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ISO 690 Garchery, L., Motamed, S., Gaspoz, J., Lorsque des D-dimères dans la norme ne sont pas égaux à des D-dimères normaux, Rev Med Suisse, 2010/264 (Vol.6), p. 1832–1835. DOI: 10.53738/REVMED.2010.6.264.1832 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2010/revue-medicale-suisse-264/lorsque-des-d-dimeres-dans-la-norme-ne-sont-pas-egaux-a-des-d-dimeres-normaux
MLA Garchery, L., et al. Lorsque des D-dimères dans la norme ne sont pas égaux à des D-dimères normaux, Rev Med Suisse, Vol. 6, no. 264, 2010, pp. 1832–1835.
APA Garchery, L., Motamed, S., Gaspoz, J. (2010), Lorsque des D-dimères dans la norme ne sont pas égaux à des D-dimères normaux, Rev Med Suisse, 6, no. 264, 1832–1835. https://doi.org/10.53738/REVMED.2010.6.264.1832
NLM Garchery, L., et al.Lorsque des D-dimères dans la norme ne sont pas égaux à des D-dimères normaux. Rev Med Suisse. 2010; 6 (264): 1832–1835.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2010.6.264.1832
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Articles thématiques : Médecine ambulatoire
29 septembre 2010

Lorsque des D-dimères dans la norme ne sont pas égaux à des D-dimères normaux

DOI: 10.53738/REVMED.2010.6.264.1832

When D-dimers within normal limits do not equate to normal D-dimers

Pulmonary embolism is a difficult diagnosis that may be missed because of an aspecific clinical presentation. Being the most accurate to confirm or exclude the disease is a matter of concern, as effective treatment exists and a possibly fatal outcome without it. Scores and guidelines can help us. However, they cannot replace clinical sense. What are the options when laboratory results put us on the wrong track, such as in a patient with a clinical presentation suggestive of a pulmonary embolism, but whose D-dimers are within the normal range ?

Résumé

Les symptômes et signes d’embolie pulmonaire sont aspécifiques, et son diagnostic difficile à poser. L’existence d’un traitement efficace et une potentielle issue fatale en son absence imposent beaucoup de rigueur, aussi bien pour confirmer que pour exclure la maladie. Des scores et guidelines existent pour nous aider dans cette démarche diagnostique. Toutefois, ce ne sont que des aides qui ne peuvent en aucun cas se substituer au sens clinique des médecins. Que faire quand les résultats de laboratoire faussent les pistes, comme chez une patiente où tout pousse à croire à l’embolie pulmonaire alors que les D-dimères sont dans la norme ?

Introduction

Le diagnostic de l’embolie pulmonaire (EP) reste difficile, tant l’ensemble des symptômes et signes de la maladie sont aspécifiques.1 Dans son évaluation, le clinicien peut s’aider de scores cliniques et d’une succession de tests diagnostiques, dans un ordre qui utilise leur meilleur rendement et une logique «coût et efficacité».2-4 Tout score étant imparfait, l’avis du médecin demeure néanmoins essentiel. Cette part de subjectivité peut entraîner des difficultés en institution, où le même patient peut être pris en charge par plusieurs équipes successives.

Voici l’histoire d’une jeune patiente référée un samedi soir à notre service des urgences pour une douleur thoracique inexpliquée, une EP ayant été écartée par une première équipe médicale sur la base d’une probabilité prétest intermédiaire et des D-dimères dans la norme. Et pourtant…

Cas clinique

Une jeune femme de 34 ans, d’origine canadienne, en bonne santé habituelle, consulte une permanence médicale en raison de l’apparition d’une douleur basithoracique gauche de survenue brutale, en réunion de travail. La patiente consulte (premier médecin consulté) douze heures après le début des symptômes. La douleur est respiro-dépendante et n’irradie pas. Il n’y a pas de toux, de dyspnée ou d’état fébrile. L’examen clinique, l’ECG, la radiographie du thorax, le dosage des D-dimères (220 ng/ml) et des troponines sont dans la norme. La patiente rentre à domicile sans diagnostic précis, avec un traitement antalgique. Durant la nuit, elle est réveillée par ces mêmes douleurs qui s’étendent cette fois à tout l’hémithorax gauche. Elle reconsulte la même permanence ; un autre médecin (deuxième médecin consulté) décrit un examen clinique normal. Un hémogramme et une vitesse de sédimentation sont dans la norme. La patiente est alors référée aux urgences de notre institution, le médecin estimant avoir exclu les diagnostics les plus graves, sans explication aux symptômes de la patiente.

Aux urgences de notre institution, un complément d’anamnèse par l’interne (troisième médecin consulté) révèle qu’il s’agit d’un premier épisode. La douleur est exacerbée lors de l’inspiration profonde et à la mobilisation du thorax. Il n’y a pas de dyspnée. La patiente est connue pour des ovaires polykystiques et ne prend d’autre traitement qu’une contraception orale. Elle dit avoir fait un voyage une semaine auparavant (Vancouver-Genève, douze heures d’avion), sans aucun symptôme. Il n’y a pas d’autre facteur de risque thromboembolique connu.

L’interne interprète la radiographie de la permanence avec l’aide d’un radiologue (quatrième médecin consulté) : discret émoussement du sinus costo-diaphragmatique gauche et probable infiltrat interstitiel de la pyramide basale gauche. L’infiltrat n’est pas formellement retenu par le chef de clinique (CDC) auquel le cas est présenté, qui examine également la patiente (cinquième médecin consulté).

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A l’examen clinique, la température axillaire est à 37,1 °C, la pression artérielle à 120/80 mmHg, symétrique et le pouls à 85 par minute, régulier. La saturation en oxygène à l’air ambiant est de 98%, la fréquence respiratoire de 12/min, l’auscultation cardio-pulmonaire dans la norme, la palpation du thorax indolore, les mollets calmes et symétriques, sans signe de Homans. On refait un ECG (normal) et une radio de thorax. L’interne regarde la deuxième série de clichés avec un autre radiologue (sixième médecin consulté) qui voit un petit épanchement pleural gauche avec une bande d’atélectasie.

Nous sommes donc en présence d’une jeune patiente avec une douleur thoracique inexpliquée et une probabilité prétest d’EP non haute, selon les scores de Wells (tableau 1) et Genève modifié (tableau 2). En présence de D-dimères dans la norme et une probabilité prétest faible ou intermédiaire, on peut conclure à l’absence d’EP et arrêter les investigations.2-6

Tableau 1

Score de Wells

(Adapté de réf.18).

TVP : thrombose veineuse profonde ; EP : embolie pulmonaire.

Tableau 2

Score de Genève modifié

(Adapté de réf.18)

TVP : thrombose veineuse profonde ; EP : embolie pulmonaire.

Dans les diagnostics alternatifs possibles figurent une pleurésie virale, une atteinte pleurale de type inflammatoire ou tumorale. D’autres diagnostics, à savoir syndrome coronarien aigu, périmyocardite, pneumothorax, pneumonie avec pleurésie, sont raisonnablement exclus par l’évaluation clinique et les examens complémentaires réalisés. Une dissection aortique paraît peu probable. Restent possibles une pathologie œsophagienne, une douleur d’origine musculo-squelettique ou psychogène.

Toutefois, l’histoire clinique est suggestive d’une EP. De fait, nous ne savons rien de la technique de dosage des D-dimères utilisée dans la permanence, ce qui a toute son importance, les directives validées pour la démarche diagnostique de l’EP se basant sur l’utilisation d’un test ayant une sensibilité haute.4 Nous décidons alors de redoser les D-dimères.

Les D-dimères reviennent à 800 ng/ml (seuil de positivité à 500 ng/ml). Le CDC demande à un radiologue (septième médecin consulté) de réaliser un scanner thoracique spiralé (CT) à la recherche d’une EP. Résistance du radiologue qui met les D-dimères sur le compte d’une «pleurite probablement virale».

Le CT-spiralé tout de même effectué montrera des EP bilatérales segmentaires, un petit épanchement pleural et des atélectasies de la base gauche.

Discussion

Le résultat négatif du premier dosage des D-dimères, effectué près de douze heures après le début des symptômes, est surprenant. En effet, 24 heures plus tard, les D-dimères étaient positifs et le CT-spiralé montrait des EP.

L’activation presque simultanée de la cascade de la coagulation et de la fibrinolyse, dont les D-dimères sont le produit, permet d’écarter la possibilité d’un dosage négatif car trop précoce (la fibrinolyse est observée dans les minutes suivant le début de la formation du caillot).7,8

Nous trouvions-nous face aux limites de validité d’un test diagnostique (faux-négatif) ? Le premier dosage devait-il être remis en cause ? Etait-il approprié de doser les D-dimères ? Fallait-il considérer la probabilité prétest d’EP comme haute d’emblée ?

Qualité et interprétation du test diagnostique

Un contact téléphonique avec l’infirmière de la permanence médicale nous a permis d’exclure raisonnablement une erreur de manipulation de tube ou de report du résultat. Nous apprenons que les D-dimères y sont dosés grâce au «Cardiac Reader» de «Roche Diagnostics». Les D-dimères sont pris en sandwich entre deux anticorps spécifiques. L’accumulation de ces complexes est ensuite détectée par la machine et convertie en une concentration selon une courbe de calibration spécifique. Le seuil de positivité est annoncé à 500 ng/ml. Il existe aucune étude de validité de ce test dans l’EP. Sur les trois études de validité faites dans la TVP (thrombose veineuse profonde), deux incluent moins d’une centaine de patients.9,10 La troisième11 inclut 637 patients suspects d’avoir une TVP et annonce une sensibilité équivalente à la méthode par ELISA (Enzyme-linked immunosorbent assay), utilisée dans notre institution 3 (test VIDAS, bioMerieux, Marcy l’Etoile, France). Plusieurs points remettent en cause la fiabilité de cette étude : manque de clarté des critères d’inclusion, absence de dosage des D-dimères par le test VIDAS pour l’ensemble des patients, et absence de suivi à trois mois. En l’absence de données validées dans un grand collectif de patients, on peut douter de la sensibilité élevée annoncée pour ce test.

Qu’en est-il des faux-négatifs ?

La sensibilité du test VIDAS, bien qu’excellente, varie entre 95-99% selon la population de patients chez qui le test est effectué.12-15 Ceci implique un taux de faux-négatifs faible ; ainsi, la probabilité de ne pas avoir une EP en présence d’un dosage de D-dimères inférieur à 500 ng/ml (valeur prédictive négative – VPN) est élevée, mais n’atteint pas les 100%. Comme mentionné, cette probabilité post-test varie en fonction de la prévalence de la maladie dans le groupe auquel appartient le patient. Ainsi, la valeur prédictive négative de ce test est excellente si on l’utilise dans une population à prévalence faible ou intermédiaire d’EP, mais diminue lorsque la prévalence d’EP augmente (tableau 3).

Tableau 3

Variation de la valeur prédictive négative (VPN) en fonction de la prévalence d’embolie pulmonaire (EP)

(Chiffres tirés de réf.4).

Ainsi, les directives actuelles 4,16 ne recommandent pas le dosage des D-dimères quand la probabilité prétest est haute, car la VPN de ce test diminue et le taux de faux-négatifs augmente (figure 1). Dans ce cas, on peut donc se fier ni à un résultat positif, car insuffisamment spécifique, ni à un résultat négatif, car la probabilité post-test demeure élevée. Il faut donc directement réaliser un CT-spiralé multibarrettes.

Figure 1

Algorithme diagnostique contemporain en présence d’une suspicion d’embolie pulmonaire

(Tirée de réf.16).

Du bon usage des stratégies diagnostiques

Pour évaluer la probabilité prétest, plusieurs scores sont à disposition, qui ont tous été validés et sont reconnus comme équivalents :4,17,18 le score de Wells,19 le score de Genève 20 et le score de Genève modifié.21,22

La probabilité prétest chez cette patiente, évaluée avec le score de Wells, est intermédiaire (trois points). Selon le score de Genève modifié (le score de Genève est inutilisable sans gazométrie à l’air ambiant), la probabilité prétest est faible : trois points, pour un rythme cardiaque entre 74 et 95/min.

Qu’en est-il de la probabilité prétest évaluée sans score ? Dans les facteurs de risque thromboembolique de cette patiente, on ne trouve que la contraception orale et le long voyage. Ces deux facteurs de risque sont considérés comme mineurs, puisque le risque relatif de chacun pour une EP est de 2-4 23,24 (contre 5-20 pour les facteurs majeurs).

Par contre, la présentation clinique est plutôt suggestive, avec une douleur thoracique de type pleurétique, de survenue brutale, de même qu’une radiographie de thorax anormale. Bien qu’une anomalie à la radiographie du thorax ne soit pas la règle dans l’EP, selon Stein et coll.,1 celles présentes (épanchement pleural gauche avec atélectasie) sont les plus fréquemment constatées chez des patients présentant une EP, par rapport à un groupe dans lequel la suspicion d’EP n’a pas été confirmée : 68% des patients avec une atélectasie ou anomalies du parenchyme pulmonaire dans le groupe EP contre 48% dans le groupe sans EP (p < 0,001) ; 48 contre 31%, respectivement, pour l’épanchement pleural (p < 0,01).

L’ensemble du tableau clinique et l’absence de diagnostic alternatif plus probable que l’EP, nous a fait osciller entre des probabilités prétest intermédiaires et hautes. L’apparente contradiction entre notre impression clinique et les recommandations en vigueur nous a poussés à répéter un test dont l’interprétation du résultat n’était pas convaincante.

Faut-il remettre en cause l’utilisation des directives ?

Si l’on reprend le raisonnement clinique dans la prise en charge initiale de cette patiente, on voit que la détermination de la probabilité prétest était correcte et a justement mené à un dosage des D-dimères. D’après ce résultat, et selon les recommandations en vigueur, les premiers médecins en charge de la patiente ont considéré que le diagnostic d’EP était écarté. A posteriori, on comprend que cette valeur faussement normale était liée à une technique de mesure insuffisamment sensible, plutôt qu’à un «faux-négatif».

Ce cas illustre bien les forces et les limites des scores et directives à notre disposition. D’un côté, ils permettent une prise en charge rationnelle, standardisée, avec une logique «coût-efficacité», ce qui est important dans une institution où les patients sont pris en charge par de multiples intervenants, aussi bien juniors que seniors.

D’un autre côté, l’application «à la lettre» des directives, sans tenir compte du sens clinique ainsi que de l’ensemble des paramètres propres à l’histoire de chaque patient, peut mener à faire fausse route. En effet, pour que l’utilisation de guidelines et de scores cliniques soit pertinente, il faut que le patient auquel on les applique se trouve dans une situation comparable à celle de la population de patients à partir de laquelle les guidelines ont été élaborées. De même, la performance des tests utilisés dans la démarche diagnostique doit être similaire à celle des tests utilisés dans les directives. ■

Implications pratiques

> L’étape-clé dans la démarche diagnostique de l’embolie pulmonaire (EP) est la détermination de la probabilité prétest d’avoir une EP

> Les scores et guidelines ne peuvent remplacer le jugement clinique

> Les outils diagnostiques que nous utilisons au quotidien donnent des réponses en termes de probabilités et non des certitudes

Auteurs

Lucile Garchery

Service de médecine de premier recours

Département de médecine communautaire et de premier recours

HUG, 1211 Genève 14

Sandrine Motamed

Département de médecine communautaire, de premier recours et des urgences HUG
Genève

Jean-Michel Gaspoz

Département de médecine interne Hôpitaux universitaires
de
Genève 1211 Genève 14

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