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ISO 690 | Nau, J., Comment au mieux vivre son agonie ?, Rev Med Suisse, 2011/292 (Vol.7), p. 934–935. DOI: 10.53738/REVMED.2011.7.292.0934 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2011/revue-medicale-suisse-292/comment-au-mieux-vivre-son-agonie |
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MLA | Nau, J. Comment au mieux vivre son agonie ?, Rev Med Suisse, Vol. 7, no. 292, 2011, pp. 934–935. |
APA | Nau, J. (2011), Comment au mieux vivre son agonie ?, Rev Med Suisse, 7, no. 292, 934–935. https://doi.org/10.53738/REVMED.2011.7.292.0934 |
NLM | Nau, J.Comment au mieux vivre son agonie ?. Rev Med Suisse. 2011; 7 (292): 934–935. |
DOI | https://doi.org/10.53738/REVMED.2011.7.292.0934 |
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«Mourir est impensable pour les bien portants, indicible pour le mourant qui suscite une ambivalente fascination. Robert W. Higgins, philosophe et psychanalyste, met en garde1 sur le fait que "l’invention du mourant" risque d’amener, insidieusement, une véritable ségrégation de celui qui va mourir des autres malades et des vivants (...).» Ces lignes sont extraites d’un texte à plusieurs égards bien dérangeant. Il est signé Dominique Senasson, psychologue clinicienne à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et il est publié dans un tout récent numéro de La Revue du Praticien Médecine Générale.2
Penser la mort est une chose. Songer à son mourir en est une autre. L’issue finale fut sans doute – durant des siècles et des siècles – une affaire qui devait tenir (dans des proportions éminemment variables) pour partie du hasard, de l’autre de la fatalité. La donne, nous rappelle Mme Senasson, a profondément changé : une fraction non négligeable des morts humaines occidentales sont devenues, à différents titres, programmables. L’échéance finale est parfois bien floue, comme dans le cas des pronostics statistiques élaborés après codification diagnostique et évaluation thérapeutique. Cette même échéance peut aussi être nettement plus précise, pour ne pas dire programmée, dans les nouveaux espaces parfois incestueux situés aux confins des activités des services de réanimation, de la réduction des budgets hospitaliers ainsi que de la diffusion de la pratique des soins palliatifs.
On pourra trouver – on trouvera avec raison – l’affaire bien paradoxale. D’un côté, les soins palliatifs nés de la lutte contre la solitude du mourant, elle-même générée par l’exclusion sociale de la mort et la médicalisation du mourir. De l’autre, la nécessité inscrite (au cœur même du projet des soins palliatifs) de s’adresser à la fois à une personne vivante et non mourante au sens où cette anticipation exercerait sur elle une violence symbolique. «L’accompagnement est entré dans la norme du soin, mais demeure éprouvant pour les soignants au regard du savoir-faire et du savoir-être des soins palliatifs, écrit Mme Senasson. Les familles trouvent difficilement leur place dans l’environnement hospitalier et peinent à gérer la mort dans la sphère privée.» Avec ce constat : «Le malade se soustrait à l’injonction de parler de la mort pour bien mourir. Il y a lieu de s’interroger sur le grand écart entre la norme construite et son application». Ou encore : «Accompagner une personne en fin de vie, lui parler, ne vont pas de soi et impliquent un travail psychologique de distanciation, qui intègre progressivement questionnement sur soi et questionnement éthique.»
Pour autant, le constat est acquis : on ne vit pas sans laisser un peu/beaucoup de soi, à vivre au bord de l’indicible. Certes le dialogue avec les proches du mourant améliore-t-il généralement la communication avec le malade. Certes une famille soulagée émotionnellement est-elle toujours plus sécurisante qu’une autre. Et sans doute des ajustements importants peuvent-ils être encore apportés au confort du malade pour ce qui est de sa nutrition et de sa mobilisation. Et puis encore ? On ne saurait éluder bien longtemps la question essentielle : mourir à l’hôpital ou mourir à la maison ? Une question toujours angoissante autant que souvent tue. Une question qui «doit être abordée explicitement avec les proches car elle fait souvent obstacle au retour à domicile ou à son maintien lorsque la famille ne se sent pas prête à assumer le décès à la maison».
Comment tenir au mieux devant l’indicible et l’impensable ? «L’accompagnement conduit les soignants au plus près des patients et de l’entourage, c’est pourquoi ils doivent eux aussi se sentir accompagnés dans cette démarche (au cas par cas) pourvoyeuse d’émotions et de tensions éthiques» écrit Mme Senasson.
Pour sa part, il y a onze années déjà, s’exprimant dans le doux centre de la France lors d’une journée consacrée aux soins palliatifs, Robert W. Higgins expliquait : «Les soins palliatifs font référence, nostalgique, au modèle ancien de l’annonce au malade, par le prêtre le plus souvent – nuntius mortis – de sa fin prochaine. Mais ce qui était annoncé au chrétien n’était pas une information pronostique, ou pas seulement. L’annonce prenait place dans toute une construction de représentations concernant l’immortalité de l’âme, le jugement, la vie dans l’au-delà, les différents lieux où vont et où sont les morts que l’on va rejoindre, les prières et intercessions des vivants…, s’insérait dans un ensemble de fictions, au sens positif du mot, qui mettait en représentations, en gestes rituels, en cérémonies, l’indicible de la mort, qui offraient à chacun un canevas, une structure permettant de donner sens à "la mort de soi", comme à "la mort de toi" dans une construction collective.»
Il ajoutait : «Nous n’en sommes plus là. L’annonce aujourd’hui n’est plus que celle d’une information médicale, scientifique qui comme telle devrait être accueillie avec "la froideur et l’objectivité" qui conviennent mais qui, là encore, risque de ne convier le mourant qu’à un face à face à nu avec l’indicible. La "griffe" scientifique, médicale, domine. La dignité par exemple n’est plus un principe mais un "état", constatable par une sorte de "diagnostic", sur un modèle médical.»
A ce stade, la question est bien lourde qui, immanquablement, renvoie aux partages des tâches et des compétences à l’approche de l’agonie. Robert W. Higgins, encore : «Je suis souvent frappé de voir chez les bénévoles un modèle "crypto-médical". Que signifie par exemple de la part de bénévoles travaillant en soins palliatifs, la volonté de s’assurer que le malade qu’on leur demande de voir "est bien un mourant" ! Et de demander parfois le dossier médical, ce qui est plus que contestable, pour "vérifier le pronostic létal" ! D’une façon plus générale, les bénévoles que j’entends dans les colloques parler de leur action, me paraissent être dans une sorte de mimétisme médical. Leur formation, qui est une bonne chose, présente d’un autre côté l’inconvénient de leur donner un statut "pseudo professionnel". (…) Je ne pense pas que les soins palliatifs doivent se réduire à n’être qu’une des variantes de mort héroïque, et médicale, que notre ultra-modernité, ou notre surhumanité propose au sujet d’aujourd’hui : se battre jusqu’au bout, offrir sa vie, ou plutôt sa "mort douce", euthanasié sur l’autel de la toute puissance contemporaine, ou bien être un modèle en "acceptant" et en parlant sa mort. Ils doivent s’ouvrir sur la société, et ne pas confisquer la mort sur une scène hospitalière, médicale et psychologique, privée, ils ne sauraient devenir "notre nouveau rituel de mort" ; pas plus que l’euthanasie.»
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