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ISO 690 Janett-Pellegri, C., Cantin, B., Pronostic : prophétie ou bonne pratique médicale ?, Rev Med Suisse, 2017/548 (Vol.13), p. 302–306. DOI: 10.53738/REVMED.2017.13.548.0302 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2017/revue-medicale-suisse-548/pronostic-prophetie-ou-bonne-pratique-medicale
MLA Janett-Pellegri, C., et al. Pronostic : prophétie ou bonne pratique médicale ?, Rev Med Suisse, Vol. 13, no. 548, 2017, pp. 302–306.
APA Janett-Pellegri, C., Cantin, B. (2017), Pronostic : prophétie ou bonne pratique médicale ?, Rev Med Suisse, 13, no. 548, 302–306. https://doi.org/10.53738/REVMED.2017.13.548.0302
NLM Janett-Pellegri, C., et al.Pronostic : prophétie ou bonne pratique médicale ?. Rev Med Suisse. 2017; 13 (548): 302–306.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2017.13.548.0302
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soins palliatifs
1 février 2017

Pronostic : prophétie ou bonne pratique médicale ?

DOI: 10.53738/REVMED.2017.13.548.0302

The issue of prognostication is seldom approached in medical education, even though it represents an important question for the patients. Clinical assessment alone is inaccurate and systematically over-optimistic, especially if the question is formulated in temporal terms (how long will the patient live ?). The inaccuracy augments if the doctor has known the patient for a long time. However, other ways of addressing the question exist, and several validated clinical tools are available to improve the accuracy of the prognosis. The patients’ self-rating and the evaluation by the nursing staff should also be considered as valuable information.

Résumé

L’aspect pronostique est souvent peu thématisé dans la formation mais reste une question fréquente de la part des patients. L’évaluation clinique seule, surtout si approchée avec une question temporelle (combien de temps le patient va-t-il encore vivre ?) est très peu précise et systématiquement optimiste, surtout de la part des médecins qui connaissent bien le patient. Il existe cependant d’autres manières d’aborder la question ainsi que des outils cliniques validés permettant d’étayer une impression clinique. Le ressenti du patient lui-même ainsi que l’évaluation de la part des soignants sont également des éléments à considérer.

Introduction

Les décisions médicales et les choix des patients, surtout dans le contexte palliatif, sont souvent pris en fonction du pronostic présumé. Sur cette notion sont construits des projets de fin de vie, organisés des retours à domicile, effectués des retraits thérapeutiques ou des propositions de traitement. Mais savons-nous de quoi nous parlons ? Sommes-nous conscients du réel impact que les erreurs d’évaluation peuvent avoir sur le patient et son entourage ? Est-ce que nous nous trompons ?

Éthique et pronostic

L’aspect pronostique est peu abordé dans la formation médicale, qu’elle soit pré ou postgraduée, bien que cela représente une partie non négligeable de notre pratique quotidienne. L’évitement touche les deux aspects du processus pronostique : la formulation « silencieuse » d’une hypothèse pronostique par le médecin (foreseeing) et la communication de celle-ci au patient et à son entourage (foretelling). Il ne s’agit donc pas seulement d’une communication insuffisante ; souvent la réflexion pronostique n’est même pas amorcée.

Plusieurs hypothèses sur les causes de cet évitement ont été émises dans la réflexion bioéthique sur le pronostic : 1 une difficulté objective du pronostic avec erreurs fréquentes, un haut degré d’incertitude, des conséquences affectives et organisationnelles pour les patients et leurs familles, un côté émotionnel complexe sous-jacent à la demande, une angoisse de mort cachée tant du côté du patient que de celui du médecin. Un phénomène appelé self-fulfilling prophecy, c’est-à-dire l’hypothèse selon laquelle l’annonce pronostique peut influencer le devenir même du patient, est également identifié comme un frein potentiel. Pas moins importante est la dichotomie (consciente ou inconsciente) entre traitement et pronostic, entre ce qui est curatif et ce qu’il ne l’est plus, entre certitude et incertitude, entre vie et mort.

Dans ce contexte délicat la question se pose : est-il éthique de pronostiquer ? La bioéthique actuelle se partage entre ceux qui identifient le pronostic comme un devoir moral et une partie intégrante de la pratique médicale2 et ceux pour qui il représente une volonté non justifiable de prédire et contrôler le futur ainsi qu’un obstacle à la qualité des soins.3

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Considérons le fait qu’il soit éthique de donner un pronostic. Concrètement, sur quoi se basent ces propos ?

Hétéro-évaluation

Médecins

Nous savons aujourd’hui que l’évaluation clinique du médecin (l’impression fondée sur l’expérience) est très imprécise et biaisée par un optimisme excessif. Une étude prospective a examiné les pronostics cliniques de 343 médecins de plusieurs spécialités pour 468 patients palliatifs.4 Un cinquième seulement des pronostics sont jugés comme précis et deux tiers sont trop optimistes. En moyenne, la survie estimée excède d’un facteur 5 la survie réelle.

D’autres faits ressortent de la littérature sur le sujet :5

  • Mieux le médecin connaît le patient, moins il est précis.

  • La spécialité du médecin n’influence pas la précision du pronostic (y compris celle en soins palliatifs !).

  • Des données contradictoires concernent l’expérience clinique comme facteur de précision pronostique.

  • La survie intermédiaire (semaines) est la plus difficile à prévoir par rapport au très court (jours) et au long (mois) terme.

A noter que la simple formulation de la question pronostique influence sa précision (tableau 1). Trois façons d’aborder le sujet ont été étudiées : la question temporelle (Combien de temps le patient va-t-il encore vivre ?), la question-surprise (Serai-je surpris si le patient était encore en vie dans 1 an, 3 mois, 1 semaine ?) et finalement la question probabiliste (Quelle est la probabilité que le patient soit encore en vie dans… ?). La question temporelle est la plus utilisée et intuitive mais également la moins précise. Elle est également la plus émotionnellement chargée pour le patient comme pour le soignant, avec la définition d’un compte à rebours dont il est difficile de se détacher. Selon notre expérience, elle est à éviter autant que possible. Les effets psychologiques auprès des patients et de leurs familles, notamment lors de pronostics erronés, n’ont pas été étudiés formellement mais peuvent être bouleversants. La question-surprise, créée à l’origine pour l’identification des patients palliatifs, a été validée à une année avec de bonnes sensibilité et spécificité (respectivement 80–90 % et 70–90 % selon les études). Elle devient, cependant, moins spécifique à une semaine et trois mois.6 La question probabiliste est de loin la plus précise, surtout à très court (< 48 heures) et long (> 3 mois) termes, mais l’interprétation d’un pourcentage reste difficile et ambiguë pour les différents interlocuteurs, avec d’amples possibilités de malentendus.7

Tableau 1

Types de questions concernant le pronostic

Infirmiers (ères)

Peu de littérature concerne l’évaluation pronostique de la part du personnel infirmier. Néanmoins, une étude de 2011 avec une cohorte de 151 patients oncologiques, 8 médecins et 20 infirmières,7 a comparé la précision des évaluations médicale et infirmière. Cette dernière était supérieure à l’estimation médicale dans le court terme, avec une inversion lors d’une survie dépassant le mois. Un résultat qui pourrait être lié au temps de présence au lit du malade avec une meilleure perception des signes de mort imminente.

Autoévaluation

Le concept d’autoévaluation pronostique est peu considéré dans la pratique clinique : mais sait-on quelle est la valeur du ressenti du patient, protagoniste du processus pronostique ?

Une étude prospective, 9 menée en 2002 sur une cohorte de 181 patients oncologiques ambulatoires, a examiné le lien entre la mortalité et l’autoévaluation de l’état de santé, évaluée avec la réponse à la question « En général, jugeriez-vous votre état de santé comme excellent, très bon, bon, moyen ou mauvais ? ». Le résultat est surprenant : comparé à d’autres outils pronostiques, l’autoévaluation est nettement plus précise. A 18 mois, par rapport au groupe « excellent / très bon / bon », le groupe « moyen » a un risque relatif de décès double, et le groupe « mauvais pronostic » quadruple. Cette idée est reprise dans des études récentes pour différentes populations de patients non oncologiques ;10 les résultats confirment que l’autoévaluation est un facteur prédictif indépendant.

La perception du patient, capable d’intégrer de façon plus ou moins consciente la totalité des informations sur l’évolution de sa maladie, pourrait donc être adoptée dans le futur comme élément de valeur de l’évaluation pronostique. Ceci aurait l’avantage de partir de la perception propre du patient, de stimuler son autoréflexion et de l’inviter à partager son ressenti, ses craintes et ses espoirs.

Outils

Plusieurs outils ont été créés au fil du temps pour essayer de corriger l’imprécision de l’évaluation clinique. Le premier outil développé évaluant la performance du patient est l’Index de Karnofsky, créé en 1948 pour estimer la probabilité de survie à un traitement de chimiothérapie. L’idée d’évaluer la capacité « fonctionnelle » du patient (activités quotidiennes, alimentation, mobilité, cognition) a été par la suite reprise dans d’autres échelles plus spécifiquement pronostiques.

Parmi plusieurs outils existants, trois sont résumés ci-après. Ils ont été étudiés et validés dans différentes populations de patients palliatifs, avec une précision comparable.11

Palliative Performance Scale (PPS) (tableau 2)

Tableau 2

Palliative Performance Scale (PPS)

  • Outil : développé en 1996 par Anderson et coll. au Canada, le PPS est une adaptation de l’Index de Karnofsky avec une valeur pronostique qui a été validée dans plusieurs populations de patients oncologiques et non oncologiques, ambulatoires et hospitalisés. Une méta-analyse de 200712 trace la survie médiane pour chaque valeur, allant de 2 jours pour un PPS de 10 % à 78 jours pour un PPS de 70 %.

  • Avantage : simplicité d’utilisation

  • Limite : valeur pronostique non établie d’un PPS élevé (80–100 %)

Palliative Prognostic Index (PPI) (tableau 3)

Tableau 3

Palliative Prognostic Index (PPI)

Précision à 3 sem. (cut-off > 5) :11 sensibilité 74%; spécificité 67%; VPP 68%; VPN 73%; accuracy 70,3%.

  • Outil : développé au Japon en 1999 par Morita et coll., le PPI intègre le PPS et autres éléments cliniques (alimentation, œdèmes, dyspnée, état confusionnel). Originalement créé pour une population oncologique japonaise, il a été validé en 2013 pour les patients non oncologiques et dans différents settings (ambulatoires également) dans une grande étude multicentrique en Espagne.14

  • Avantage : idem que pour le PPS

  • Limite : redondance de certains items

Palliative Prognostic Score (PaP) (tableau 4)

Tableau 4

Palliative Prognostic Score (PaP)

  • Outil : créé lors d’une étude multicentrique italienne par Pirovano et coll. en 1999, le PaP intègre des éléments cliniques (dyspnée, anorexie) à des valeurs biologiques (leucocytes totaux, pourcentage de lymphocytes). Selon les résultats, le patient est assigné à un des trois groupes de mortalité à 30 jours (> 70 %, 30–70 %, < 30 %). Adapté à des populations oncologiques et non oncologiques, ambulatoires et hospitalisées.

  • Avantage : précision plus importante que les PPS et PPI.

  • Limite : nécessité d’une prise de sang.

Peu d’études se sont concentrées sur le pronostic des maladies non oncologiques à haute mortalité (insuffisance cardiaque, démence), et une validation supplémentaire est nécessaire à ces outils.15

Conclusions

Le domaine du pronostic est complexe et les implications pour les patients et leurs familles peuvent être conséquentes. Les représentations, les croyances, les craintes liées au pronostic et à son incertitude sont présentes tant du côté des patients que de celui des soignants, mais ceci reste encore peu thématisé.

Nous avons aujourd’hui la certitude que notre évaluation est approximative et régulièrement trop optimiste, surtout si nous réfléchissons en termes temporels (combien de temps encore ?). Nonobstant, des formulations différentes de la question pronostique ainsi que des outils cliniques validés peuvent étayer notre impression subjective dans certaines situations, malgré une imprécision établie. Associer plusieurs approches pourrait contribuer à ce que le pronostic s’éloigne du domaine de la prophétie (avec des effets potentiellement dévastateurs) en s’approchant plus d’une pratique médicale appropriée.

Conflits d’intérêts:

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

Implications pratiques

▪ Un pronostic mal donné (ou faux) peut occasionner des traumatismes importants auprès de la personne concernée et de son entourage

▪ Certains outils évaluant le pronostic basé sur la capacité fonctionnelle peuvent être d’une grande aide

▪ L’évaluation pronostique par le personnel infirmier permet d’être plus précis pour le court terme

▪ L’autoévaluation pronostique par la personne atteinte dans sa santé facilite l’échange et le partage d’un ressenti

Auteurs

Camilla Janett-Pellegri

Service de soins palliatifs, HFR Fribourg
1752 Villars-sur-Glâne
camilla.janett-pellegri@h-fr.ch

Boris Cantin

Hôpital fribourgeois, Centre de soins palliatifs
1752 Villars-sur-Glâne
boris.cantin@h-fr.ch

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