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Que les inégalités des conditions sociales engendrent des inégalités en santé est une réalité dont l’injustice doit être combattue par tous, y compris par les professionnels de santé et du domaine social.
Que les inégalités des conditions sociales engendrent des inégalités en santé est une réalité dont l’injustice doit être combattue par tous, y compris par les professionnels de santé et du domaine social.
Comment améliorer le soin apporté aux populations vulnérables, moins aptes à faire valoir leurs droits et particulièrement à risque de ne pas trouver de réponse à leurs besoins de santé ? Quelle réflexion avoir sur le lien complexe entre un·e soignant·e et son ou sa patiente dans sa complexité et sa place fragile dans nos sociétés ? Comment les médecins peuvent-ils devenir actifs dans la lutte contre les déterminants sociaux de la santé ?
Le présent ouvrage offre une revue des compétences requises ainsi que des conseils pratiques et éthiques, basées sur des évidences scientifiques, pour la prise en charge des personnes en situation de vulnérabilité et de précarité. Il permettra de renforcer la capacité des professionnels de santé et du domaine social à identifier et prendre en charge les besoins souvent complexes, aussi bien physiques que mentaux, des individus et groupes exclus de la population générale : prisonniers, familles exilées, travailleurs du sexe, sans-abris et bien d’autres.
Les nouveaux chapitres de cette deuxième édition abordent des thématiques contemporaines ou émergentes, telles que les impacts biopsychosociaux du réchauffement climatique sur la santé, le contexte d’hypermobilité humaine et le poids des crises sanitaires qui contribuent à accroître les inégalités sociales de santé auprès des populations dites « précarisées ».
Préfaces des Prs Idris Guessous et Jacques Cornuz, Pr Jean-Daniel Tissot, Sir Michael Marmot, Pre Samia Hurst-Majno
Postface de la Pre Giselle Corbie-Smith et Sir Michael Marmot
On en parle:
Bulletin des médecins suisses du 20 juillet 2022
Patrick Bodenmann est professeur, titulaire de la Chaire de médecine des populations vulnérables et Vice-Doyen à l’enseignement de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, et responsable du Département vulnérabilités et médecine sociale d’Unisanté de Lausanne
Yves Jackson est professeur à l’Université de Genève et médecin adjoint agrégé au Service de médecine de premier recours des Hôpitaux Universitaires de Genève
Francis Vu est médecin agréé au Département vulnérabilités et médecine sociale d’Unisanté de Lausanne
Hans Wolff est professeur à l’Université de Genève, membre du Comité pour la Prévention de la Torture (CPT) du Conseil de l’Europe et médecin chef du Service de médecine pénitentiaire des Hôpitaux Universitaires de Genève
Schwarz, J., Arminjon, M., Stutz, E., Z., Merten, S., Bodenmann, P., Clair, C. (2022). 'Déterminants sociaux de la santé en Suisse : les cheminements du genre' in Vulnérabilités, diversités et équité en santé.
Saisir l’importance et les implications, pour la pratique de la médecine, de l’influence des déterminants biologiques et sociaux sur la santé et sur la maladie entre les femmes et les hommes.
Depuis quatre décennies, la recherche épidémiologique a mis en évidence la nécessité de considérer les déterminants sociaux et la distribution sociale des maladies dans la population suisse, en particulier en fonction du genre. Le genre influence la situation sociale, les conditions et les parcours de vie et les comportements en matière de santé qui influencent ensemble la santé. Malgré ces acquis, les politiques et stratégies fédérales de santé tendent à considérer le genre comme un facteur de second plan, à le présenter comme un déterminant « naturel », voire à omettre son influence sur la santé. Or, ne pas tenir compte du genre comme élément qui structure différemment le vécu des femmes et des hommes et qui influence leur santé entrave la mise en place d’interventions spécifiques et efficaces visant la réduction des inégalités de santé au nom du principe de justice sociale. Dans la pratique clinique, prendre conscience que les femmes et les hommes ne forment pas des catégories épidémiologiques uniformes, figées et naturelles, est un pas vers la réduction des inégalités émanant du système de santé.
Introduction
Les inégalités sociales en santé sont aujourd’hui en passe de devenir un enjeu de santé publique central. Avec elles émerge un ensemble de questions connexes relatives aux inégalités de santé liées au genre. Il est cependant plus juste de parler d’un regain d’intérêt plutôt que de la mise au jour de problématiques inédites. En Suisse, la première étude d’épidémiologie sociale – Système des indicateurs socio-médicaux de la population suisse (SOMIPOPS) – est lancée de 1981 à 1985. Le groupe de recherche se voit rapidement mandaté par la Commission fédérale pour les questions féminines qui, en prévision de la 10e révision de l’AVS, entend introduire une réflexion sur la santé des femmes mais manque de données fiables susceptibles de « cerner la manière dont le niveau d’instruction, le mode de vie, la structure familiale et d’autres éléments de ce type influent sur la santé des femmes 1 » (p. II). En 1985, le groupe fournit son rapport à la commission. Il ressort notamment que si les personnes ayant suivi une formation supérieure jouissent d’une meilleure santé physique, le phénomène semble plus accentué chez les femmes qui « passent nettement moins de temps sur les bancs d’école et sont moins bien formées sur le plan professionnel » (p. 80). Ce type de travaux qui objective le rapport entre l’état de santé et le statut social en général, et les rôles sociaux qu’endossent les femmes en Suisse en particulier, vont se poursuivre tout au long de la décennie. En 1988, des sociologues et épidémiologues suisses vont par exemple mettre au jour un gradient social de santé entre les femmes célibataires, divorcées ou veuves, ayant charge d’enfant(s) d’une part et les femmes mariées de l’autre 2. Ce même groupe de recherche participe par ailleurs aux programmes de l’OMS mis en place dès 1982, visant à réduire les inégalités sociales de santé. Il a abouti en 2005 à la formation de la Commission des déterminants sociaux de la santé (CDSS) de l’OMS, dont le rapport de 2008 influence toujours les stratégies de santé publique des pays membres 3.
Cette culture suisse de recherche sur les inégalités de santé, particulièrement sensible aux disparités de genre, s’est surtout développée dans le champ des sciences sociales et de la santé publique. Elle ne s’est cependant pas encore imposée dans celui de la médecine, ni dans les stratégies et les méthodologies fédérales de statistiques de santé. Ce n’est qu’en 2012 que la notion de gradient social est évoquée pour la première fois dans le rapport « Enquête suisse sur la santé » 4. S’il s’agit bien là d’une reconnaissance des liens de dé-termination entre position sociale et santé, au-delà du genre, on ne peut que constater les limites et le retard des institutions de santé publique suisses vis-à-vis d’autres pays. Parmi ces limites, on note dans le rapport de 2012 que le statut social de la population est principalement défini par le niveau de formation ou le revenu, tandis que la notion de genre est absente, au profit de celle de sexe (encadré 1). Or, appréhender les différences observées avec la notion de sexe induit une interprétation essentialisante de ces différences, c’est-à-dire qu’elles sont considérées comme résultant d’une nature différente entre femmes et hommes qui ne peut pas être modifiée.
Les différences observables entre les femmes et les hommes dans la santé émanent de différences liées aux statuts et rôles sociaux qui structurent différemment les parcours de vie des individus, ainsi qu’à des différences liées à la biologie (par exemple chromosomes, hormones, organes génitaux). On oppose généralement ce qui est naturel et immuable (le sexe biologique) à ce qui est construit socialement et donc trans-formable (le genre social). Nous sommes conscient·e·s que les recherches et théories en cours dans le domaine des inégalités sociales de santé en général, et liées au genre en particulier, tendent à nuancer cette opposition biologique – sociales en montrant comment certaines pathologies attestent d’une modulation sociale du biologique. C’est notamment en ce sens que certains épidémiologues sociaux parlent d’incorporation biologique du social (embodiment).
Nous proposons ici que l’intégration timide de la dimension du genre dans les documents et stratégies des Offices fédéraux de la statistique (OFS) et de la santé publique (OFSP) témoigne plus généralement d’une difficulté persistante à intégrer la complexité des déterminants sociaux à plusieurs niveaux (du structurel à l’individuel), des cheminements dynamiques vers la santé ou la maladie, ou encore du cumul dans les parcours de vie. Les tensions existantes entre ces réalités complexes, les défis méthodologiques pour les appréhender et les mesurer correctement, et les besoins d’opérationnalisation politique et institutionnelle – qui passent notamment par la simplification et la standardisation – mènent à des stratégies et des programmes d’intervention appauvris qui échouent à réduire les inégalités, notamment liées au genre, voire qui risquent de les renforcer et de les invisibiliser.
Le genre, un déterminant social structurel de la santé
Afin de préparer sa stratégie globale pour la santé 2020, l’OFSP a lancé une série de mandats d’études. Parmi celles-ci, trois se penchaient sur la question des inégalités de santé 5-7 s’inspirant des modèles conceptuels existants qui, à l’instar de la CDSS, permettent d’appréhender les différents facteurs déterminants les inégalités de santé. Parmi ces déterminants se trouve le genre. Se basant notamment sur les travaux de Krieger 8 ou de Babitsch 9, les auteur·e·s préconisaient deux points principaux relatifs au genre : 1) le genre est un déterminant social lié mais différent du déterminant biologique qu’est le sexe ; et 2) le genre est un facteur qui influence les autres déterminants qui sont interreliés, il ne peut donc pas être réduit à un simple facteur confondant ou de stratification.
Le genre, un déterminant social à distinguer du déterminant biologique
Le genre est un déterminant social de la santé du fait que la société est organisée et structurée selon des valeurs et des normes de genre, aussi dynamiques, multidimensionnelles et sensibles aux mutations des représentations culturelles et sociales soient-elles. Les inégalités femmes-hommes en santé ne sont pas uniquement attribuables à des différences biologiques, mais sont aussi liées à cette organisation genrée de la société : « les discriminations basées sur le genre se traduisent par un positionnement moins favorable (des femmes) dans les hiérarchies sociales. Un moindre accès au pouvoir, au prestige et aux ressources se traduit en particulier par des difficultés à accéder à une formation et, par la suite, à un emploi reconnu et correctement rémunéré. Cette situation se traduit par une plus forte prévalence (pour un certain nombre) de pathologies et de mortalité 5 » (p. 28). En effet, tandis que le sexe est un déterminant biologique sur lequel on ne peut en principe pas agir (les modulations sociales du biologique existent), le genre est quant à lui un déterminant social, historiquement contingent, sur lequel il est possible d’influer via des interventions spécifiques de réduction des disparités de santé, au nom du principe de justice sociale 10,11.
Le genre intervient à tous les niveaux du modèle des déterminants de santé
Le modèle conceptuel de la CDSS présente les différents déterminants et leur articulation du niveau structurel jusqu’au niveau du comportement individuel en lien avec la santé (figure 1, de gauche à droite). Le modèle est complexe et induit des défis d’opérationnalisation (élaboration de stratégies et leur évaluation), pour lesquels Stamm et al. 7 proposent des solutions. Mais il est essentiel de tenir compte des différents niveaux pour appréhender empiriquement la réalité, et notamment d’y voir le genre comme un déterminant d’inégalités de santé qui discrimine le plus souvent les femmes et les filles et ce, à plusieurs niveaux. En effet, le genre produit des différences au sein des déterminants : par exemple les positions socio-économiques diffèrent entre femmes et hommes (différence de salaire et de rente notamment). De plus, les inégalités de genre s’articulent à travers le cheminement des effets des différents déterminants (web of causation 8) : les disparités de position socio-économique influent sur les circonstances matérielles (les charges et ressources à disposition) ou sur le capital social (réseau socioprofessionnel) de façon différente entre les femmes et les hommes. De plus, l’influence du genre est modulée et se cumule à travers le parcours de vie et les effets de certaines phases de vie (formation, mariage, divorce). Ainsi, le genre en tant que facteur structurel qui intervient à tous les niveaux et différemment selon la phase de vie doit être appréhendé dans son influence multiple et cumulée sur la santé, ainsi que dans son interaction avec d’autres déterminants de la santé (intersectionnalité – encadré 2). Ainsi, la distribution de la santé, par exemple, à partir d’une pathologie précise, ne devrait pas être analysée dans sa « simple » association directe (bivariée) avec le genre, mais devrait tenir compte des différentes dimensions du genre et de leurs effets sur la santé – voir l’illustration clinique en encadré.
Modèle conceptuel des déterminants sociaux de la santé.
L’intersectionnalité désigne la prise en compte simultanée et croisée de différents déterminants sociaux de la santé. Ce concept se réfère au fait que les femmes et les hommes ne sont pas des groupes homogènes, et que les positions sociales des individus sont façonnées à travers l’intrication des avantages et des désavantages d’autres facteurs comme l’âge, l’appartenance ethnique, l’orientation sexuelle ou la classe sociale.
Politiques et stratégies nationales de santé : les cheminements du genre
La stratégie globale « Santé 2020 » développait son deuxième axe de domaine d’action sur le « renforcement de l’égalité des chances et la responsabilité individuelle 12 ». L’égalité des chances est ainsi mise en relation directe avec la responsabilité individuelle. La notion de déterminant structurel, fortement mise en avant dans les études préparatoires, était mise en retrait, et sa dimension du genre avait totalement disparu. La nouvelle stratégie « Santé 2030 » s’inscrit dans le prolongement de la précédente et pose de nouvelles priorités pour la politique sanitaire 13. Le genre y est désormais inclus, ainsi que la dimension structurelle des inégalités au sens plus large : « si l’on veut établir une politique de la santé globale et garantir une vie saine à la population suisse, il convient donc de mettre l’accent sur les facteurs extérieurs au système de santé » (p. 25). Les différences femmes-hommes sont mises en avant dans la section présentant l’évolution démographique et sociale, en lien avec les changements structurels de la société en Suisse qui s’observent aux niveaux de la composition des ménages et de la parentalité, de l’encadrement extrascolaire, de la formation, ou du temps partiel. Il est écrit : « Ces développements peuvent avoir un impact positif ou négatif sur la santé de la population et sur la prise en charge des patients par leurs proches. Comme jusqu’ici, les femmes fournissent la majorité du travail de soin non payé (par exemple travail domestique, charge des enfants et personnes dépendantes), malgré une participation croissante à la vie active. Cette situation peut avoir des répercussions sur leur santé. » Ce lien entre l’organisation genrée de la société et la santé est posé, et se réfère aux données de l’OFS 14. À partir de ce constat appuyé par des données nationales, il est toutefois encore nécessaire de comprendre les cheminements et mécanismes qui mènent des inégalités sociales entre femmes et hommes aux inégalités de santé. Comprendre et expliciter ces éléments sont cruciaux pour établir des interventions spécifiques visant leur réduction.
Dans les stratégies nationales spécifiques élaborées par l’OFSP à partir de la stratégie globale, le genre est présent, mais il est considéré comme un simple facteur confondant, la plupart du temps présenté dans sa dimension biologique et non influençable, au détriment de ses dimensions sociales. À titre d’exemple, la stratégie nationale de prévention des maladies non transmissibles (MNT) 2017-2024 15, ainsi que le récent outil de monitorage suisse des addictions et MNT « MonAM » 16 présentent les différences de distribution femmes-hommes dans les principales MNT, mais ne les expliquent pas. Or, et de façon problématique, en l’absence d’interprétation et d’explication de ces différences, celles-ci apparaissent davantage comme données, naturelles et non modifiables. Dans la section facteurs de risque, la majorité des facteurs décrits émanent pourtant du niveau style de vie/comportement individuel, et seul un maigre paragraphe, relégué au second plan, est consacré aux déterminants sociaux (sans mentionner le genre), incluant le graphique du modèle CDSS. Parmi les MNT présentées en détail se trouvent les maladies cardiovasculaires que l’on sait par ailleurs fortement déterminées par des facteurs liés au genre. Il est mentionné que « les décès dus à des maladies cardiovasculaires sont plus fréquents de 20% chez les femmes que chez les hommes (2013 : 11 793 versus 9 719). La mortalité due à ces maladies est en baisse et ce recul est plus marqué chez les hommes que chez les femmes. Les hommes sont plus fréquemment hospitalisés pour une maladie cardiovasculaire que les femmes (2012 : 67 549 versus 53 208) ». Aucune piste d’interprétation de ces disparités femmes-hommes n’est cependant fournie. Les principaux facteurs de risque des maladies cardiovasculaires sont présentés, mais le genre n’y figure pas.
En 2018, l’OSFP publiait une brochure « Égalité des chances et santé » qui rassemble, syn-thétise et présente sous forme d’infographie les données suisses sur les différences de distribution de la santé en fonction de déterminants sociaux 17. Sur les 17 associations présentées, une seule inclut le genre : le renoncement aux soins et le contexte migratoire, en fonction du genre. Pour les autres pathologies et problématiques de soins, ce sont principalement les indicateurs de formation et de revenu qui sont présentés comme déterminant social de disparités, alors qu’il existe quantité de données probantes sur les disparités dues au genre. À titre d’exemple, la dépression est présentée dans son association simple (bivariée) avec le niveau de formation, sans mention du genre. Si la brochure est utile pour illustrer facilement le propos – il existe des inégalités des chances en santé –, sa simplification induit deux problèmes : 1) elle invisibilise le genre comme élément qui module la santé des individus de façon intersectionnelle ; et 2) en absence d’explication des mécanismes menant des inégalités sociales aux inégalités en santé, elle porte le danger de l’essentialisation des différences femmes-hommes.
L’essentialisation (ou naturalisation) se réfère à l’interprétation de résultats comme émanants de faits naturels, au détriment de faits sociaux et culturels, les renvoyant ainsi de façon erronée à une nature biologique, essentielle, innée, et souvent figée.
Conclusion
Le genre, c’est-à-dire les catégories de femmes et d’hommes appréhendées non pas sous l’angle biologique, mais comme des statuts et rôles sociaux, est un déterminant important d’inégalités dans la distribution de la santé et la maladie. Malgré l’existence d’une culture suisse d’étude des inégalités de santé, en particulier de genre, cette dimension peine à trouver (et à pérenniser) son chemin dans les stratégies et politiques de santé et manque complètement dans les recommandations pour la réduction des inégalités en santé. On ne peut que reconnaître les difficultés conceptuelles et méthodologiques à appréhender et à intégrer l’influence du genre, notamment en raison de sa présence à différents niveaux (structurels, conditions et styles de vie, facteurs de risque individuels), à cause de son influence cumulée sur le parcours de vie et à cause de l’intersectionnalité avec d’autres facteurs (classe sociale, origine, orientation sexuelle). Cependant, l’exclure ou le réduire à un déterminant biologique ne prend pas en compte l’ensemble des recherches qui ont été menées en épidémiologie depuis plusieurs décennies. L’inclusion du genre 18 est impérative pour rendre visible et comprendre les inégalités femmes-hommes dans la santé, et pour élaborer des interventions spécifiques visant la réduction de ces inégalités. Appréhender le genre dans sa complexité et sa diversité dans la pratique clinique permet de sortir des catégories épidémiologiques standardisées et simplifiées qui tendent à reposer sur une vision immuable des différences, et contribue à éviter des représentations parfois stéréotypées des différences femmes-hommes qui peuvent renforcer les inégalités.
La question du tabagisme illustre bien les différents niveaux d’influence du sexe et du genre sur la santé. En Suisse, la prévalence du tabagisme a augmenté dans la population féminine à partir des années 1970 19. Le comportement tabagique, valorisé chez les hommes, mais jusqu’alors socialement peu admis chez les femmes, a progressivement et rapidement été adopté par les femmes. Un marketing genré de la cigarette par l’industrie du tabac a largement contribué à favoriser ce comportement 20. De nombreuses femmes ont utilisé la cigarette comme moyen d’émancipation ou pour l’autogestion du stress ou du poids. Sur le plan des complications, l’incidence et la mortalité liées au cancer du poumon sont en augmentation chez les femmes depuis plus de dix ans en Suisse et le taux de décès lié au cancer du poumon rejoint désormais celui du sein (figure 2). Cette évolution épidémiologique de la prévalence et de la mortalité du cancer pulmonaire trouve donc en partie son origine dans les changements de comportement tabagique (facteurs comportementaux), eux-mêmes influencés par des changements culturels et sociaux (facteurs structurels). Sur le plan biologique, les femmes sont davantage susceptibles de développer des complications (maladies cardiovasculaires ou pulmonaires) que les hommes pour une même exposition tabagique. Toutefois il ne s’agit pas du sexe biologique, mais bien du genre qui explique l’entrée dans le tabagisme d’une personne. Le gradient socio-économique, très présent chez les hommes – les couches les moins favorisées ayant la prévalence la plus élevée de tabagisme – est nettement moins marqué chez les femmes 21. Ceci pourrait s’expliquer par l’entrée en consommation plus tardive des femmes. L’adoption d’un nouveau comportement (ici le tabagisme) s’est d’abord faite auprès des hommes ayant un niveau socio-économique plus élevé, puis la tendance s’est inversée. Chez les femmes cette inversion est en cours, ce qui expliquerait un gradient moins marqué.
Décès selon le type de cancers (poumon et sein) chez les femmes, de 1970 à 2017 en Suisse.
• Le genre est un déterminant social de la santé au même titre que la classe sociale ou l’appartenance ethnique et sa non-prise en compte contribue à entretenir les disparités en santé le plus souvent en défaveur des femmes.
• Le genre doit être appréhendé en tenant compte des autres déterminants sociaux de la santé dans une approche intersectionnelle.
• Les représentations de genre concernent tout le monde, y compris les clinicien·ne·s et soignant·e·s : y réfléchir et en tenir compte dans la pratique, pour éviter le recours (inconscient) aux stéréotypes néfastes de genre face aux patient·e·s est une démarche importante pour réduire les inégalités de genre 23.
Schwarz, J., Arminjon, M., Stutz, E., Z., Merten, S., Bodenmann, P., Clair, C. (2022). 'Déterminants sociaux de la santé en Suisse : les cheminements du genre' in Vulnérabilités, diversités et équité en santé.
Auteur | |
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ISBN | 9782880495121 |
Nombre de pages | 704 |
Parution | 22 mars 2022 |
Thème | Santé publique |
Type de livre | Ouvrage collectif |
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