La prescription de probiotiques constitue une option pour la prévention ou le traitement de la diarrhée due aux antibiotiques (DAA). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les probiotiques sont des «micro-organismes vivants, qui, lorsqu’ils sont consommés en quantité adéquate, ont un effet bénéfique sur la santé de l’hôte». Des méta-analyses récentes, comprenant des adultes et des enfants, hospitalisés ou en ambulatoire, soulignent le manque d’études de bonne qualité et d’évaluation des effets indésirables. Elles constatent un bénéfice de l’administration de probiotiques dans la DDA, sans toutefois identifier les patients qui en profiteraient le plus. Des effets indésirables graves liés à la prise de probiotiques ont été décrits chez des patients immunodéprimés, ceux avec une atteinte de la barrière intestinale ou les porteurs d’un cathéter veineux central.
En perturbant l’équilibre de la flore gastro-intestinale, les antibiotiques peuvent provoquer la diarrhée chez 2 à 8% des patients hospitalisés, dont un peu plus de la moitié présentent une colite à Clostridium difficile.1 Durant des épidémies, cette fréquence peut atteindre 60%.2 La diarrhée due aux antibiotiques (DDA) est moins fréquente chez les personnes en bonne santé et les patients ambulatoires (6-33%).2-4 La DDA peut être sévère, C. difficile peut causer une colite pseudomembraneuse, un mégacôlon toxique, voire le décès. Elle peut survenir en début de traitement et jusqu’à deux mois après sa fin.2,5 L’incidence de la DDA varie en fonction du contexte et de différents facteurs, tels que l’état de santé ou l’âge (plus élevée chez les moins de six ans et les plus de 65 ans).2
Les probiotiques (PB) sont des «micro-organismes vivants, qui, lorsqu’ils sont consommés en quantité adéquate, ont un effet bénéfique sur la santé de l’hôte».6 Plusieurs spécialités sont commercialisées en Suisse. Or, ces produits n’ont pas tous les mêmes indications ni les mêmes limitations de remboursement. En 2011, le coût en Suisse de ces médicaments, pour l’hôpital et l’ambulatoire, s’est élevé à environ CHF 12 millions.
Cet article vise à mettre en évidence les connaissances récentes sur le rôle des PB dans la prévention et le traitement de la DDA, leurs effets indésirables ainsi que les questions encore en suspens. L’utilisation des PB dans la colite à C. difficile et la diarrhée du voyageur n’est pas abordée ici.
Les PB sont des micro-organismes vivants non pathogènes, principalement des bactéries appartenant aux genres Lactobacillus, Bifidobacterium et Streptococcus, ou des levures comme Saccharomyces boulardii. On trouve des PB dans certains aliments tels que les produits laitiers fermentés et les légumes lacto-fermentés (choucroute), comme complément alimentaire (levure de bière) ou sous forme de médicaments (tableau 1).
Les PB sont administrés pour prévenir ou améliorer la DDA, en diminuant sa durée et/ou sa sévérité.5 Ils sont réputés s’opposer à la colonisation de bactéries pathogènes faisant suite à la destruction de la flore endogène par l’antibiothérapie.3 Leur action serait liée à plusieurs mécanismes : compétition concernant les nutriments, inhibition de l’adhésion des pathogènes, stimulation du système immunitaire et production de substances antimicrobiennes.4
Les PB peuvent être prescrits en prévention ou traitement de la DDA. La plupart des études concernent la prévention. Certaines évaluent des micro-organismes, dont la viabilité peut être affectée par les antibiotiques et nécessitent une prise toutes les une à deux heures (par exemple : Lactobacillus et les dérivés de la pénicilline).
La littérature se caractérise par un manque de données concernant le dosage optimal à administrer en cas de DDA.2-4,7 Des méta-analyses récentes proposent un dosage pour certains PB (tableau 2). Le dosage optimal pour Enterococcus faecium n’a pas été étudié.
La qualité de la source de PB est adéquate pour les produits enregistrés comme médicaments. Il n’en va pas forcément de même pour les compléments alimentaires ou «alicaments».8 Des études, concernant les PB disponibles via internet, ont montré une grande diversité de qualité et de contamination. Certains produits ne contenaient pas la souche mentionnée sur l’emballage.2
Depuis 2007, huit méta-analyses concernant l’utilisation de PB en lien avec la DDA ont été référencées dans Medline. Une méta-analyse de 2012, incluant 63 études randomisées et contrôlées (RCT) et 11 000 patients, montre que l’utilisation de PB comme thérapie adjuvante diminue le risque de DDA (risque relatif (RR) : 0,58 ; IC 95% : 0,5-0,68 ; NNT (number needed to treat) : 13 ; IC 95% : 10,3-19,1).4 Cette méta-analyse comprend majoritairement des adultes. La plupart des études incluses utilisent un mélange de micro-organismes contenant souvent le genre Lactobacillus. Les genres Enterococcus, Streptococcus ou Bacillus ont rarement été utilisés. De manière générale, la composition des PB est peu documentée. L’hétérogénéité mise en évidence dans les résultats groupés ne permet pas de déterminer quels PB (monopréparation ou mélange) sont associés à la plus grande efficacité, quelles populations en bénéficient le plus et quels antibiotiques sont le plus souvent impliqués. Un manque d’évaluation des effets indésirables des PB est également relevé.
La méta-analyse de Butler et coll. va dans le même sens.3 Elle relève le peu d’informations disponibles dans le domaine des soins primaires ou des homes. Les auteurs estiment que la prescription de PB peut être justifiée chez les patients fragiles hospitalisés, éventuellement les enfants et les patients ayant eu une DDA dans le passé. Les PB devraient par contre être évités chez les patients immunodéprimés.
En 2010, McFarland a revu les données concernant l’efficacité et la sécurité de S. boulardii dans diverses indications.2 Concernant la DDA (10 RCT) chez l’adulte, S. boulardii avait un effet protecteur significatif (RR : 0,47 ; IC 95% : 0,35-0,63 ; NNT : 10,2). L’auteur relève l’importance d’un suivi suffisamment long après la fin de l’antibiothérapie. Or, la plupart des RCT avaient un suivi de 0 à 4 semaines seulement.
En 2010, Kale-Pradhan et coll. ont réalisé une méta-analyse de dix RCT concernant le genre Lactobacillus dans la prévention de la DDA (1862 adultes et enfants).7 Les auteurs concluent que l’administration prophylactique de Lactobacillus durant l’antibiothérapie réduit le risque de DDA chez les adultes (RR : 0,24 ; IC 95% : 0,08-0,75). Les résultats groupés des quatre RCT de pédiatrie ont montré une tendance à la diminution de la DDA, mais sans signification statistique (RR : 0,44 ; IC 95% : 0,18-1,08).
Une revue Cochrane de 2011 (16 études, 3400 enfants de 0 à 17 ans, hospitalisés ou en ambulatoire) a évalué l’efficacité et la sécurité des PB pour prévenir la DDA. A un dosage ≥ 5 x 109 ufc (unités formant colonie)/jour, le NNT était de 7 (IC 95% : 6-10). Les auteurs remarquent que la qualité des preuves concernant le critère d’évaluation primaire (incidence de la diarrhée) est faible en raison du risque de biais et d’imprécisions. Le bénéfice concernant les PB administrés à haute dose (L. rhamnosus et S. boulardii) nécessite confirmation. Aucune conclusion concernant l’efficacité et la sécurité d’autres PB pour la DDA en pédiatrie ne peut être avancée.5
Les PB sont consommés depuis des années, mais leur sécurité est peu documentée. Les effets indésirables rapportés le sont dans la majorité des cas chez des patients avec des problèmes de santé sous-jacents.3,4,9,10 L’Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ) a publié en 2011 une revue systématique (622 études, 24 000 patients) concernant la sécurité des PB utilisés en prévention ou traitement de maladies.10 Les auteurs constatent que la littérature actuelle ne permet pas de répondre de manière fiable à des questions spécifiques de sécurité concernant les PB.
Des fongémies à S. boulardii ont occasionnellement été rapportées.2 En 2005, Enache-Angoulvant et coll. ont identifié 92 cas d’infections invasives documentées à Saccharomyces dans leur revue de la littérature.11 Dans 37/92 cas, S. boulardii a été considéré comme l’agent étiologique. Parmi ces patients, cinq ne prenaient pas de PB à base de S. boulardii au moment du diagnostic. A la suite d’une analyse de ces isolats, une acquisition nosocomiale a été fortement suspectée, par transmission manuportée et contamination des cathéters intraveineux.
Hennequin et coll. ont montré que l’ouverture d’un sachet de S. boulardii lyophilisé peut contaminer l’air et l’environnement, avec persistance de micro-organismes jusqu’à deux heures sur les surfaces voisines.12 Les facteurs de risque principaux sont l’hospitalisation aux soins intensifs, la présence d’un cathéter veineux central, d’une maladie intestinale ou d’un déficit immunitaire. Dans la plupart des cas, les patients contaminés ont été traités avec succès par fluconazole ou amphothéricine B.2,11,13
Aucune des dix études incluses dans la méta-analyse de Kale-Pradhan et coll. n’ont rapporté d’infection faisant suite à l’administration de Lactobacillus.7 En raison du risque d’acidose liée à la production de D(-)-lactate par certaines souches de Lactobacillus, Sanders et coll. recommandent la prudence lors de chirurgie intestinale antérieure, de syndrome de l’intestin court et chez les bébés de moins de six mois.9
En 2009, la revue Prescrire a publié un article concernant l’évaluation de Lactobacillus sp. et de Bifidobacterium sp. en prévention des complications de la pancréatite aiguë.14 Une RCT incluant 298 patients avait montré une augmentation de la mortalité dans le groupe traité par PB (16% vs 6%). Une méta-analyse de trois études ne montrait ni efficacité ni surmortalité.
En 2012, Million et coll. ont mis en évidence, par une revue systématique, que différentes espèces de Lactobacillus étaient associées soit à une prise (L. acidophilus), soit à une perte de poids (L. gasseri).15
Une revue systématique a évalué la sécurité de l’administration de PB à des patients recevant un support nutritionnel.16 Parmi les 52 publications incluses, seules trois RCT ont rapporté des effets indésirables plus fréquents chez les patients sous PB. Chez des patients ayant subi une transplantation hépatique, un taux plus élevé de complications non infectieuses a été constaté (par exemple : sténose du tractus biliaire). Chez des prématurés sous nutrition entérale ou parentérale, l’administration de PB était associée à un risque plus élevé de sepsis.
Les dernières méta-analyses parues sur les PB dans la DDA soulignent le manque d’études de bonne qualité et d’évaluation des effets indésirables. Les micro-organismes les mieux étudiés sont Lactobacillus sp. et S. boulardii. Les dosages élevés semblent plus efficaces. Des effets indésirables graves (fongémies, bactériémies, décès) ayant été décrits chez les personnes immunodéficientes, celles présentant une altération de la barrière intestinale ou porteuses d’un cathéter veineux central, l’utilisation de PB est contre-indiquée pour plusieurs auteurs chez ce type de patients.9
Globalement, l’administration prophylactique de PB réduit le risque de DDA à peu près de moitié et il faut dix à quinze personnes traitées pour éviter un épisode de DDA. Toutefois, des questions importantes restent ouvertes : quels sont les micro-organismes (genre, espèce, souche), seuls ou en mélange, les plus efficaces ? A quelle dose les administrer et durant combien de temps ? Quels sont les patients qui peuvent en bénéficier le plus ?
Parfois, les recommandations d’experts sont contradictoires : Butler et coll. estiment que l’administration de PB en routine avec les antibiotiques est justifiée chez les patients fragiles hospitalisés et non immunodéprimés.3 En revanche, le Norvegian Scientific Committee for Food Safety a émis l’avis contraire.9 En pratique, jusqu’à ce que des données supplémentaires soient disponibles, l’administration de PB devrait être évitée chez les patients à risque d’effets indésirables.
Les données utilisées pour cet article ont été identifiées par une recherche dans Medline et Cochrane database of systematic reviews, en se focalisant sur les méta-analyses parues entre 2007 et 2012. Les principaux mots-clés utilisés étaient : «probiotics», «anti-infective agents», «diarrhea», «fungemia», «Saccharomyces boulardii», «adverse effects», «safety», «Enterococcus SF 68», «Lactobacillus». Les références importantes mentionnées dans les articles sélectionnés ont également été prises en compte. Les sites internet suivants ont également été consultés et pris en compte : FDA et AHRQ (www.ahrq.gov/), Agence européenne du médicament (EMA), revue Prescrire (www.prescrire.org/fr/), revue d’EBM Minerva (www.minerva-ebm.be/fr/home.asp), Revue Médicale Suisse (http://revue.medhyg.ch/), Forum Médical Suisse (www.medicalforum.ch).
> Les probiotiques peuvent prévenir la diarrhée associée aux antibiotiques
> Les groupes de patients qui bénéficieraient le plus de leur administration ne sont pas définis
> Les avis d’experts divergent sur leurs indications
> Les probiotiques peuvent provoquer des fongémies chez les patients immunodéficients, les porteurs de cathéters veineux centraux et ceux qui présentent une altération de la barrière intestinale. Ils sont contre-indiqués chez ces personnes
Probiotics constitute an alternative to prevent or treat antibiotics-associated diarrhea (AAD). According to WHO, probiotics are «live microorganisms which, when administered in adequate amounts, confer a health benefit on the host». Recent meta-analyses, including adult and pediatric in- and outpatients, outlined the lack of good quality studies and of the lack of evaluation of side-effects. These meta-analyses showed a positive effect of probiotics in AAD, nevertheless without identifying patients who would benefit the most of them. Severe side-effects have been described in immunocompromised patients, those with abnormalities in their intestinal barrier, and those with central venous catheters.