Le spectre des lésions cérébrales de l’enfant très prématuré a beaucoup évolué ces dernières décennies, avec, grâce aux progrès en soins intensifs néonataux, des lésions qui deviennent plus subtiles mais primordiales à diagnostiquer.L’imagerie par résonance magnétique, de plus en plus utilisée chez le nouveau-né, surpasse l’échographie cérébrale dans l’appréciation de la maturation cérébrale et des lésions de la substance blanche et grise. Elle constitue un outil pronostique du devenir neurologique du prématuré. De plus, le développement récent de techniques avancées, comme l’imagerie de diffusion, permet d’améliorer la compréhension du développement cérébral et représentera un moyen pronostique encore plus performant, en vue d’affiner le conseil aux parents et de mettre en place des interventions précoces.
Etablir un pronostic neurodéveloppemental pour les patients prématurés constitue un défi majeur pour le néonatologue. Si les séquelles neurologiques sévères (paralysie cérébrale, cécité, etc.) ont diminué durant ces vingt dernières années, peu d’améliorations ont été notées concernant le devenir neurodéveloppemental, notamment en raison de l’augmentation de la survie des grands prématurés. 1,2 Le développement de l’enfant étant influencé par de nombreux facteurs intrinsèques, mais également extrinsèques, formuler un pronostic à long terme reste difficile et la question de l’évaluation diagnostique doit constamment être posée. 1
L’atteinte neurodéveloppementale liée à la prématurité comprend un large spectre de déficits, moteurs et/ou cognitifs, mais aussi comportementaux ou psychologiques, qui ont des conséquences économiques, de santé publique et sociétales. 1 De plus, l’impact émotionnel sur les familles d’enfants prématurés, ainsi que sur leur qualité de vie est bien présent, bien que difficile à mesurer. 3
En vue de cibler les interventions de prévention et/ou de traitement des troubles du développement, le clinicien doit établir un pronostic au moyen des outils à disposition pour pouvoir mieux identifier les prématurés à risque. L’échographie cérébrale (USc) est largement utilisée dans les unités de néonatologie et permet de diagnostiquer un grand nombre de lésions cérébrales au lit du malade, cependant la valeur prédictive de cet outil reste limitée. 4,5 L’IRM, quant à elle, joue un rôle croissant 6 et nous proposons une revue de ses implications cliniques, diagnostiques et pronostiques.
L’enfant né très prématuré présente un risque de lésions cérébrales, dont les deux grands composants (leucomalacie périventriculaire kystique et hémorragie intraventriculaire) ont été bien décrits au cours des dernières décennies. Cependant, la majorité des prématurés vont développer un processus neuropathologique associant une forme moins sévère de leucomalacie avec une atteinte neuronale/axonale, décrite sous le terme d’encéphalopathie de la prématurité, résultat d’une série complexe de mécanismes liés primairement à des lésions destructives diffuses, puis à un développement subséquent altéré. 7
L’hémorragie intraventriculaire classée en quatre stades échographiques prend naissance dans la matrice germinale, zone très vascularisée d’où migrent les neurones vers le cortex. Le stade IV ou hémorragie intraparenchymateuse correspond à une obstruction de la veine terminale, provoquant un infarctus veineux hémorragique au niveau des veines médullaires. 8 Le kyste de porencéphalie qui en résulte fusionne fréquemment avec le ventricule latéral adjacent, provoquant une déformation de celui-ci et une destruction de la substance blanche périventriculaire, interrompant les axones thalamo-corticaux et détruisant la substance blanche en phase de prémyélinisation (préoligodendrocytes) (figure 1). 7 Les stades I-III de l’hémorragie intraventriculaire ont des conséquences moins sévères, mais peuvent parfois aboutir à une hydrocéphalie. Les données actuelles montrent également que l’altération de la matrice germinale par l’hémorragie, même après la phase de migration neuronale en grande partie terminée à 24 semaines de gestation, entraîne une destruction de précurseurs cellulaires, dont les conséquences précises restent à définir.
L’USc représente un moyen diagnostique sensible pour la détection des hémorragies liées à la prématurité. 9 L’IRM permet, quant à elle, de mettre en évidence des lésions minimes, et surtout d’analyser plus finement les répercussions des hémorragies sur le développement cérébral (localisation et étendue du kyste de porencéphalie, atteinte du tractus corticospinal) et d’esquisser un pronostic plus précis.
Les anomalies de la substance blanche (SB) regroupent plusieurs entités nosologiques réalisant un spectre étendu en termes de sévérité. On retrouve parmi elles, la leucomalacie périventriculaire (PVL) kystique ou diffuse, les lésions punctiformes de la substance blanche (PWML : punctate white matter lesions) et les hyperintensités de signal de la SB (DEHSI : Diffuse Excessive High Signal Intensities).
La leucomalacie classique se présente sous forme de lésions focales et kystiques de la SB, au niveau de la région périventriculaire. Elle est caractérisée histologiquement par la nécrose de coagulation, menant à la destruction d’éléments cellulaires, à la formation de kystes et parfois à une ventriculomégalie ex vacuo (figures 2A et B). 10 Les mécanismes impliqués sont une hypoxie-ischémie et/ou une inflammation secondaire à une chorio-amnionite. Ces lésions sont retrouvées chez moins de 5% des grands prématurés et sont généralement aisément mises en évidence par l’échographie. Plus fréquemment, on retrouve une forme diffuse de leucomalacie, dite non kystique. Histologiquement, la nécrose est microscopique, diffuse au sein de la substance blanche et évolue en gliose cicatricielle. Plus difficile à repérer et à diagnostiquer de façon définitive par l’IRM, cette forme de PVL se traduit par des anomalies de signal sur les séquences conventionnelles et des perturbations des paramètres dans les séquences de diffusion, décrites plus loin. 7
Les PWML constituent des lésions focales non spécifiques de la SB, communément retrouvées chez l’enfant prématuré (figures 2D et E). Au niveau histologique, on retrouve des hémorragies pétéchiales, des foyers de gliose, de minéralisation ou d’activation microgliale. 11
Les hyperintensités de signal de la SB sont fréquemment (jusqu’à 80% des cas) observées sur les images T2 des anciens prématurés à terme (figure 2C). 12 Elles se situent dans les régions de la SB périventriculaire et/ou sous-corticale. Leur signification reste peu claire ; initialement décrites comme des lésions de la SB ou un retard de maturation, elles ont plus récemment été attribuées à une caractéristique spécifique à la prématurité et transitoire de la SB en voie de maturation, sans relation avec des anomalies neurodéveloppementales. 6
Les anomalies de la substance grise (qualité de la giration, anomalies de signal cortical, volume de la substance grise profonde) ont également été associées récemment à des déficits neurodéveloppementaux et sont, grâce à de nouvelles techniques IRM (type volumétrie), diagnostiquées plus fréquemment. 6
Les anomalies cérébelleuses, que l’on retrouve chez environ 20% des enfants extrêmement prématurés, sont catégorisées en lésions destructives d’une part (lésions hémorragiques (figures 2D et F) et ischémiques) et lésions liées à un développement altéré, d’autre part.
L’incidence et l’implication à long terme de ces atteintes ont longtemps été sous-estimées. Le cervelet, en plus de sa fonction motrice, joue un rôle important aux niveaux cognitif et comportemental. 13
Plus récemment, a été décrite une entité nommée «encéphalopathie de la prématurité» qui représente une atteinte globale de la substance blanche et grise, retrouvée principalement chez les prématurés extrêmes. Conséquence de mécanismes primairement destructifs/lésionnels et secondairement de perturbations maturationnelles et trophiques, elle associe une forme généralement diffuse de PVL à une atteinte neuronale et axonale. 7 L’imagerie, quant à elle, est caractérisée par une atrophie cérébrale avec perte de volume de la SB, un élargissement des espaces péricérébraux et une immaturité de la giration (figure 3). L’évolution clinique à moyen et long termes de ces lésions se traduit par une atteinte développementale globale, bien qu’il existe encore très peu d’études les corrélant. 14
L’IRM est un outil non invasif, non irradiant et qui permet de fournir des détails anatomiques sur le cerveau en développement. De récents progrès technologiques dans ce domaine ont été réalisés, mais son utilisation dans la population néonatale reste un défi, lié aux coûts de la technique, à la compatibilité du matériel avec l’aimant, à la nécessité ou non d’une sédation et inhérent à cela aux artéfacts de mouvements, à l’accessibilité de la radiologie et à la stabilité clinique d’enfants malades. 15 Le développement récent d’incubateurs dédiés à l’IRM a permis de réaliser des examens de neuro-imagerie chez des enfants instables ou très prématurés de façon sûre dans un environnement thermorégulé et avec un monitoring cardio-respiratoire (figure 4).
Pour de nombreuses indications néonatales, l’IRM est devenue la norme, 16 comme dans le diagnostic prénatal de malformations cérébrales ou dans l’évaluation pronostique des nouveau-nés avec encéphalopathie hypoxique-ischémique sous hypothermie thérapeutique. Bien que l’IRM fournisse une information plus détaillée de la structure cérébrale, notamment des anomalies subtiles non visibles à l’USc, l’implication clinique requiert une interprétation de spécialiste ainsi qu’une validation par le suivi à long terme. L’utilité de l’IRM comme outil prédictif du devenir neurodéveloppemental chez le grand prématuré restant à confirmer, elle fait l’objet par exemple du programme de recherche «From Cortex to Classroom», étude nationale et multicentrique qui est soutenue par le Fonds National.
L’IRM conventionnelle fournit des images de haute résolution, permettant une analyse détaillée de la macro-structure et de la différenciation substance blanche/grise, comparée à l’USc. Les séquences IRM comprennent généralement des images pondérées en T1 et T2, en diffusion (DWI : Diffusion-Weighted Imaging) et en écho de gradient haute résolution (SWI : Susceptibility-Weighted Imaging). 17 La description des différentes séquences et leur implication clinique sont résumées dans le tableau 1.
Le terme prévu demeure le moment idéal pour réaliser une IRM cérébrale chez l’enfant prématuré, en raison de la stabilité de l’enfant et du succès des méthodes d’emmaillotage sans sédation. Elle permet de définir des lésions chroniques et de détecter un retard de maturation, de myélinisation et de gyrification. De plus, la majorité des études corrélant les données IRM au devenir neurodéveloppemental se basent sur des examens à terme. 6
Le développement de nouvelles stratégies en IRM a permis une meilleure compréhension de la corticogenèse chez l’enfant prématuré. De plus, les données issues de ces séquences spécifiques ont montré une corrélation avec les aptitudes cognitives de l’enfant prématuré à l’âge scolaire, à l’adolescence et comme jeune adulte.
L’analyse volumétrique utilise des images IRM en deux ou trois dimensions pour quantifier les altérations du développement cérébral et les lésions cérébrales. Elle permet la mesure volumique de structures spécifiques incluant le cortex, les régions sous-corticales, le cervelet et l’hippocampe (figures 5A-E et tableau 1). 18 La diminution de ces différents volumes cérébraux a été retrouvée chez l’enfant prématuré et a montré une corrélation avec des déficits globaux ou spécifiques apparaissant dans l’enfance. 19
L’analyse du développement microstructurel des substances blanche et grise a été rendu possible par l’imagerie pondérée en diffusion (DTI), qui repose sur la mesure des mouvements des molécules d’eau au sein du tissu cérébral. La mesure de l’anisotropie fractionnée (FA) (figure 6A) décrit le degré auquel la diffusion de l’eau est restreinte dans une direction donnée, tandis que la mesure du coefficient apparent de diffusion (ADC) concerne l’amplitude globale de diffusion de l’eau (tableau 1). Durant le développement physiologique, les valeurs de FA augmentent dans la SB et celles des ADC diminuent au cours du temps, influencées par la prématurité. La mesure de ces paramètres dans des régions spécifiques, comme le tractus cortico-spinal ou le corps calleux, a été corrélée avec le neurodéveloppement. 20
La connectivité fonctionnelle utilise l’hémoglobine dés-oxygénée comme un contraste endogène, afin de produire un signal BOLD (blood-oxygenation-level-dependent). Ce signal détecte les changements hémodynamiques régionaux du cerveau, qui sont corrélés à l’activité fonctionnelle, permettant de localiser l’activité cérébrale en lien avec une tâche motrice, sensorielle ou cognitive. 21 L’évaluation du cerveau au repos par cette technique permet également d’identifier des réseaux d’activité neuronale synchrones chez l’enfant, afin d’étudier la connectivité tout au long du développement, illustrant là aussi les effets de la prématurité (figures 7A-I et tableau 1). 22 Les implications pronostiques de cette technique restent à déterminer, ouvrant le champ à de futures recherches.
La spectroscopie en résonance magnétique (MRS) est une mesure non invasive de la biochimie cérébrale. Elle fournit des informations concernant des métabolites dans le cerveau, comme le N-acétyl-aspartate (NAA), la choline (Cho), la créatine et le lactate, qui sont impliqués dans des processus cellulaires (figure 6B et tableau 1). 23 Cependant, peu d’études n’ont encore corrélé ces mesures au suivi neurodéveloppemental.
L’IRM est une technique de neuro-imagerie non invasive, plus performante et précise que l’échographie et actuellement un des meilleurs outils à disposition du clinicien en collaboration avec le neuroradiologue expérimenté. Dans la pratique clinique, elle a le potentiel de caractériser l’extension des lésions de l’enfant prématuré et de prédire le neurodéveloppement. Bien que plusieurs études récentes aient remis en question la valeur positive prédictive de l’IRM, toutes s’accordent sur une valeur prédictive négative élevée. Concernant les techniques d’imagerie avancées, elles nécessitent une poursuite de la recherche afin de prouver leur utilité, mais elles sont prometteuses. C’est d’ailleurs sur cette thématique que se concentre un consortium de recherche universitaire alliant Genève, Lausanne et Zurich, et financé par le Fonds National (SPUM : Special University Program Medicine) depuis 2009. Grâce à la combinaison de l’imagerie conventionnelle et des nouvelles séquences, nous espérons une meilleure compréhension globale du cerveau prématuré, afin de mieux déterminer quels sont les enfants à risque de déficit, et l’impact sur leur devenir. Le but final est de trouver de nouvelles voies pour prévenir, prédire et traiter les situations défavorables et améliorer la fonction et la qualité de vie de la population des prématurés jusqu’à leur passage à la vie adulte.
>L’incidence des lésions cérébrales sévères de l’enfant prématuré (hémorragie parenchymateuse et leucomalacie kystique) a beaucoup diminué au cours des deux dernières décennies, laissant émerger des lésions cérébrales plus subtiles
>Ces lésions cérébrales subtiles et diffuses, fréquemment mises en évidence au niveau de la substance blanche, sont associées à des déficits légers à modérés, généralement d’ordre cognitif ou comportemental
>Les techniques avancées d’IRM permettent une meilleure appréciation de ces lésions et représentent un outil pronostique du développement neurocognitif
Due to advances in neonatal intensive care over the last decades, the pattern of brain injury seen in very preterm infants has evolved in more subtle lesions that are still essential to diagnose in regard to neurodevelopmental outcome.While cranial ultrasound is still used at the bedside, magnetic resonance imaging (MRI) is becoming increasingly used in this population for the assessment of brain maturation and white and grey matter lesions. Therefore, MRI provides a better prognostic value for the neurodevelopmental outcome of these preterms. Furthermore, the development of new MRI techniques, such as diffusion tensor imaging, resting state functional connectivity and magnetic resonance spectroscopy, may further increase the prognostic value, helping to counsel parents and allocate early intervention services.