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ISO 690 | Barouti, N., Masouyé, I., Boehncke, W., Prins, C., Héparines et réactions cutanées : du diagnostic à la prise en charge, Rev Med Suisse, 2013/380 (Vol.9), p. 705–711. DOI: 10.53738/REVMED.2013.9.380.0705 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2013/revue-medicale-suisse-380/heparines-et-reactions-cutanees-du-diagnostic-a-la-prise-en-charge |
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MLA | Barouti, N., et al. Héparines et réactions cutanées : du diagnostic à la prise en charge, Rev Med Suisse, Vol. 9, no. 380, 2013, pp. 705–711. |
APA | Barouti, N., Masouyé, I., Boehncke, W., Prins, C. (2013), Héparines et réactions cutanées : du diagnostic à la prise en charge, Rev Med Suisse, 9, no. 380, 705–711. https://doi.org/10.53738/REVMED.2013.9.380.0705 |
NLM | Barouti, N., et al.Héparines et réactions cutanées : du diagnostic à la prise en charge. Rev Med Suisse. 2013; 9 (380): 705–711. |
DOI | https://doi.org/10.53738/REVMED.2013.9.380.0705 |
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The use of heparins in the prophylaxis and treatment of thromboembolic diseases shows non-negligible risks of cutaneous lesions, which are very frequently underestimated by physicians. As this risk often originates from either delayed-type hypersensitivity reactions or life-threatening heparin-induced thrombocytopenia, a quick diagnosis and an adapted management are thus crucial. Furthermore, as most cases are emergencies, allergologic testing cannot be considered in the first place. In this context, an overview of the therapeutic as well as management recommendations is presented, taking into account the most recent treatments.
L’utilisation des héparines dans la prophylaxie et le traitement des maladies thromboemboliques présente des risques non négligeables de réactions cutanées très fréquemment sous-estimés par le praticien. Ces risques provenant souvent d’hypersensibilité retardée ou de thrombocytopénie immune induite par l’héparine potentiellement mortelle, un diagnostic rapide et la mise en place de traitements adaptés sont donc primordiaux. De plus, la majorité des cas étant des urgences, l’exploration immuno-allergologique ne peut être envisagée en premier lieu. Dans ce contexte, une revue des recommandations thérapeutiques ainsi que de la prise en charge est proposée en prenant en considération les traitements les plus récents.
Les héparines sont utilisées depuis plus de 60 ans pour la prophylaxie et le traitement des maladies thromboemboliques. D’un point de vue structural, les différents types d’héparines sont composés de chaînes polysaccharidiques de longueurs et de poids moléculaires variables.1 Les héparines non fractionnées (HNF ; 3-30kDa) inhibent, via l’antithrombine, principalement les facteurs de coagulation IIa et Xa. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM ; 2-9kDa), dérivées d’HNF par dépolymérisation enzymatique ou chimique, ciblent essentiellement le facteur Xa. Quant au fondaparinux, ce pentasaccharide de synthèse correspond à la plus petite région de l’héparine induisant une activité inhibitrice du facteur Xa via l’antithrombine (figure 1).
L’administration sous-cutanée de ces différentes héparines peut induire des effets secondaires tels que des complications hémorragiques, une thrombocytopénie non immune, une ostéoporose, une alopécie, et des réactions cutanées.2 Ces dernières comportent l’hypersensibilité retardée ainsi que l’expression cutanée de la thrombocytopénie immune induite par l’héparine (TIH), qui est potentiellement mortelle.3 Ainsi, le dermatologue a un rôle majeur dans l’établissement précoce du diagnostic.
Le but de cette revue est donc de permettre d’établir le diagnostic et la prise en charge des réactions cutanées aux héparines.
L’incidence globale des réactions cutanées aux héparines est estimée à 0,2%.4 Les réactions les plus fréquentes sont les HSR (réactions allergiques de type IV) dont l’incidence s’élève à 7,5%.4,5 Les HSR se présentent comme un prurit et un érythème localisés aux points d’injection (figure 2A). Dans 3 à 10% des cas, un eczéma généralisé ou un exanthème maculo-papuleux peut se produire. Les symptômes apparaissent sept à dix jours après le début du traitement par héparines, ou en 24-48 heures en cas de sensibilisation préalable. Toutefois, des réactions cutanées d’apparition tardive, plusieurs semaines ou mois après le début du traitement anticoagulant, ont été rapportées.5 Par conséquent, le diagnostic est principalement clinique, l’analyse de la biopsie cutanée n’étant qu’une confirmation avec la mise en évidence d’une spongiose épidermique et d’un infiltrat lymphocytaire dermique périvasculaire, principalement CD4+, associé à des polynucléaires ésosinophiles et neutrophiles (figure 2B).
Les HSR peuvent être favorisées par plusieurs facteurs de risque, tel le haut poids moléculaire des héparines. Ainsi, le fondaparinux, de très faible poids moléculaire, n’induit qu’une réaction limitée dans moins de 1% des cas,6 alors que les héparines de haut poids moléculaire augmentent significativement ce risque (1 à 40%).7 D’autre part, la procédure de production des HBPM peut être un facteur de risque ; par exemple, l’énoxaparine et la nadroparine induisent respectivement 4 et 17% de HSR.4 De plus, le jeune âge, le sexe féminin, un IMC > 30 ou un traitement de longue durée (par exemple, chez les femmes enceintes)8 sont d’autres facteurs de risque bien établis.4,5
La thrombocytopénie est certes une complication rare du traitement aux héparines, avec une incidence de 0,1-5%. Cependant, pour les HNF, l’incidence est dix fois plus élevée qu’avec les HBPM. De plus, cette complication est à considérer, dans tous les cas, avec attention, car un risque vital existe dans 20 à 30% des cas. En effet, les héparines peuvent créer un complexe avec le facteur 4 plaquettaire (F4P) qui déclenche alors la formation d’anticorps IgG.9 Le complexe immun ainsi formé se lie au récepteur FcγRIIa des thrombocytes et promeut d’une part une thrombose par agrégation plaquettaire et, d’autre part, une thrombocytopénie provenant d’une élimination prématurée des plaquettes circulant par le système des phagocytes mononucléés (figure 3). Ainsi, peuvent se produire des thromboses associées à une thrombocytopénie de plus de 50% avec des valeurs atteignant 20 G/l.
Ce mécanisme se produit dans les cinq à quatorze jours après le début du traitement ou en 24-48 heures si une sensibilisation préalable existe. En cas de prise discontinue d’héparine, une TIH peut survenir après trois semaines de traitement dans 5% des cas.7
La manifestation clinique la plus fréquente de la TIH est la thrombose artérielle ou veineuse (ratio de 1/4) qui s’élève entre 35 et 75%. Les lésions cutanées s’observent dans 10 à 20% des cas et se caractérisent par un placard infiltré érythémateux aux sites d’injection et rarement à distance.1 Ces lésions, qui ne peuvent être différenciées de celles d’une HSR en début du traitement, évoluent rapidement en une nécrose centrale qui oriente le diagnostic (figure 2C). L’examen histologique cutané montre des thromboses des vaisseaux dermiques avec une nécrose dermique et épidermique secondaire (figure 2D).
Les réactions anaphylactoïdes, telles que fièvre, tachycardie, hypertension, dyspnée et arrêt cardio-pulmonaire, représentent quant à elles 5% des patients avec une TIH.
Outre les TIH immunologiques, existent des TIH non immunologiques. Ces dernières sont certainement dues à un effet direct de l’héparine sur l’activation des plaquettes. Cette forme montre une diminution modérée (10-30% ou 100 G/l) de la thrombocytopénie dans les deux premiers jours de traitement et une normalisation dans les trois à quatre jours suivants malgré la continuation du traitement à l’héparine, sans symptôme clinique associé.7
D’autres réactions cutanées ont été décrites, telles qu’une urticaire, une pustulose, une nécrose non liée à la TIH de pathogenèse inconnue, une bullose hémorragique, un «syndrome de babouin», une nécrolyse épidermique toxique (syndrome de Lyell), une vasculite sur complexe immun circulant et une calcinose cutanée.7 Toutefois, toutes ces réactions restent très rares, probablement grâce à une optimisation de la procédure de purification, l’absence d’additifs ou de conservateurs et aux propriétés anti-inflammatoires des héparines.
En raison de la fréquence des lésions cutanées, une inspection systématique et journalière des sites d’injection est recommandée, en particulier chez les patients présentant des facteurs de risque identifiés. Le diagnostic entre une HSR et une TIH repose sur un faisceau de critères, résumés dans le tableau 1. Une distinction clinique entre TIH et HSR peut s’avérer difficile en début de traitement en raison d’une réaction cutanée érythémateuse précoce identique.1 Par contre, les éléments cutanés distinctifs sont la nécrose dans les cas de TIH alors que le prurit et la desquamation, avec une généralisation secondaire, sont observés chez les patients souffrant de HSR.7 L’apparition de réactions cutanées après 28 jours de traitement est plutôt en faveur d’une HSR, excepté dans 3 à 5% des cas où une TIH tardive peut être diagnostiquée.
Etant donné la difficulté de l’établissement du diagnostic de TIH à partir des seuls éléments cliniques, le calcul d’un score de probabilité prétest clinique 4T est recommandé10 (tableau 2). Ce test vise à quantifier : 1) l’importance de la thrombocytopénie ; 2) sa durée ; 3) les complications thromboemboliques et 4) à exclure d’autres causes de thrombocytopénie.
Vu sa valeur prédictive négative élevée (99,8%) si le score du test 4T est inférieur à 4 (sur une échelle de 0 à 8), on peut exclure d’emblée une TIH sans besoin d’effectuer d’autres tests diagnostiques.11 Par contre, chez les patients avec un score supérieur à 4, l’héparine doit être immédiatement remplacée par un anticoagulant alternatif sans attendre les résultats de tests de laboratoire. Dans ce contexte, un dosage des plaquettes avant l’introduction de l’héparine puis pendant la période cruciale de survenue des TIH, soit entre le quatrième et le quatorzième jour, est préconisé. En cas de nécrose cutanée, un dosage immunologique du F4P est recommandé.
La biopsie cutanée est nécessaire dans les cas où les éléments cliniques ne sont pas concluants, la visualisation des microthromboses permettant de confirmer une TIH dans ce contexte.
Les héparines non synthétiques étant extraites d’intestins de porc ou de poumons de bœuf, celles-ci peuvent induire une sensibilisation observable tant sous traitement d’HNF que d’HBPM.5 Bien que l’épitope antigénique responsable de cette réaction ne soit pas encore déterminé, le faible potentiel allergique du fondaparinux suggère que cet épitope ne se situe pas dans la séquence du pentasaccharide.6
Actuellement, aucun test allergologique ciblant les réactions cutanées allergiques de type 1 aux héparines n’est formellement établi. Les prick tests montrent en général des résultats faux positifs et non corrélés aux réactions d’hypersensibilité immédiate.12 De plus, ces tests augmentent la probabilité d’induire une sensibilisation, ce qui contre-indique fortement l’exploration immuno-allergique dans les TIH. Si nécessaire, les tests sont à considérer seulement six semaines après la disparition de toutes les lésions et lorsque la TIH est exclue.
D’autre part, le test de prolifération lymphocytaire peut être une technique complémentaire adaptée au diagnostic des HSR, en particulier chez les patients présentant un facteur de risque ou pour identifier une éventuelle allergie croisée. Le risque inhérent aux allergies croisées est un facteur à fortement considérer étant donné que, toutes réactions confondues, ce risque est d’environ 70% pour les HNF et HBPM mais de seulement de 10,4% pour le fondaparinux.13 Il est à noter que l’anticoagulant alternatif non héparinique et danaparoïde (composé d’une combinaison d’héparan sulfate, dermatan sulfate et chondroïtine sulfate) montre également un risque de réaction croisée de 70% avec les héparines.14
Dans le cas d’une suspicion de TIH, les patients doivent être immédiatement traités par un anticoagulant alternatif tel que le danaparoïde ou le bivalirudin7 (figure 4). Les HNF IV sont formellement contre-indiquées. Dans le cas d’exclusion de TIH et d’impossibilité d’interrompre le traitement d’anticoagulant, le fondaparinux ou des HNF en IV peuvent être proposés. Les nouveaux traitements oraux tels que l’inhibiteur de la thrombine (dabigatran) et les inhibiteurs des facteurs Xa (edoxaban, pas encore commercialisé en Suisse, rivaroxaban et apixaban) peuvent aussi être utilisés tout en ayant actuellement des indications très limitées.15 En ce qui concerne les HNF, l’approche IV plutôt que sous-cutanée semble réduire les risques allergiques en raison des différences immunologiques des compartiments cutanés et sanguins. Toutefois, un traitement symptomatique par des dermocorticoïdes de classe III ou IV, associé ou non à des antihistaminiques, peut compléter la prise en charge.
Concernant les femmes enceintes, le danaparoïde est le composé de première intention de par l’absence de passage de la barrière placentaire et de fœtotoxicité. Toutefois, en raison du risque de réaction croisée entre les HBPM et le danaparoïde,8,14 l’HNF IV ou le fondaparinux peuvent être un traitement de choix tout en sachant qu’il s’agit d’une indication off-label.16
Face à une réaction cutanée aux héparines, l’élément primordial du diagnostic consiste à déterminer l’implication ou non d’une TIH. La similitude des critères cliniques avec ceux de l’HSR présente une difficulté certaine qui peut être compensée par des tests complémentaires tels que le calcul du score 4T, voire des analyses histologiques. L’exploration immuno-allergologique est rarement réalisable en phase aiguë en raison de la nécessité de l’héparino-thérapie dans les traitements d’urgence de maladies thromboemboliques.
En cas d’HSR aux héparines sous-cutanées, le fondaparinux est l’alternative de première intention étant donné sa faible probabilité de réactions croisées. De nouveaux traitements oraux tels que le dabigatran, le rivaroxaban et l’apixaban ont le potentiel de devenir des alternatives thérapeutiques communes à l’HSR et à la TIH.15 Ainsi, l’avenir verra le panel d’options thérapeutiques élargi et adapté aux différents cas de réactions cutanées aux héparines.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec cet article.
Les données utilisées pour cette revue ont été identifiées par une recherche Medline des articles publiés en anglais ou en français depuis 1952 dans le domaine des réactions cutanées aux héparines. Les articles ont été inclus dans la liste des références s’ils présentaient une approche originale pour chacune des sections principales de la revue ou couvraient les sujets suivants : héparines, réactions cutanées, mécanismes d’hypersensibilité retardée, thrombocytopénie induite par l’héparine. Les mots-clés principaux utilisés pour la recherche étaient «heparin», «skin», «heparin-induced thrombocytopenia», «hypersensitivity» et «allergy».
> Face à une réaction cutanée aux héparines, l’élément primordial du diagnostic consiste à déterminer l’implication ou non d’une thrombocytopénie immune induite par l’héparine (TIH)
> En cas de TIH, toutes les héparines, non fractionnées ou de bas poids moléculaire, sont contre-indiquées. Un traitement par danaparoïde est recommandé
> En cas d’hypersensibilité retardée aux héparines sous-cutanées (héparines non fractionnées et de bas poids moléculaire), le fondaparinux est l’alternative de première intention étant donné sa faible probabilité de réactions croisées avec les héparines de bas poids moléculaire
> Pour les femmes enceintes devant recevoir une anticoagulation, le danaparoïde est le traitement de choix. En cas de réaction cutanée, le fondaparinux est recommandé, même s’il s’agit d’une indication off-label
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