que les circonstances de survenue sont suffisamment évocatrices, notamment s’il existe une composante d’AP, une notion de prise de cocaïne et une hyperthermie.
Ainsi, dans la vignette clinique n° 1, la synthèse des éléments rapportés par les enquêteurs et les résultats des investigations médico-légales ont permis de conclure à un décès consécutif à une AP, favorisée par une intoxication éthylique aiguë. En effet, l’individu a été retrouvé dans une position entravant ses mouvements respiratoires (tête en position d’hyperflexion sur le thorax) et présentait une imprégnation éthylique sévère qui a probablement altéré son état de vigilance et donc sa capacité à se dégager.
Ainsi, dans la vignette clinique n° 2, la cause immédiate du décès est une encéphalopathie anoxique, survenue à la suite d’un arrêt cardio-respiratoire prolongé de plusieurs minutes. Ce dernier peut être lié à l’intervention policière (usage de manœuvres de contrainte, telles que rapportées par les témoins et les différents intervenants sur place), chez une personne sous l’influence de cocaïne, dans le cadre d’un ED.
De l’arrestation, telle que décrite, nous pouvons relever les éléments suivants qui corroborent le diagnostic d’ED et favorisent la survenue d’un tel arrêt cardiorespiratoire : l’individu présentait un état d’agitation important, était sous l’influence de cocaïne et a été placé dans une position entravant ses mouvements respiratoires. A l’arrivée aux urgences, une température corporelle élevée a été notée, soit 38°C.
> L’asphyxie positionnelle (AP) est une entité médico-légale qui doit être connue et reconnue en situation
> L’AP est favorisée par d’autres facteurs de nature à altérer le degré de vigilance, tels qu’un traumatisme crânien avec une perte de connaissance et/ou une imprégnation par des substances psychotropes ou des sédatifs
> L’AP peut également jouer un rôle contributif dans des cas d’Excited delirium (ED), syndrome récemment redécouvert lors d’épisodes d’agitation extrême chez des personnes souffrant de pathologies psychiatriques et/ou s’adonnant à la consommation de substances généralement stupéfiantes/stimulantes (cocaïne, amphétamines…) et qui ont justifié des manœuvres d’entrave ou de contrainte
Positional asphyxia (AP) is a fatal condition arising because of the adoption of particular body positions, causing mechanical interference. Consequences are important alveolar hypoventilation and cardiac hyperexcitability due to respiratory acidosis in combination with extensive liberation of catecholamine occurring in attracted individuals sustaining physical restrain. This syndrome can occur in various circumstances and is mostly observed in situations with physical restraint and in combination with excited delirium (ED). The diagnosis is essentially based on three criteria : body position obstructing normal breathable air exchange, impossibility to move to another position and exclusion of other causes of natural or violent death.