En 1871, le Dr Amanieu avait, dans son ouvrage « Vertiges : Sièges et Causes »,1 défini les vertiges comme une sensation particulière qui fait croire aux individus qui l’éprouvent que les objets tournent autour d’eux ou qu’ils sont eux-mêmes entraînés dans un mouvement de rotation. Il y mentionnait également l’illustre Dr Trousseau qui lui s’exprimait ainsi : aux uns il semble qu’ils tournent de droite à gauche, aux autres en sens inverse. La giration peut encore s’effectuer de la tête aux pieds ou réciproquement. Selon le dictionnaire Larousse médical 2015, le vertige se définit par une sensation erronée de déplacement du corps par rapport à l’espace environnant, ou de l’espace par rapport au corps, liée à un déséquilibre entre les deux appareils vestibulaires.
En fait, le terme de vertiges englobe une variété de symptômes qui comprend les troubles de l’orientation spatiale et de la perception du mouvement, tels que le sentiment d’instabilité et l’impression de mouvement qui affecte d’une part la capacité d’atteindre un regard stable2 et d’autre part la posture et la marche2 qui sont souvent déjà altérées par les pathologies typiques du grand âge (cataracte, ostéoporose, hypoacousie…). Les vertiges représentent un motif de consultation fréquent chez les personnes âgées,3 leur prévalence atteint 30 % au-delà de 60 ans et 50 % chez les patients de plus de 85 ans.2
Les causes sont multifactorielles4,5 mais le dysfonctionnement vestibulaire périphérique reste l’une des plus fréquentes. La gestion de cette maladie doit être personnalisée selon les symptômes de chaque individu. Les personnes âgées qui souffrent de vertiges présentent une diminution de la qualité de vie6 qui influencera l’autonomie et le maintien à domicile.
Le diagnostic des vertiges en gériatrie est un défi clinique au vu des comorbidités interférant avec les symptômes et limitant l’anamnèse.
Les vertiges sont un fort prédicteur de chute chez la personne âgée7 avec une augmentation du risque de fractures de hanche et de poignet.8 Les chutes sont la principale cause de décès accidentels chez les personnes âgées de plus de 65 ans.9 Leurs conséquences peuvent conduire à une perte de confiance en soi, une peur de tomber, une restriction de la mobilité, une perte d’autonomie, voire une dépression. Elles affectent négativement la socialisation et la qualité de vie.10
Les vertiges et les troubles de l’équilibre qui en découlent chez les personnes âgées constituent un problème majeur de santé publique nécessitant le plus souvent une prise en charge complète multidisciplinaire qui peut impliquer le médecin de premier recours, l’ORL, le neurologue, les physiothérapeutes et les ergothérapeutes.
L’équilibre est le résultat d’une interaction entre le système vestibulaire, la vision et les informations somato-sensorielles.11 Le système nerveux central permet de traiter continuellement les informations et d’exécuter une réponse rapide grâce au système musculosquelettique.10,12
Le système vestibulaire13 se situe dans l’oreille interne (figure 1), il comprend deux organes otolithiques et trois canaux semi-circulaires.14,15 Les organes otolithiques sont l’utricule et le saccule qui sont faits de cellules ciliées, surmontées d’une substance gélatineuse et les otolithes. Les canaux semi-circulaires sont le canal latéral (horizontal), le canal postérieur (ou inférieur) et le canal supérieur (ou intérieur) situés chacun dans un plan de l’espace. L’une de leurs extrémités est dilatée (ampoule) et contient les organes sensoriels, des cellules ciliées, surmontées d’une gélatine (cupule). Leur base est en contact avec les terminaisons nerveuses afférentes et efférentes. Les organes otolithiques sont sensibles aux accélérations linéaires dans les trois plans de l’espace et les canaux semi-circulaires aux accélérations angulaires, c’est-à-dire aux rotations autour de chacun des trois axes. Les informations sont transmises dans le cerveau par les branches vestibulaires du 8e nerf crânien.
Chez la personne âgée, comme d’autres organes sensoriels, le système vestibulaire se détériore avec l’âge.16,17 Le mécanisme de la perte des cellules ciliées dans le système vestibulaire périphérique, liée à l’âge, n’est pas encore élucidé mais la prédisposition génétique et l’effet cumulatif du stress oxydatif pourraient jouer un rôle important.16
La présentation des vertiges pouvant différer d’un patient à un autre, une bonne anamnèse est essentielle. Chez la personne âgée, comme pour toute autre pathologie, les symptômes peuvent être frustes et les signes cliniques atypiques.
Typiquement, on distingue les vertiges périphériques des vertiges centraux. Toutefois, la personne âgée présente des comorbidités qui peuvent déjà en soi induire un trouble de l’équilibre (hypotension orthostatique, polyneuropathie périphérique, troubles de la statique liés aux problèmes orthopédiques…) ce qui peut retarder le diagnostic et la prise en charge d’un vertige d’origine vestibulaire et / ou central.
Le vertige positionnel paroxystique bénin (VPPB) est la forme la plus fréquente de dysfonctionnement vestibulaire chez la personne âgée, ce qui représente 50 % des consultations aux urgences pour des vertiges chroniques.18 Il est sept fois plus fréquent que chez le jeune adulte (18-39 ans). La maladie de Menière19 est la deuxième atteinte vestibulaire la plus fréquente en gériatrie (3-11 % des consultations en otoneurologie).20 Le déficit vestibulaire brusque (neuronite vestibulaire) représente 3-10 % des diagnostics posés en otoneurologie clinique.21 L’incidence de la presbyvestibulie, un déficit progressif lié à l’âge, n’est malheureusement pas connue, la fonction étant beaucoup trop rarement testée. Elle pourrait être bien plus élevée qu’on ne l’estime !
Afin de déterminer l’origine centrale ou périphérique, une anamnèse détaillée doit être effectuée auprès du patient et parfois même complétée par l’entourage. Celle-ci comprend les antécédents d’ORL comme les VPPB, déficit vestibulaire brusque et maladie de Menière ainsi que les antécédents de maladie neurologique (SEP, épilepsie, AVC), de myélopathie cervicarthrosique (C5-C6), la consommation éthylique, les facteurs de risque cardiovasculaires.
La temporalité est l’élément clé : 22 un vertige de quelques secondes, qui se répète plusieurs fois par jour évoque un VPPB, alors que des événements de quelques minutes ne sont pas très caractéristiques d’une atteinte vestibulaire périphérique et orientent plutôt vers une autre origine (neurologique, cardiovasculaire…). Des événements d’une durée de plus de 20 minutes à quelques heures, irréguliers avec intervalles libres, variables de quelques jours à années sont assez caractéristiques d’une maladie de Menière. Un épisode qui s’installe en quelques minutes ou heures (< 3 jours) et qui dure plusieurs jours en continu suggère quant à lui un déficit vestibulaire brusque (« neuronite vestibulaire ») ou un accident vasculaire cérébral.
Un autre élément important de l’anamnèse sont les circonstances provoquant la sensation vertigineuse. Typiquement, un vertige apparaissant brusquement en se retournant dans le lit ou en tournant la tête (en étendant du linge, en laçant ses chaussures…) est évocateur de VPPB.23 L’apparition d’une surdité, d’un acouphène et d’une sensation de plénitude de l’oreille sont des symptômes que nous retrouvons dans la maladie de Menière.
A noter que les symptômes neurovégétatifs (nausée, vomissement, pâleur) sont fréquemment présents, autant dans les atteintes ORL que neurologiques. Pour finir, il ne faut pas oublier de chercher une cause iatrogène tels les médicaments ototoxiques (aminosides, érythromycine, vancomycine, salicylés et autres AINS, antipaludéens, oméprazole…) et les traitements à action centrale (sédatifs, barbituriques, carbamazépine, certains antihistaminiques, antiparkinsoniens, neuroleptiques…).
L’examen clinique a pour but d’exclure en priorité une atteinte centrale et comprend donc un examen neurologique complet avec recherche d’un nystagmus spontané inépuisable qui orientera vers une atteinte du système nerveux central. Un nystagmus spontané épuisable orientera le diagnostic vers un déficit vestibulaire brusque.
L’examen ORL comprend une otoscopie afin de rechercher une cause locale (bouchons de cérumen, corps étranger, hémotympan, otorragie…). L’examen de la fonction auditive est limité par la présence fréquente d’un déficit auditif préexistant en gériatrie.
L’atteinte vestibulaire doit faire rechercher un nystagmus cinétique par la manœuvre Dix-Hallpike permettant ainsi le diagnostic de VPPB (figure 2). Le généraliste doit également effectuer un examen complet afin d’exclure une tout autre cause organique de type cardiovasculaire, tensionnel.
La prise en charge de la personne âgée souffrant de vertige doit être globale. Elle peut se faire aux urgences, à l’hôpital ou en ambulatoire selon ses caractéristiques (figure 3). Le dépistage et le traitement de tous les autres déficits sensoriels sont indispensables pour favoriser les mécanismes de compensation (neurologique, visuel, proprioceptif).
L’écoute et la prise en compte du retentissement dans la vie quotidienne doit être partie prenante du traitement. Des techniques de réassurance doivent être mises en place dès le début de la prise en charge, avec un diagnostic posé de manière claire le plus précocement possible. Une information adaptée aux capacités de compréhension du patient doit être délivrée quant à l’évolution attendue. Quelques conseils pour limiter les facteurs déclenchant les vertiges et les chutes qui en résultent peuvent être donnés : se déplacer lentement, sans mouvement brusque, en particulier de la tête ou du tronc, effectuer de courtes pauses dans la séquence de mouvements, éviter de porter le regard vers le haut ou le bas, limiter la consommation d’excitants (café, thé, alcool et tabac), la polymédication et les traitements ototoxiques. Un soutien psychologique est vivement recommandé.
Un traitement médicamenteux pourra être mis en place. Les symptômes neurovégétatifs pourront être traités par des antiémétiques (métoclopramide 10 mg 3 x / jour ou dompéridone 10 mg 3x / j) ; une réhydratation adaptée, intraveineuse si nécessaire, avec contrôle des paramètres vitaux peut être nécessaire en cas de vomissements incoercibles.24
Le traitement antivertigineux, notamment en cas de maladie de Menière est la bétahistine, précurseur immédiat de l’histamine, qui faciliterait la microcirculation labyrinthique et aurait un effet inhibiteur sur les neurones vestibulaires. Ce médicament permet ainsi de réduire l’intensité et la fréquence des crises vertigineuses. La flunarizine est également utilisée dans les vertiges liés au déficit vestibulaire, elle est toutefois contre-indiquée en cas de syndrome extrapyramidal.
Les traitements non médicamenteux sont essentiels : ils reposent sur la physiothérapie et les manœuvres libératoires.25–27 Pour le VPPB, la manœuvre d’Epley ou de Semont est utilisée pour les atteintes du canal postérieur et la manœuvre de Lempert pour l’atteinte du canal horizontal.
La physiothérapie vestibulaire comprend le travail postural, le travail de stabilisation du regard et le travail giratoire. Il existe différentes méthodes que le physiothérapeute doit adapter à chaque patient en fonction de ses comorbidités. Parmi les manœuvres les plus simples à effectuer en gériatrie, on retrouve la manœuvre de Brandt et Daroff (exercices à faire par le patient, deux fois par jour jusqu’à obtention de deux jours consécutifs sans vertiges) et les exercices vestibulo-oculaires avec cibles exocentrées.
Les vertiges constituent un motif de consultation fréquent, avec des présentations cliniques aussi variées que les causes auxquelles ils sont rattachés. Pourtant, un interrogatoire exhaustif, suivi d’un examen clinique simple, permet dans la majorité des cas de conclure rapidement à leur origine périphérique. Le patient, tout particulièrement âgé, peut ainsi bénéficier d’une prise en charge multidisciplinaire précoce.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Une origine centrale au vertige doit être exclue par l’anamnèse et l’examen clinique, car elle implique une prise en charge en urgence
▪ Le dysfonctionnement vestibulaire périphérique est l’une des causes les plus fréquentes de vertiges
▪ Les vertiges mènent à la perte de confiance en soi, à la peur de tomber, à la dépression, au déficit de concentration avec atteinte de la qualité de vie
▪ Le diagnostic de VPPB s’effectue par la manœuvre de Dix-Hallpike
▪ La prise en charge est multidisciplinaire, les médicaments ne représentant qu’une faible part du traitement