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ISO 690 Corboz, J., Bischoff, T., Conne, G., Vonnez, J., Kiefer, B., Médecine de premier recours : le flou et le sûr, Med Hyg, 2004/2464 (Vol.62), p. 3–5. DOI: 10.53738/REVMED.2004.62.2464.0003 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2004/revue-medicale-suisse-2464/medecine-de-premier-recours-le-flou-et-le-sur
MLA Corboz, J., et al. Médecine de premier recours : le flou et le sûr, Med Hyg, Vol. 62, no. 2464, 2004, pp. 3–5.
APA Corboz, J., Bischoff, T., Conne, G., Vonnez, J., Kiefer, B. (2004), Médecine de premier recours : le flou et le sûr, Med Hyg, 62, no. 2464, 3–5. https://doi.org/10.53738/REVMED.2004.62.2464.0003
NLM Corboz, J., et al.Médecine de premier recours : le flou et le sûr. Med Hyg. 2004; 62 (2464): 3–5.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2004.62.2464.0003
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Éditorial
7 janvier 2004

Médecine de premier recours : le flou et le sûr

DOI: 10.53738/REVMED.2004.62.2464.0003

Il y a plus de débats que jamais autour de la médecine. Il y a des mesures politiques d’urgence, des discours, des propositions, des pressions, des reproches, des enjeux. Le risque, dans ce remue-ménage, c’est d’oublier ce qui se passe sur le terrain. Les problèmes de la médecine sont-ils les mêmes «vus d’en bas» ? Pour le savoir, nous avons rencontré trois médecins généralistes installés à Bussigny.

Jean-Paul Corboz, Georges Conne et Thomas Bischoff viennent de fêter les dix ans de leur cabinet de groupe. Ils ont beaucoup à dire sur leur association volontaire, entretenue, nourrie d’humour et d’amitié. Leurs idées touchent également la formation et la recherche en médecine générale, puisque Thomas et Georges enseignent leur spécialité à Lausanne.

Voici pourquoi, parmi beaucoup de témoins possibles d’une certaine réalité, nous avons choisi ce trio particulier.

Médecine générale, recherche et enseignement

Médecine & Hygiène : Vous accordez beaucoup d’importance à la relation entre vous et avec vos patients. Mais vous utilisez aussi des dispositifs techniques, un laboratoire, un savoir scientifique. Comment voyez-vous la place de la science dans la médecine de premier recours ?

Jean-Paul Corboz : C’est d’abord un outil. Mon savoir me permet de décoder un nombre non négligeable de situations médicales de tous les jours, y compris grâce à l’utilisation de moyens techniques et à la lecture de résultats.

Thomas Bischoff : Beaucoup reste à faire, cependant. En dehors de la tradition et d’un nombre restreint de connaissances utilisables, la médecine de premier recours souffre d’une importante carence dans son approche scientifique. Ce qui manque, avant tout, c’est une méthodologie. Dans l’Unité de médecine générale, dont je suis responsable, nous avançons à tâtons, nous essayons de définir les domaines où la science pourrait apporter des réponses utiles. Nous essayons de renouveler le type de recherches. Le travail est difficile. Et puis, il faut bien l’avouer, la médecine générale n’est pas considérée comme un domaine permettant une approche scientifique «sérieuse». Pas encore, aimerais-je dire.

M&H: Richard Smith, rédacteur en chef du British Medical Journal, affirme que seuls 10 à 20% des actes posés en médecine ambulatoire reposent sur des preuves. Pensez-vous qu’il ait raison?

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Georges Conne : Dix ou ving pour cent, cela me semble un grand maximum! Ce que ces chiffres disent implicitement, c’est que si la médecine est très utile pour faire ce que l’on fait, elle ne suffit de loin pas. Nous avons besoin de beaucoup d’autres choses.

M&H: Dans quels domaines la médecine générale aurait-elle besoin de nouvelles connaissances ?

T. B. : Le problème, c’est que toute la médecine est construite à partir du détail. Or nous devons gérer la complexité. Pour cela, nous n’avons jamais reçu d’outils, pour la bonne raison que ces outils n’existent pas encore. Georges dit souvent que nous sommes des gestionnaires du flou. Il a entièrement raison. Le problème, c’est que ce flou n’est pas étudié.

J.-P. C. : Aussi bien au niveau de l’enseignement que de la recherche, ce flou pose de sérieux problèmes. La recherche ne peut s’appliquer qu’à des éléments relativement simples, alors que les situations réelles sont complexes. L’enseignement est aussi touché par cette question de la complexité et du flou. Deux d’entre nous donnent des cours et nous recevons régulièrement des stagiaires au cabinet. Or, en enseignant, nous réalisons que l’essentiel, en médecine générale, est de l’ordre du vécu. Nous sommes censés apprendre à nos stagiaires à ausculter, à palper, à poser de bonnes questions. En réalité, tout se joue dans une dimension qui dépasse l’anamnèse, le status, la démarche diagnostique.

T. B. : Le savoir pur jouant un moins grand rôle en médecine générale que dans d’autres spécialités, les objectifs y sont à la fois différents et plus difficiles à définir. Le plus délicat, c’est de faire accepter qu’un item de savoir-être ou de savoir-faire puisse avoir la même importance dans l’évaluation que la connaissance d’une pathologie.

G. C. : Dans mes cours aux étudiants de troisième année, je suis censé enseigner la science médicale. En réalité, c’est une prise de conscience que j’enseigne. Cela paraît très pompeux. Faire comprendre et expérimenter, par la relève, comment la maladie s’inscrit dans le contexte de vie du patient avec ses pertes, ses profits éventuels, ses moyens de défense. C’est tout bénéfice et pour le patient et pour le jeune médecin. Coexistant avec la science, mais davantage négligée, c’est l’autre face de la médecine.

M&H: La première difficulté, peut-être, c’est que la médecine fondée sur des preuves suppose un diagnostic précis, alors que vous, vous travaillez souvent sans connaître ce diagnostic.

G. C. : Vous avez raison. Exemple : nous envoyons une patiente âgée à l’hôpital pour une fracture. A sa sortie, elle revient nous voir avec sa fille et une canne. Sur la lettre de sortie, sept diagnostics. En face de chaque diagnostic, une flèche et un médicament. Très bien. Mais ce n’est pas de la médecine générale. Notre rôle, c’est de trier, de comprendre, d’apprivoiser. Nous posons des questions : est-il vraiment nécessaire de lui donner un médicament contre cet Alzheimer qui n’est même pas prouvé ? La réponse ne peut découler que d’une discussion avec la patiente, avec sa famille, ses proches.

T. B. : Ce qui manque, c’est une vision de la médecine générale qui lui soit propre. On affirme volontiers que la médecine ambulatoire est importante. Mais en même temps, on lui impose un modèle hospitalier et technique qui ne permet pas le développement de sa spécificité. Pour cette raison, la médecine générale donne l’impression de se trouver «hors la loi». Pour éviter cette situation, il serait nécessaire de développer une philosophie de la médecine générale, un concept qui aurait une valeur à la fois scientifique et politique. Mais il faudrait que la société soutienne cet effort. Ce n’est pas encore vraiment le cas.

M&H: Mais les généralistes vont-ils survivre face au primat de la technique, du savoir dur, de la médecine fondée sur des preuves, de cette santé scientifique qui fascine la société ?

G. C. : Savez-vous pourquoi les gens sont fascinés ? Parce que ces explications simples sont rassurantes. Nos réponses complexes sont a priori moins attirantes.

T. B. : C’est vrai que la société s’enthousiasme du développement des techniques et des images en médecine, mais elle reconnaît en même temps l’utilité de la médecine générale. Les gens se rendent compte qu’il leur est utile de rencontrer quelqu’un qui a le temps de discuter avec eux. De leur côté, de nombreux décideurs réalisent que la médecine générale est une médecine bon marché, qui contribue à limiter les dépenses du système. Mais il faut aller au-delà de cette reconnaissance implicite. Nous devons définir ce qui est spécifique à notre activité. Nous devons préciser ce que nous apportons de plus que les machines ou les examens pointus. Si nous le faisons, nous aurons de bonnes chances de survie.

M&H: On entend beaucoup de discours favorables à la médecine générale. Mais estelle soutenue dans les faits ?

T. B. : Peu. Pour ne prendre qu’un seul exemple : dans le canton de Vaud, seuls les généralistes et les spécialistes en médecine tropicale n’ont plus le droit de reprendre un cabinet. La succession est encore possible pour les spécialistes. Cette discrimination est étrange, inquiétante.

Utopie

M&H: Quelle est la place de l’utopie dans votre pratique ?

G. C. : Nous rencontrons quantité de problèmes. Croire à l’existence de solutions, c’est déjà de l’utopie. Créer des changements positifs chez les gens, sans utiliser pour cela la grande batterie médicale thérapeutique ou diagnostique, donc sans risque iatrogène, c’est encore de l’utopie. L’utopie de notre pratique a à voir avec la poésie, la rencontre, l’empathie.

J.-P. C. : Comme ces choses se réalisent, on pourrait dire qu’elles ne relèvent plus de l’utopie. En fait, j’ai l’impression de vivre l’utopie dans le réel. Des idéaux communs nous ont permis de nous retrouver. Puis nous avons construit quelque chose qui est de l’ordre de l’utopie, mais qui est vécu. C’est pour cela qu’à cinq ans de la retraite, je continue à me réjouir en venant travailler.

T. B. : Bien sûr, nous cultivons en même temps des utopies non réalisées. Je rêve souvent de voir les souffrances dont nous sommes témoins davantage reconnues et prises en compte par la société. Lorsque les gens viennent parce qu’ils souffrent de leurs conditions de travail, j’aimerais voir ces conditions changer. Pour le moment, nous sommes la dernière défense de personnes qui ailleurs sont considérées comme des déchets du système. Je préférerais ne plus servir uniquement de pansement pour les défauts du système, mais plutôt de sentinelle dont les constats seraient entendus et amèneraient des changements.

G. C. : Il faut dire que nous sommes en colère. Un de nos rôles, détestable, est celui d’un service après-vente de l’économie ultralibérale. Les problèmes de bactéries nous inquiètent de moins en moins. Aujourd’hui, notre lutte concerne tout autant le mobbing, les pressions sociales de toutes sortes. Nous sommes en colère pour nos patients. Eux n’ont souvent pas les moyens d’exprimer leur colère. Ils disent : «Je n’ai pas le temps ou le droit d’être malade, docteur». Le risque de perdre sa place, le manque de respect ou de considération sont morbigènes. Les organes-cibles peuvent être le cœur, le foie, le poumon mais aussi la famille. Nous cherchons avec le patient des stratégies de survie, puis de changement. ll m’arrive de prendre sa défense et de me le faire reprocher par d’autres qui, eux, se permettent de le juger !

J.-P. C. : Nous faisons également le service après-vente de la médecine spécialisée et hospitalo-universitaire. On recueille, on répare, on tâtonne, et on se dit que notre approche s’occupe des failles du système.

G. C. : Cela dit, ressentir de la colère n’a pas que des inconvénients. En discutant entre nous, nous essayons de jouer avec elle, non seulement pour éviter qu’elle nous détruise, mais aussi pour en capter l’énergie.

M&H: Le souci de rentabilité n’épargne pas la médecine de premier recours.

G. C. : De plus en plus, nous avons l’impression d’être les jouets des assurances. Et les hommes-sandwichs de l’industrie pharmaceutique. Nous sommes matraqués, sollicités, influencés. Et forcément, parfois, nous tombons dans le piège. Dès qu’un médicament n’est plus breveté, il perd son efficacité comme par magie, au profit d’un autre, censé être encore plus génial bien qu’un peu plus cher.

T. B. : Oui, nous sommes confrontés à des messages contradictoires. On nous demande de prescrire des génériques ; on nous vante simultanément l’efficacité des nouveaux produits. Un patient nous reproche d’avoir prescrit un médicament trop cher ; un autre se plaint de ne pas recevoir la dernière nouveauté.

J.-P. C. : C’est une manifestation de cette logique consumériste déjà évoquée.

(Seconde partie : la semaine prochaine)

Un cabinet à leur image

Jean-Paul Corboz, Georges Conne et Thomas Bischoff sont installés dans un immeuble relativement récent du centre de Bussigny, à deux pas de la gare. Leurs fenêtres donnent sur une place pavée un peu trop lisse, devant l’entrée d’un centre commercial. Trois noms autocollés sur la vitre de la porte d’entrée, un escalier feutré qui sent le propre, un cabinet ouvert, lumineux, moderne : tout semble très classique.

Mais l’esprit des lieux se cache dans tous les détails. Associés au dessin de l’immeuble, les trois futurs collègues ont pu décider de l’agencement du cabinet. Ils ont décidé de donner beaucoup de place – et d’importance – à la pièce commune, à la fois salle de réunions et cafétéria. Elle occupe très exactement la même surface que chacun de leurs bureaux, «au demi-mètre carré près».

C’est là qu’ils se rencontrent une fois par semaine pour évoquer des cas, des radiographies ou le film vu la veille. C’est là qu’ils dînent une fois par semaine avec leurs quatre collaboratrices pour régler les affaires courantes, «de la commande de matériel aux conflits internes».

Les trois médecins ont accordé beaucoup d’attention aux «petites choses» qui pourraient faciliter la vie de leurs patients. Un passe-plat permet de transférer discrètement les échantillons d’urine des WC au laboratoire. Des portes permettent de passer d’une salle à l’autre à l’abri des regards. La salle d’attente est ouverte, pour ne pas «enfermer les gens».

Aux murs, sur les étagères, des objets et des images qui font rire ou réfléchir sur la médecine. La «valise à symptômes» de Jean Carpentier – celle qui orne la couverture de «Medical flipper» – trône dans la salle d’attente. C’est une valise transparente avec plusieurs plans de plexiglas. Sur le premier, on lit «symptômes», et sur les suivants d’autres mots : «histoire», «signes».

Auteurs

Jean-Paul Corboz

Médecine générale
1030 Bussigny

Thomas Bischoff

Route de Vevey 31
1096 Cully
th.bischoff@bluewin.ch

Georges Conne

Avenue de Jolimont 23 1008 Prilly
c.georges@bluewin.ch

Jean-Luc Vonnez

Cabinet de la Pépinière Clos de la Pépinière 6
1040 Echallens
jean-luc.vonnez@svmed-hin.ch

Bertrand Kiefer

Médecine et Hygiène Chemin de la Gravière 16
1225 Chêne-Bourg
bertrand.kiefer@medhyg.ch

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