Chastonay, O., Masserey, E., Dory, E., Beaupère, P., Mazza-Stalder, J., Vallière, S., d., L’Hostis, Y., Bodenmann, P. (2022). 'Prise en charge de maladies infectieuses auprès des requérants d’asile et détenus vaudois' in Vulnérabilités, diversités et équité en santé.

Chapitre 3.4. Prise en charge de maladies infectieuses auprès des requérants d’asile et détenus vaudois

Objectifs d’apprentissage

Connaître les procédures recommandées en matière de dépistage et de prise en charge des maladies infectieuses ou parasitaires pour les populations de requérants d’asiles et de détenus dans le canton de Vaud.

Ce travail développe des procédures dans le cadre du dépistage et de la prise en charge de maladies infectieuses ou parasitaires prévalentes (tuberculose, rougeole, varicelle, gale, punaises de lit) chez les requérants d’asile et détenus du canton de Vaud, populations vivant dans des environnements similaires, afin de soutenir le personnel soignant dans son travail de terrain, veiller à la santé des personnes concernées et protéger la population locale. Il s’agit donc d’harmoni-ser, grâce à une revue de littérature et un focus group d’experts, les procédures existant dans les centres de requérants et de détenus vaudois en s’assurant que celles-ci correspondent aux recommandations de la littérature et soient pertinentes en termes de santé publique et d’éthique, ainsi que réalisables d’un point de vue logistique et acceptables par les équipes de terrain.

Introduction

Les personnes vivant en situation de précarité (migrants forcés, détenus, travailleuses du sexe, toxicodépendants, sans domicile fixe, etc.) sont plus susceptibles aux maladies infectieuses 1,2. Par ailleurs, les risques de propagation de ces maladies sont plus importants en situation de promiscuité. C’est le cas des migrants vivant dans les centres pour requérants d’asile (RA) et des détenus. Il s’agit de populations contraintes à vivre dans des conditions de promiscuité pour une durée indépendante de leur volonté, provenant fréquemment de pays où les maladies infectieuses sont endémiques. Enfin, on trouve une proportion élevée de migrants forcés en milieu carcéral 3. La prévalence de la tuberculose (TB) est 150 fois plus grande chez les RA que chez les Suisses 4 ; près de la moitié des détenus d’une prison genevoise (47,5%) présentaient un Mantoux positif lors d’un dépistage réalisé entre 1997 et 2001 5. La susceptibilité pour la rougeole est 2-3 fois plus élevée chez les migrants et les détenus nés après 1981 que dans la population générale 6-8. Celle pour la varicelle est 4-7 fois plus grande chez les personnes ayant grandi dans des régions tropicales 9. Par ailleurs, la littérature a montré que la prise en charge médicale des RA et des détenus comportait des lacunes5. Les autorités sanitaires vaudoises ont été confrontées, récemment, à des situations épidémiques pour plusieurs maladies infectieuses dans les centres de RA et de détention, et ont donc la volonté de mettre en place des procédures standardisées pour une meilleure prise en charge des personnes concernées et protéger la population de tout risque épidémique. C’est pourquoi, nous avons entrepris une démarche participative d’établissement d’algorithmes décisionnels pour la prise en charge de cinq maladies infectieuses ou parasitaires (TB, rougeole, varicelle, gale et punaises de lit) fréquentes et à fort potentiel épidémique.

Méthodologie

Première étape : revue de littérature

Une revue de littérature exhaustive non systématique s’est faite par une recherche sur PubMed des articles publiés en français, en anglais et en allemand sur dix ans, 2006-2016 (cinq ans, 2011-2016, pour la TB). Les cinq mots-clés principaux utilisés pour la recherche étaient : « active tuberculosis », « measles », « chickenpox », « scabies », « bed bugs » ainsi que « best practice », « review », « guidelines », « asylum seekers », « refugees », « migrants », « prisoners », « detainees », « inmates ». Seuls ont été pris en considération les travaux portant sur des adultes. En outre, des documents recommandés par les professionnels consultés (tous coauteurs) présentant des recommandations actuellement utilisées dans les centres de RA et dans les établissements pénitentiaires vaudois ont été intégrés dans la revue de littérature.

Deuxième étape : élaboration d’algorithmes décisionnels sur la base de la revue de littérature

Pour chaque maladie, et ce en conformité avec la littérature, plusieurs algorithmes ont été réalisés.

Troisième étape : processus de consensus

Une séance de type focus group a réuni les professionnels directement concernés du canton de Vaud (tableau I). Celle-ci a eu lieu en avril 2016. L’objectif était de discuter les algorithmes décisionnels issus de la revue de littérature par rapport à leur pertinence en termes de santé publique, d’éthique, de faisabilité et d’acceptabilité par les équipes soignantes ainsi que de décider d’un algorithme pour chaque maladie. La réunion a été enregistrée puis retranscrite verbatim.

Tableau I.

Participants au focus group.

Résultats

Revue de littérature

Parmi 214 articles identifiés, 46 portant spécifiquement sur des recommandations sur ces maladies et/ou sur les populations concernées ont été retenus. À cela s’ajoutent 6 documents recommandés par les professionnels consultés.

Processus de consensus

Les figures 1 à 5 présentent les algorithmes décisionnels retenus lors du processus de consensus concernant les cinq maladies en question (TB, rougeole, varicelle, gale, punaises de lit). Pour des raisons de clarté, les approches thérapeutiques de la TB, rougeole et varicelle sont présentées dans le tableau II et les figures 6 et figures 7.

Tableau II.

Traitements de la tuberculose chez les RA et détenus.

Discussion

Les réflexions autour des algorithmes décisionnels issus de la revue de littérature et du focus group pour les cinq maladies infectieuses ou parasitaires sont résumées ci-après.

Tuberculose (figures 1a etfigures 1b)

Concernant le dépistage de la TB auprès des RA, il existait en Suisse, tout comme c’est le cas actuellement aux États-Unis 10, un dépistage systématique de la TB active par radiographie du thorax à l’entrée du pays, abandonné en 2005 pour des raisons de coût-efficacité 4 et remplacé par un test de dépistage anamnestique en ligne (en 32 langues) donnant un score de 0 à 26 11. Dès que le score est égal ou supérieur à 10, un Mantoux et une radiographie du thorax sont effectués *. En outre, des recommandations spécifiques 12 préconisent un test de Mantoux pour tous les enfants migrants de moins de 5 ans et un test IGRA pour les enfants de plus de 5 ans présentant au moins un symptôme suggestif de TB **. Aux États-Unis, un dépistage de TB latente par Mantoux/IGRA est également recommandé pour l’ensemble de la population migrante asymptomatique en alternative à la radiographie du thorax 10. Au Canada 13, un dépistage de TB latente par Mantoux est proposé aux personnes de moins de 50 ans provenant d’un pays à haute et moyenne prévalences (> 15/100 000 cas), ainsi qu’aux personnes de plus de 50 ans immunocompromises. En Angleterre, le dépistage est limité aux seuls RA provenant de pays à très haute prévalence (> 250/100 000 cas). En Suisse, l’OFSP ne recommande pas le dépistage systématique de TB autre qu’anamnestique chez les RA. Nous avons décidé, pour le canton de Vaud, de suivre les recommandations nationales. Les résultats d’études vaudoises démontrent qu’en dépit de gros efforts de suivi, 20 à 50% des RA traités pour une TB latente n’achevaient pas leur traitement 14 ; plus récemment, une étude a montré de meilleurs résultats avec un pourcentage de réus-site de traitement de près de 80% 15. À l’avenir, grâce à une éventuelle diminution des coûts de dépistage par IGRA et l’introduction d’une chimioprophylaxie plus courte (rifapentine), ces recommandations pourraient être revues. Seraient concernés en premier lieu les migrants très jeunes de pays à très haute prévalence et/ou ayant voyagé par voie terrestre. Pour l’heure, un haut degré de suspicion de TB est indiqué pour les personnes provenant d’Afrique subsaharienne (risque de TB 26,1 fois plus élevé 16), ou ayant voyagé par voie terrestre (risque 2,4 fois plus élevé 16) ; de même sont indiquées une radiographie du thorax et une culture des expectorations en cas de symptômes pour exclure une tuberculose active. Dans le canton de Vaud, l’accessibilité aux soins et l’attention de l’équipe soignante de première ligne aux éventuels nouveaux signes et symptômes chez un RA sont élevées, ce qui favorise une détection précoce de toute TB active 17. Chez les RA immunosupprimés, respectivement les enfants, un dépistage par un test d’IGRA, respectivement Mantoux, devrait cependant être systématiquement effectué. Concernant la prise en charge des détenus, il y a un consensus sur la nécessité de dépister la TB active, étant donné leur promiscuité dans des milieux confinés et ce pour une longue durée ; les tests recommandés varient selon le type d’établissement pénitentiaire 18. Dans le canton de Vaud, un dépistage de la TB active par radiographie du thorax se fait systématiquement conformément aux données récentes de la littérature 18. Les détenus présentant une toux de plus de trois semaines sont isolés jusqu’à exclusion du diagnostic de TB. Concernant les détenus, nous avons décidé de maintenir le dépistage de TB active tel qu’effectué actuellement dans le canton (radiographie du thorax systématique). Par contre, le dépistage de TB latente n’est pas recommandé 18. L’approche thérapeutique retenue est résumée dans le tableau II.

Figure 1a.

Algorithme consensuel de prise en charge de la TB chez les RA dans le canton de Vaud.

Figure 1b.

Algorithme consensuel de prise en charge de la TB chez les détenus dans le canton de Vaud.

Rougeole (figure 2)

Nous retenons l’approche préconisée par une étude suisse 6 proposant une vaccination systématique à l’arrivée des sujets nés après 1981 ne provenant pas d’Afrique subsaharienne et présentant une anamnèse négative. Nous proposons toutefois d’en modifier trois éléments, à savoir renoncer à prendre en compte l’anamnèse, considérée comme peu fiable (barrières linguistiques et culturelles, histoire migratoire complexe 19), étendre la tranche d’âge à vacciner (dès la naissance après 1963, en accord avec le plan vaccinal suisse 20), vacciner quel que soit le pays d’origine (données épidémiologiques lacunaires dans de nombreux pays). En cas de suspicion clinique d’immunosuppression, la vaccination n’a pas lieu. Nous n’avons pas retenu les approches préconisées dans une étude allemande7 qui consistaient à agir uniquement lors d’apparition d’un cas de rougeole en faisant des vaccinations postexpositionnelles, soit aux individus séronégatifs, soit aux individus nés après 1970 et ayant une anamnèse négative. Ces approches ne permettent pas d’éviter l’apparition de cas et ne suppriment pas le risque d’épidémie ; de plus, les vaccinations postexpositionnelles représentent un stress accru pour les équipes soignantes, difficile à maintenir à long terme. L’approche thérapeutique retenue est résumée dans la figure 6.

Figure 2.

Algorithme consensuel de prise en charge de la rougeole chez les RA et détenus dans le canton de Vaud.

Figure 6.

Prise en charge de la rougeole 27.

Varicelle (figure 3)

Nous retenons l’approche préconisée dans une étude californienne proposant une vaccination systématique des nouveaux arrivants entre 15 et 39 ans avec anamnèse négative 21 ; toutefois, les critères d’âge sont étendus à 11-39 ans pour être en harmonie avec le plan vaccinal suisse 20 et suivre les recommandations concernant les migrants dans la littérature suisse romande 12,19. L’anamnèse est maintenue dans l’algorithme, celle-ci ayant une valeur prédictive positive de 88% chez les migrants 22 et de 90% chez les détenus 23. Une approche suisse similaire 9 proposant une vaccination systématique des nouveaux arrivants séronégatifs est écartée vu le délai dû à la sérologie entraînant un risque d’épidémie avant la vaccination ainsi qu’en raison du coût et de la complexité de la démarche. Nous écartons également d’autres approches suisses 9,23 préconisant une action qu’en cas d’apparition de cas (aucun dépistage, ni anamnèse ni vaccination) car celles-ci ne sont pertinentes ni en termes de santé publique, ni d’éthique, ni de faisabilité. L’approche thérapeutique retenue est résumée dans la figure 7.

Figure 3.

Algorithme consensuel de prise en charge de la varicelle chez les RA et détenus dans le canton de Vaud.

Figure 7.

Prise en charge de la varicelle 28.

Gale (figure 4)

Le diagnostic par microscope est préconisé dans la littérature lors de suspicion de gale en institution pour le cas index 24 ; étant donné la sensibilité faible de cet examen, cette proposition n’a pas été retenue. Pour la population générale, la littérature conseille également un traitement simultané des contacts ainsi que de leurs literie et vêtements 25. Nous proposons une variante pour les établissements pénitentiaires, à savoir un traitement des contacts uniquement en cas de prurit avéré (la transmission ne se faisant qu’en cas de contact cutané étroit et prolongé 25).

Figure 4.

Algorithme consensuel de prise en charge de la gale chez les RA et détenus dans le canton de Vaud.

Punaises de lit (figure 5)

La littérature propose une éradication mécanique du parasite et de ne recourir à une éradication chimique qu’en cas d’échec de l’élimination mécanique 26. Pour des raisons de faisabilité, nous proposons de faire appel à des spécialistes dès que des punaises de lit sont présentes dans l’institution afin de les éradiquer.

Les cinq maladies ont un potentiel épidémique réel, leur prise en charge standardisée dans des populations spécialement à risque comme les RA et les détenus est importante en termes de santé publique ainsi qu’en termes d’équité en matière de soins. L’adoption des algorithmes de prise en charge à travers un processus de consensus avec les professionnels de terrain, les responsables de santé publique, les médecins spécialistes et le responsable du Centre des populations vulnérables devrait favoriser une large mise en œuvre de ces procédures auprès des RA et détenus, avec à terme une application systématique.

Figure 5.

Algorithme consensuel de prise en charge des morsures de punaises de lit chez les RA et les détenus dans le canton de Vaud.

Conclusion

Ce travail s’est limité aux cinq maladies susmentionnées. La démarche présentée ici constitue le début d’une procédure d’harmonisation de la prise en charge des maladies infectieuses et parasitaires dans les milieux à risque élevé, potentiellement applicable à l’ensemble du pays 28.

Implications pratiques

• La tuberculose, la rougeole, la varicelle, la gale et les punaises de lit sont des maladies endémiques parmi les requérants d’asile (RA) et les détenus.

Étant donné le fort potentiel épidémique de ces maladies, une prise en charge standardisée parmi les populations de RA et de détenus s’impose en termes de santé publique.

• L’adoption d’algorithmes décisionnels avec les professionnels de terrain, les responsables de santé publique et les médecins spécialistes est gage d’une mise en œuvre de ces procédures auprès des populations de RA et de détenus.

Note

Dans le cadre de la révision de ce chapitre, en mars 2021, une recherche de littérature comprenant les mêmes mots-clés que ceux utilisés lors de la revue de littérature exhaustive effectuée en 2016 a permis de montrer que les approches de prise en charge de ces cinq maladies infectieuses varient toujours fortement d’une région ou d’un pays à l’autre. Plusieurs auteurs mettent en évidence le manque de consensus et encouragent la mise en place d’une prise en charge plus claire et standardisée 30,31.