Historiquement, la N-acétylcystéine (NAC) a été utilisée dès 1979 dans les cas d’intoxication à l’acétaminophène (paracétamol). Son efficacité en tant qu’antidote a été prouvée par de nombreuses études1 et son utilisation selon un protocole d’administration per os ou intraveineux est largement répandue (tableau 1).
L’hépatite alcoolique dans sa forme grave est la plus agressive des hépatopathies d’origine alcoolique. Elle est fréquemment rencontrée dans notre pratique clinique. Elle survient majoritairement chez des patients de moins de 60 ans dont la consommation quotidienne d’alcool est élevée (> 100 g/jour) depuis plus de 20 ans, mais aussi chez des patients ayant augmenté leur consommation d’alcool en réponse à une situation stressante du quotidien. Chez d’autres, cette consommation excessive est intermittente et méconnue de l’entourage. Certains patients déclarent même avoir cessé toute consommation d’alcool dans les semaines précédant l’apparition d’une hépatite aiguë.2 Actuellement, seul le traitement par glucocorticoïdes est reconnu pour diminuer efficacement le taux de mortalité à court terme dans les formes sévères.3 L’objectif de cet article est d’évaluer l’intérêt de la NAC au cours des hépatites alcooliques graves (HAG) ainsi que dans les insuffisances hépatiques aiguës (IHA)sévères non induites par le paracétamol et de tenter d’en clarifier les indications.
L’HAG résulte de la décompensation d’une hépatopathie préexistante. Un score de Maddrey > 32 identifie les formes sévères, associées à un risque de décès élevé à court terme. L’indice de Maddrey est calculé en tenant compte du taux de bilirubine et du temps de Quick selon la formule suivante : score de Maddrey = 4,6 × (temps de Quick du patient en secondes – 12,5) + ((bilirubine en µmol)/17).
L’HAG est à distinguer de l’insuffisance hépatique aiguë non induite par le paracétamol (IHA NA), très souvent retrouvée sous le terme d’hépatite fulminante. Elle se définit par la présence d’une encéphalopathie hépatique (EH) et d’un facteur V < 30 %, témoin de la perte de fonction massive et brutale des hépatocytes préalablement sains. Elle est aiguë lorsque la maladie date de moins de 26 semaines au moment du diagnostic.4
Compte tenu de son rôle métabolique majeur, une altération de la fonction hépatique a des répercussions multisystémiques. Cliniquement, les patients présentent une asthénie, des nausées ou des vomissements, une anorexie, un prurit, un ictère ou une distension abdominale secondaire à l’ascite.4 L’EH se manifeste par des troubles de l’état de conscience et des signes neurologiques décrits dans le tableau 2.5 Vingt-cinq à 35 % des patients présentant une EH de grade III et 75 % des patients de grade IV développent un œdème cérébral qui peut engager le pronostic vital.5
Au cours des intoxications au paracétamol, les stocks intracellulaires de glutathion sont consommés. Cet antioxydant est indispensable à l’inactivation du N-acétyl-p-benzoquinoneimine, métabolite toxique du paracétamol. La NAC apporte la cystéine, précurseur essentiel à la synthèse du glutathion, atténuant les dommages et favorisant la régénération du foie.
Dans les HAG et les IHA NA, le rôle de la NAC semble particulièrement intéressant car, en plus de son action antioxydante, elle a une action anti-inflammatoire.
La consommation chronique d’alcool augmente la perméabilité intestinale, stimule les cellules de Küpffer, et active la production de cytokines proinflammatoires, lésant ainsi les hépatocytes. Le glutathion endogène, issu des stocks mitochondriaux, agit comme un antioxydant. Lorsque ces réserves s’épuisent, les hépatocytes sont plus vulnérables à l’action des cytokines proinflammatoires. La NAC protège les hépatocytes en apportant la cystéine, précurseur du glutathion (figure 1).
Per os, la NAC est bien absorbée dans l’intestin grêle, mais subit un effet de premier passage hépatique important avec une biodisponibilité de 20 % seulement. La voie intraveineuse permet d’éviter le premier passage hépatique et d’utiliser des doses moins importantes.6–8
Si l’intoxication au paracétamol est l’étiologie la plus fréquente des insuffisances hépatiques aiguës (IHA) aux Etats-Unis (46 %), l’utilisation illicite de drogues et l’infection par le virus de l’hépatite B (VHB) représentent 12 et 7 % des cas respectivement. L’origine en reste inconnue dans 14 % des cas. Les maladies auto-immunes, les ischémies, l’hépatite A et la maladie de Wilson sont rapportées dans un moindre pourcentage.9 Non traitée, le pronostic de l’IHA NA est réservé. Les chances de récupération spontanée sont corrélées aux degrés d’EH.3 La transplantation hépatique reste encore le seul traitement efficace. Dans cette situation, les scores du King’s College et de Clichy (tableau 3) permettent d’évaluer les patients qui nécessitent une transplantation immédiate. Aucune recommandation claire n’est encore établie sur l’intérêt de la NAC dans les IHA en dehors des intoxications au paracétamol. Plusieurs essais ont étudié l’impact de la NAC sur la mortalité et la survie sans transplantation chez les patients souffrant d’une IHA.10
En milieu pédiatrique, une étude menée rétrospectivement chez 111 enfants a montré les effets bénéfiques de la NAC IV sur la survie globale à 10 ans, le taux de survie sans transplantation, et la durée de séjour hospitalier.11 Une seconde étude, randomisée contre placebo portant sur 184 enfants âgés de 0 à 17 ans, porteurs d’une IHA NA, traités par 7 jours de NAC IV, a montré des résultats différents. Les taux de survies globale et sans transplantation étaient en faveur du placebo. Dans cette population, les pathologies autoimmunes et métaboliques représentaient une bonne part des hépatopathies.12
Chez les adultes, deux études prospectives ont conclu à une baisse de la mortalité significative en l’absence de transplantation chez les patients traités par la NAC pour une IHA NA. La première, multicentrique randomisée et en double aveugle, a évalué la survie globale à 3 semaines. Elle a inclus 173 patients : 81 (46 %) traités par NAC et 92 (53 %) par placebo. Les patients ont été stratifiés en fonction du grade de l’EH. Dans le groupe NAC, l’amélioration de la survie globale à 3 semaines a été de 70 % vs 66 % dans le groupe placebo (p = 0,283). En revanche, le taux de survie sans transplantation à 3 semaines était significativement augmenté dans le groupe NAC (40 % vs 27 % ; p = 0,043), particulièrement chez les patients ayant un grade d’EH I-II (52 % vs 30 % ; p = 0,010), par rapport aux grades plus sévères III-IV (9 % vs 22 % ; p = 0,912). Aucune différence significative n’a été constatée sur le taux de transplantation (32 % vs 45 % ; p = 0,093). Dans cette étude, 37 patients étaient porteurs d’une hépatite B et 45 avaient une hépatite toxique. Dans cette population, les taux de survies globale et sans transplantation semblaient plus élevés lorsque les patients ont reçu la NAC.13
Une deuxième étude portant sur 91 patients d’un centre dépourvu de possibilité de greffe hépatique a démontré que la survie globale du groupe traité par NAC était supérieure à celle du groupe placebo (47 % vs 27 % ; p = 0,05).14 Cette étude apparaît toutefois moins solide car les deux groupes n’étaient pas homogènes : le groupe traité par NAC était plus jeune que le comparateur, et les patients moins gravement malades. Enfin, une dernière étude s’est intéressée à l’effet de la NAC sur les perturbations des tests hépatiques et de la crase sanguine. Dans le groupe de patients traités, les taux sériques de bilirubine et d’ALAT (alanine aminotransférase) étaient significativement inférieurs (p = 0,013) par rapport au groupe placebo. Les auteurs ont conclu que la NAC augmenterait les chances de récupération spontanée de l’intégrité du foie chez ces patients.15
Un score de Maddrey > 32 identifie les formes graves et la biopsie du foie confirme l’origine alcoolique de l’hépatite. En présence de ces deux critères, un traitement par glucocorticoïdes est recommandé. Actuellement, seule la prednisolone 40 mg pendant 28 jours est reconnue pour diminuer efficacement le taux de mortalité élevé à court terme. Elle est directement active sans métabolisation hépatique.3,7
Les bénéfices de la NAC dans les cas d’HAG ont été évalués dans plusieurs études prospectives. Ainsi, Stewart et coll. ont montré qu’un traitement par NAC pendant une semaine associé à d’autres antioxydants (vitamines A-E, biotine, sélénium, zinc, manganèse, cuivre, folates et coenzyme Q), administrés quotidiennement pendant 6 mois, n’apportait aucun bénéfice sur la survie des patients par rapport au placebo (52,8 % vs 55,8 % ; p = 0,69).16 Ailleurs, la comparaison de 48 patients traités par NAC (150 mg/kg IV) à 53 patients traités par stéroïdes (prednisone 30 mg per os ou méthylprednisolone 24 mg IV) a montré une augmentation significative de la mortalité à 30 jours chez les patients ayant reçu les antioxydants (46 % vs 30 % ; p = 0,05).17
Plus récemment, dans une étude prospective multicentrique ayant inclu 174 patients, 85 ont reçu de la prednisolone en association à la NAC IV et 89 de la prednisolone en monothérapie. Une perfusion de 150 mg/kg de NAC pendant 30 minutes, puis de 50 mg/kg pendant 4 heures et de 100 mg/kg pendant 16 heures le premier jour, était suivie d’une perfusion de 100 mg/kg du 2e au 5e jour. Les 2 groupes ont reçu 40 mg de prednisolone per os pendant 28 jours. Les patients inclus dans l’étude avaient une consommation moyenne d’alcool d’au moins 50 g par jour depuis plus de 3 mois (évaluée par les scores AUDIT et CAGE), un score de Maddrey supérieur ou égal à 32 et un diagnostic histologique d’hépatite alcoolique. Les résultats de l’étude ont montré une augmentation significative de la survie à un mois chez les patients traités par l’association NAC-prednisolone par rapport à la prednisolone seule (24 % vs 8 % ; p = 0,006). Cependant, ce bénéfice n’était plus significatif à 3 mois (34 % vs 22 % ; p = 0,06) ni à 6 mois (38 % vs 27 % ; p = 0,07). En revanche, à 6 mois, sous traitement double, le nombre de syndrome hépatorénal (12 % vs 25 % ; p = 0,02) et d’infection (19 % vs 42 % ; p = 0,001) avait diminué ainsi que les taux de bilirubine sérique à 14 jours (160 µmol/l vs 115 µmol/l; p = 0,003). Ces trois paramètres sont considérés par les auteurs comme des facteurs prédicteurs de la mortalité à 6 mois.8 Ainsi, l’association de la NAC à la corticothérapie semble améliorer le pronostic à court terme des patients, mais sans certitude sur le plus long terme. Ces résultats doivent encore être confirmés, mais la bonne tolérance de la NAC et son bénéfice potentiel paraissent justifier son administration dans cette situation. En attente de greffe, la NAC pourrait être un moyen d’améliorer l’état du patient jusqu’à la transplantation.7,8
Actuellement, aucune étude n’a prouvé le bénéfice de la NAC sur la survie globale dans les IHA NA, toutes étiologies confondues. Pour le cas précis de l’HAG, un bénéfice significatif sur la survie à court terme est rapporté lorsque la NAC est utilisée en association au traitement habituel de prednisolone. La place de la NAC dans le traitement de l’HAG reste encore à définir, de même que dans les hépatites aiguës de moindre sévérité.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ La N-acétylcystéine (NAC) est l’antidote reconnue dans les hépatites aiguës dues à une intoxication au paracétamol
▪ La prise en charge de l’hépatite alcoolique aiguë sévère repose sur la corticothérapie
▪ L’association de la NAC peut apporter un bénéfice à court terme
▪ Sa place reste à démontrer
▪ En contribuant à restaurer les stocks de glutathion intrahépatocytaire, la NAC est l’antidote de choix de l’hépatite aiguë due au paracétamol