L’incidence des lésions kystiques du pancréas, longtemps sous-estimée, a augmenté depuis l’évolution et l’utilisation courante de l’imagerie. Il est de plus en plus fréquent, en médecine de premier recours, de découvrir de tels « incidentalomes ». Le risque de trouver une lésion kystique du pancréas se situe entre 13,5 et 19,9 % sur une IRM abdominale et entre 1,2 et 2,6 % sur un examen tomodensitométrique.1 Du plus au moins fréquent, on rencontre : les pseudokystes, les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP), les tumeurs kystiques mucineuses (cystadénomes mucineux) du pancréas, les tumeurs kystiques séreuses (cystadénomes séreux) du pancréas et les tumeurs pseudopapillaires et solides du pancréas.2
Etant donné le risque de dégénérescence de certaines lésions, une meilleure caractérisation radiologique et/ou endoscopique, avec ou sans ponction, permet d’éviter une chirurgie à but diagnostique et/ou de surveiller une lésion ayant dégénéré.
L’objectif de cette mise au point est de caractériser les lésions kystiques du pancréas néoplasiques et non néoplasiques les plus fréquentes (tableau 1), d’identifier celles qui nécessiteront une surveillance et celles qui relèveront d’une prise en charge chirurgicale.
Les lésions kystiques du pancréas ont été longtemps sous-diagnostiquées et les connaissances à leur sujet sont limitées.3 Actuellement, l’augmentation du nombre de lésions kystiques diagnostiquées, réséquées et analysées a fait progresser notre connaissance de ces pathologies.4 L’émergence des TIPMP comme entité à part entière a apporté d’autres dimensions à un sujet dominé par des cas cliniques et des petites séries.5
Les lésions kystiques du pancréas peuvent être non néoplasiques ou néoplasiques. Le risque d’évolution vers un cancer ne concerne que les lésions kystiques néoplasiques qui, elles-mêmes, représentent 20 % de l’ensemble des lésions kystiques du pancréas.6 D’exceptionnels cas de dégénérescence sont rapportés pour les tumeurs kystiques séreuses alors que les pseudokystes (PK) ne présentent aucun risque. Par contre, la prévalence de cancer dans les tumeurs kystiques mucineuses du pancréas est de 17,5 %. Elle est de 22 à 60 % dans les TIPMP, si les lésions atteignent le canal principal.7
Les manifestations cliniques des lésions kystiques du pancréas sont aspécifiques.8 Elles peuvent aller de l’absence de symptôme, le plus souvent, jusqu’à un tableau faisant évoquer une pancréatite (TIPMP particulièrement) ou une lésion maligne (ictère nu, douleurs).
Il existe trois modalités qui permettent d’orienter le diagnostic : le CT-scan, l’IRM injectée et l’échoendoscopie. Parfois, le CT-scan et/ou l’IRM sont suffisants pour identifier une lésion comme kystique. Mais ces examens ne possèdent pas les capacités discriminantes permettant de déterminer la nature du kyste. L’échoendoscopie, qui permet une meilleure caractérisation des végétations intrakystiques, est l’examen de référence.9 Lorsqu’elle est combinée à une cytoponction, elle permet d’asseoir le diagnostic. L’analyse du contenu du kyste fait appel à trois méthodes : biochimique, moléculaire et cytologique. L’étude biochimique permettra d’identifier le type de kyste par dosage de la lipase et du CEA (antigène carcino-embryonnaire) et CA 19-9 (Carbohydrate antigen 19-9). Les marqueurs moléculaires KRAS et GNAS apportent des critères diagnostiques supplémentaires. La cytologie est un moyen de dépister la malignité ; elle permet de distinguer une lésion de bas grade d’une de haut grade.
Lee et coll.10 ont rapporté que le risque de trouver un cancer occulte est de 3,3 % en présence d’une lésion kystique asymptomatique de moins de 3 cm sans signe radiologique de malignité (cf. infra). D’autre part, 90 % des patients avec des lésions malignes sont symptomatiques.4
Actuellement, les recommandations générales sont une surveillance des patients présentant des lésions kystiques inférieures à 2-3 cm, en l’absence de red flags à la radiologie/échoendoscopie (composante solide, Wirsung ≥ 0,5 cm et/ou nodule mural), à la clinique (kyste symptomatique et/ou antécédents familiaux de cancer du pancréas) ou à la cytologie, si une ponction est réalisée (absence de lésion de haut grade). Cependant, l’avis d’un centre expert avec une discussion multidisciplinaire est conseillé afin de valider l’attitude thérapeutique.11
Il s’agit de lésions sans composante tissulaire. Elles représentent presque 80 % de l’ensemble des lésions kystiques du pancréas.12 Il s’agit en majorité de pseudokystes (PK) (figure 1), en minorité de kystes infectieux, congénitaux ou d’autre origine. Nous n’aborderons ici que les PK.
Selon la classification terminologique d’Atlanta modifiée en 2012,13 le PK est défini comme une collection de tissu pancréatique liquéfié, avec parfois des débris, englobé dans un tissu fibrogranuleux et jouxtant ou à distance du pancréas. Les PK sont présents dans 30 à 40 % des pancréatites chroniques et dans 20 % des pancréatites aiguës.12,13 A noter que les pancréatites aiguës d’origine biliaire semblent moins fréquemment associées à l’apparition de PK.14 Un PK peut aussi se développer après un traumatisme et/ou toute situation conduisant à une fuite du liquide pancréatique.12
On a longtemps considéré, sur la base d’une seule étude rétrospective, qu’un PK d’un diamètre de plus de 6 cm et qui continue à évoluer au-delà de six semaines était prédictif de complications et/ou de manifestations cliniques.15 Depuis, d’autres études ont mis en évidence une involution spontanée, indépendamment de la taille et de la durée d’évolution mais dépendante de l’étiologie.15 Un PK régresse jusqu’à 50 % des cas lors de pancréatite aiguë et de 10 à 26 % des cas lors de pancréatite chronique.16
Le diagnostic d’un PK est évoqué par l’anamnèse (histoire de pancréatite aiguë et/ou chronique) et le terrain. Un CT-scan, avec injection de produit de contraste est suffisant pour confirmer le diagnostic et surtout pour évaluer l’état du pancréas (signes de pancréatite chronique). Avant un éventuel geste thérapeutique, il faut que tout doute diagnostique quant à une néoplasie kystique sous-jacente soit levé. Au besoin, une écho-endoscopie avec cytoponction sera réalisée.
Les PK peuvent être asymptomatiques ou être responsables de complications majeures par effet de masse (compression ou thrombose), par fistulisation, par infection de leur contenu ou par érosion vasculaire (intrakystique ou intrapéritonéale) conduisant à des hémorragies redoutées.
L’étiologie de la pancréatite (biliaire ou alcoolique), la persistance d’une communication avec les canaux pancréatiques (possibilité de drainage transpapillaire) et la vacuité des canaux pancréatiques font partie des facteurs à prendre en considération pour la conduite thérapeutique à tenir. En cas de PK non compliqué, symptomatique et/ou découvert fortuitement, une attitude de watchful waiting est acceptée par tous les experts. L’indication au traitement est absolue en cas de PK responsable d’une complication.
Dans notre arsenal thérapeutique, nous trouvons le drainage endoscopique, la chirurgie et le drainage radiologique. Le drainage endoscopique peut être transpapillaire ou transmural (gastrique ou duodénal). Le drainage transpapillaire est la technique de référence si le PK communique avec le Wirsung.3 Le drainage transmural peut être réalisé à travers l’estomac ou le duodénum, avec un double stent. La chirurgie consiste en une kysto-anastomose sur une anse intestinale en Y et/ou une exérèse qui peuvent être faites par voie ouverte ou par chirurgie minimalement invasive.
Le drainage radiologique des PK semblerait avoir de moins bons résultats avec plus de risques de récurrence que la chirurgie17,18 ou les méthodes endoscopiques. Il n’est pas indiqué.
Ce sont des tumeurs où l’épithélium des canaux pancréatiques est remplacé par des cellules néoplasiques mucosécrétantes. Ceci entraîne la dilatation, voire la « kystisation » des canaux atteints (secondaires, principaux et/ou les deux). L’extériorisation de mucus à travers la papille duodénale est pathognomonique de TIPMP.19 Le diagnostic est souvent posé aux alentours de 65 ans, et la localisation la plus fréquente est la tête du pancréas (70 % des cas).5 En Europe, le sexe ratio est équilibré.20
Depuis 2004, la classification révisée de l’Organisation mondiale de la santé a clairement reconnu ce type histologique comme différent des lésions mucineuses (celles-ci présentent un stroma ovarien) et introduit le terme de tumeur intracanalaire papillaire et mucineuse du pancréas (TIPMP).21 Histologiquement, on identifie l’adénome (dysplasie de bas grade), les lésions borderlines (dysplasie modérée), les lésions malignes avec un carcinome in situ (dysplasie de haut grade) ou un carcinome invasif (adénocarcinome).19
Les TIPMP touchent le canal principal, les canaux secondaires et/ou les deux. Ils sont divisés en quatre sous-types : gastrique, intestinal, pancréaticobiliaire et oncocytaire. La forme gastrique est la plus fréquente et se voit souvent dans les formes atteignant les canaux secondaires, tandis que le sous-type pancréaticobiliaire touche le canal principal et les canaux secondaires et est de mauvais pronostic.22
Environ 20 % des patients avec une TIPMP présentent une pancréatite aiguë, pour laquelle on pose souvent à tort un diagnostic de pancréatite idiopathique.19
Parfois, les patients se plaignent de douleurs abdominales vagues, de nausées, de vomissements, de douleurs lombaires et peuvent présenter un diabète et/ou un ictère.23 En cas de dégénérescence, le tableau clinique est similaire à celui d’un adénocarcinome pancréatique (ictère, perte de poids, douleurs).23
Le diagnostic de TIPMP est facilement posé par IRM (figure 2) avec injection de gadolinium et/ou échoendoscopie. Cette dernière permet de réaliser une ponction-aspiration. A la cytologie, on retrouve des cellules épithéliales qui se regroupent ; la présence de papilles et de cellules cylindriques hautes, mucosécrétantes, évoque le diagnostic. Malgré l’amélioration des méthodes d’analyse du liquide de ponction, la sensibilité diagnostique reste basse. La biochimie (CEA) et la biologie moléculaire (KRAS, GNAS) permettent d’augmenter la sensibilité de la cytologie.
Par ailleurs, la détection des mutations KRAS et GNAS permettrait de différencier les TIPMP dégénérées de type intestinal du type pancréticobiliaire, ces dernières ayant un pronostic similaire à l’adénocarcinome pancréatique.11 Afin d’améliorer la prédiction d’une dégénérescence, la combinaison d’examens radiologiques et échoendoscopiques avec cytoponction est à privilégier.
On sait clairement que les TIPMP du canal principal présentent un risque de dégénérescence très élevé. Une résection chirurgicale est donc la règle. Cette même règle s’applique pour les formes combinées.
Pour la forme touchant les canaux secondaires, où le risque de malignité est moindre, une stratégie a été établie après consensus d’experts à Sendai (Japon). Ces recommandations ont été revues à Fukuoka (Japon) en 2010 sans obtenir l’unanimité cette fois.22 Aux HUG, nous utilisons les recommandations de Fukuoka (tableau 2).
Les tumeurs kystiques mucineuses ou cystadénome mucineux du pancréas, en anglais Mucinous Cystic Neoplasia (MCN), sont des lésions précancéreuses. Elles n’ont pas de communication avec les canaux excréteurs pancréatiques et ont un stroma de type ovarien. Presque toutes présentent une paroi épaisse avec des récepteurs œstroprogestatifs.6 Les MCN forment des kystes ronds ou ovales, uniloculaires dans la grande majorité des cas et de taille pouvant aller de 6 à 11 cm. Leur paroi est épaisse avec un stroma ovarien (pathognomonique) et des septa.24 L’épithélium est constitué de cellules riches en mucine. Les MCN peuvent se présenter sous forme de lésions bénignes (mais potentiellement malignes), borderline avec une dysplasie, voire maligne avec un carcinome in situ ou un cystadénocarcinome.
Les MCN se trouvent au troisième rang par ordre de fréquence des tumeurs kystiques du pancréas. Elles touchent presque exclusivement les femmes, d’âge moyen de 50 ans (20-82 ans) : on parle de mother’s tumor. Elles sont souvent localisées au niveau du corps et de la queue du pancréas.25
Cliniquement, les patients peuvent être asymptomatiques, voire légèrement symptomatiques ou avoir une présentation mimant une dégénérescence. Au CT-scan comme à l’IRM avec injection, on identifie un large kyste, avec une paroi épaissie et des septa (figure 3). La présence de ces trois signes : calcification périphérique, septa et paroi épaissie a une valeur prédictive positive de risque de cancer de 95 %.6 L’échoendoscopie permet d’identifier le kyste et d’exclure une communication avec les canaux pancréatiques. A la cytoponction, on retrouve un CA 19-9 et un CEA fortement élevés ainsi qu’un string sign (aspect filandreux du liquide lorsqu’il est manipulé). Dans la plupart des cas, la cytologie seule ne permet pas de faire la distinction entre une TIPMP et une MCN, le stroma ovarien étant difficilement identifiable.
Les caractéristiques radiologiques (CT-scan et IRM) et l’écho-endoscopie suffiront à différencier les MCN d’autres lésions de type TIPMP. Etant donné qu’il s’agit de lésions précancéreuses, l’indication opératoire est indiscutable.
Les tumeurs kystiques séreuses ou cystadénome séreux du pancréas, en anglais Serous Cystic Neoplasia (SCN), sont bénignes. Elles touchent le plus souvent les femmes à partir de 60 ans, on parle de grand mother’s tumor. A noter que des SCN peuvent se voir chez des sujets jeunes, atteints de la maladie de Von Hippel-Lindau.26 Leur taille est variable et elles sont exceptionnellement symptomatiques.
A l’imagerie, on observe une lésion arrondie formée de plusieurs microkystes en nids d’abeille, une cicatrice, éventuellement une calcification centrale et une absence de communication avec le canal pancréatique (figure 4). Si le diagnostic radiologique n’est pas typique, une échoendoscopie avec cytoponction doit être réalisée. A celle-ci, on trouve des marqueurs tumoraux très bas et un taux de lipase bas. La cytologie est souvent décevante et non diagnostique en raison de la fragilité des cellules. On identifie parfois des cellules cubiques claires (riches en glycogène), non mucineuses signant un épithélium séreux.
Le risque de transformation maligne est quasi inexistant, mais une surveillance unique à 2-3 ans est souhaitable.27 La chirurgie est à considérer uniquement en cas de complications dues à la taille de la tumeur.
Les tumeurs pseudopapillaires et solides du pancréas (TPPSP) sont des lésions rares. Elles touchent les femmes dans 90 % des cas et, dans 94 % des cas, des patients de moins de 51 ans. Ces tumeurs sont localisées au niveau de la queue du pancréas dans 35,9 % des cas, de la tête dans 34 % des cas.25
Les TPPSP se manifestent souvent par des douleurs ou une masse palpable. L’image typique est une masse bien encapsulée avec signe d’hémorragie interne, une composante solide et kystique, et parfois, une pseudocapsule prenant le contraste (figure 5).
A la cytoponction, on prélève la composante solide, il n’y a donc pas de liquide. L’analyse moléculaire a démontré que le gène CTNNB1 est presque toujours muté. Cette mutation est associée à une activation de la bêta-caténine qui est plus efficacement détectée par l’immunohistochimie.
Le potentiel de dégénérescence de ces tumeurs n’est actuellement pas prédictible. Le sexe masculin semble être un facteur de risque. La conduite à tenir est chirurgicale.
Les lésions kystiques du pancréas ne sont plus une entité rare et sont fréquemment observées lors d’un examen d’imagerie effectué pour d’autres indications. L’anamnèse et le contexte clinique (sexe masculin, notion de prise d’alcool, antécédent de pancréatite) peuvent nous orienter vers un pseudokyste, qui représente 80 % des lésions kystiques. En cas de présence de red flags clinique (et/ou radiologique/échoendoscopique), la réalisation d’une échoendoscopie avec cytoponction devrait être discutée.
Tout schéma de surveillance ou traitement doit être discuté au sein d’une équipe multidisciplinaire (chirurgien, gastro-entérologue, radiologue interventionnel) ayant l’habitude de telles pathologies.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ On retrouve des lésions kystiques du pancréas dans presque 19 % des IRM abdominales
▪ Une lésion kystique symptomatique (douleur et/ou ictère et/ou perte de poids) nécessite une prise en charge en milieu spécialisé
▪ Concernant les pseudokystes asymptomatiques, une surveillance par CT-scan est suffisante
▪ En cas de tumeur kystique séreuse, une surveillance radiologique à deux ans est suffisante
▪ En cas de tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas des canaux secondaires confirmées, une prise en charge selon les critères de Sendai/Fukuoka s’applique
▪ En cas de tumeur mucineuse et tumeur intrapapillaire et mucineuse des canaux principaux, l’attitude est chirurgicale