Les erreurs innées du métabolisme (EIM) sont dues à des mutations de gènes codant pour des enzymes du métabolisme et sont classées selon trois grands groupes de maladies : 1) intoxications ; 2) déficit énergétique et 3) déficit de synthèse ou catabolisme des maladies complexes. Le progrès thérapeutique des vingt dernières années a permis d’améliorer le pronostic des enfants atteints d’EIM. Ces enfants grandissent et doivent être pris en charge à l’adolescence et à l’âge adulte par des équipes spécialisées. Cette médecine métabolique pour adultes est une discipline relativement nouvelle avec une information limitée chez l’adulte. Les recommandations pédiatriques sont extrapolées à la prise en charge des adultes tout en intégrant les différentes étapes de vie (indépendance sociale, grossesse, vieillissement et éventuelles complications tardives).
Les erreurs innées du métabolisme (EIM) sont dues à une dysfonction d’une enzyme impliquée dans le métabolisme cellulaire. On distingue trois groupes principaux : les maladies par intoxication, celles par déficit énergétique et celles par déficit de synthèse ou de catabolisme des molécules complexes (tableau 1). Les EIM constituent environ un tiers des maladies génétiques d’étiologie connue. Environ 500 maladies différentes sont répertoriées, représentant une incidence globale comprise entre 1 : 20001 et 1 : 4000.2 Jusqu’à récemment, les EIM étaient du ressort des pédiatres en raison du faible taux de survie de ces patients. Cependant, le diagnostic et la prise en charge des EIM ont connu des avancées significatives au cours de la dernière décennie, avec pour conséquence une amélioration considérable du pronostic de ces maladies. Ces progrès ont été rendus possibles grâce à une meilleure compréhension de la physiopathologie des EIM. Ils ont permis : 1) le développement de nouveaux médicaments tels que les épurateurs limitant l’accumulation d’ammoniaque, les thérapies chaperonnes pour des déficiences enzymatiques partielles ou l’enzymothérapie substitutive pour certaines maladies lysosomales ; 2) une pratique plus courante des greffes d’organe ; 3) l’amélioration du support nutritionnel ainsi que 4) une prise en charge plus efficace des décompensations métaboliques aiguës. Puisque ces patients peuvent vivre maintenant jusqu’à des âges avancés, la formation de médecins de l’adulte dans ce domaine et le développement de services spécialisés en EIM pour les adultes sont devenus une nécessité. Cette évolution clinique plus favorable des patients atteints d’EIM s’accompagne d’une diversification du spectre clinique des pathologies et l’apparition de multiples complications et problématiques non présentes à l’âge pédiatrique. Ces spécificités des EIM de l’âge adulte représentent un défi majeur pour les médecins de l’adulte au moment de la transition des patients.3–5
L’objectif de cet article est de présenter le modèle de transition enfants-adultes avec EIM que nous avons développé au CHUV en 2013, en l’illustrant de quelques cas emblématiques des grands groupes d’EIM.
Le Centre des maladies moléculaires (CMM) du CHUV, anciennement appelé «pédiatrie moléculaire», assurait en 2003 un suivi de 39 patients atteints de 25 EIM répertoriées ; il disposait de trois thérapies enzymatiques et cinq tests moléculaires. En 2013, le CMM a pris en charge 250 patients, dispose de neuf thérapies enzymatiques et 200 tests moléculaires, soit une croissance remarquable de son activité. Parmi ces patients, 45 sont aujourd’hui devenus des adultes. On estime que dans dix ans, le nombre de patients adultes avec EIM aura dépassé celui des patients pédiatriques. Pour répondre à cette évolution, le CMM a renforcé son équipe en 2013 avec deux médecins de l’adulte formés en EIM.
La réunion au sein du CMM de pédiatres, médecins spécialistes de l’adulte, diététiciennes spécialisées en EIM, une infirmière de coordination et une assistante sociale permet une collaboration étroite entre ces praticiens. L’équipe du CMM s’appuie également sur un réseau de spécialistes d’organes identifiés qui acquièrent progressivement l’expérience des complications spécifiques aux EIM. La transmission du dossier médical de la consultation pédiatrique à celle de l’adulte se fait avant le transfert du patient. Ce dernier rencontre plusieurs fois le spécialiste adulte, conjointement avec le pédiatre au sein de l’infrastructure pédiatrique, à partir de l’âge de 16 ans. Le patient est ensuite transféré dans le Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme adulte du CHUV, et la continuité du suivi assurée par le spécialiste adulte dont l’activité est à cheval entre les deux secteurs.
Un mandat de médecine hautement spécialisée pour les EIM en Suisse romande a été attribué au CMM du CHUV, avec fonction de «leading-house» pour la consultation EIM pédiatrique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG ; Dr I. Kern). La collaboration étroite entre les deux équipes assure le même niveau de soins spécialisés sur les deux sites. Par ailleurs, les données des patients des deux sites sont réunies dans un registre centralisé. En 2015, la consultation de transition enfants-adultes sera étendue aux HUG selon le même modèle. La figure 1 montre la répartition des patients adultes en fonction de leur pathologie.
La PCU est dépistée à la naissance et son incidence en Suisse est de 1 : 8000 (www.neoscreening.ch). L’hyperphénylalaninémie est due à un déficit en phénylalanine hydroxylase dont la fonction est l’hydroxylation de la phénylalanine en tyrosine en présence d’un cofacteur, la BH4. Il s’ensuit une accumulation de phénylalanine ainsi qu’un déficit en tyrosine, précurseur de certains neurotransmetteurs (figure 2). Non traitée, l’hyperphénylalaninémie provoque chez l’enfant un retard sévère du développement psychomoteur. Le traitement repose sur un apport contrôlé en phénylalanine («régime PCU», pauvre en protéines naturelles) afin de maintenir son taux sanguin dans des limites non toxiques (120-300 μmol/l)6 et permettre un développement cérébral normal.
L’objectif du maintien du régime PCU à l’âge adulte a pour but la prévention d’éventuels troubles neuropsychologiques tardifs.7 Cependant, un tel régime est astreignant et nécessite des ressources financières que parfois le patient ne peut assumer. En Suisse, l’assurance invalidité couvre l’intégralité des coûts de ces traitements (mélanges d’acides aminés, compléments en vitamines, minéraux et oligoéléments) jusqu’à l’âge de 20 ans. Or, les assurances-maladie ne prennent en charge que partiellement, voire pas du tout, les coûts des produits diététiques indispensables à la poursuite du traitement chez les adultes. Dans ce contexte, un nombre considérable de patients adultes renoncent au régime. En revanche, la prise en charge des grossesses des patientes PCU est capitale en raison du risque élevé d’embryopathie phénylcétonurique (microcéphalie, retard mental, cardiopathie congénitale). Afin de réduire ces risques, le régime PCU doit être prescrit avant la conception et maintenu jusqu’à l’accouchement avec une phénylalanine cible <360 μmol/l.
Il s’agit d’une anomalie du métabolisme du galactose, dépistée à la naissance, et dont l’incidence est estimée entre 1 : 40 000 et 1 : 60 000 (forme classique sévère) dans les pays occidentaux. Elle est liée à un déficit en galactose-1-phosphate uridyltransférase, responsable d’une accumulation de galactose-1-phosphate (Gal-1-P), avec pour conséquence chez le nouveau-né le risque de développer une cataracte et des atteintes hépatique, rénale et cérébrale. Ces manifestations, potentiellement mortelles, sont néanmoins réversibles dès la mise en place d’un régime sans galactose. Malgré un régime d’exclusion bien conduit et des paramètres biologiques dans la cible (par exemple, Gal-1-P),8 les données longitudinales révèlent que le jeune adulte développe certaines complications telles que des troubles de l’apprentissage (du retard de langage à l’analphabétisme), une atteinte neurologique tardive (tremor, dysarthrie, ataxie cérébelleuse et dystonie), une insuffisance ovarienne prématurée (IOP) chez la femme, ainsi qu’une ostéopénie, voire une ostéoporose.9,10
A notre consultation, nous effectuons un monitoring des organes cibles 1-2 x/an (évaluation du status osseux, mesure de l’axe gonadotrope, suivi du taux de Gal-1-P et contrôle ophtalmologique). Bien que maintenu à l’âge adulte, le régime est néanmoins partiellement libéralisé, avec essentiellement l’exclusion simple du lactose. En cas d’IOP, la patiente est mise sous substitution œstroprogestative et adressée à la consultation de la fertilité. Parmi les cinq patients adultes que nous suivons, trois patientes ont développé une IOP malgré un régime bien suivi. Trois patients ont des valeurs de densitométrie dans les limites inférieures de la norme, et ce malgré une substitution en calcium et vitamine D, et des taux de 25-OH vitamine D plasmatiques dans la norme. Trois patients présentent des troubles du comportement et souffrent de retrait social (tableau 2). Tous ont néanmoins un taux de Gal-1-P dans la cible (<5 mg/dl).
L’OTC est le déficit du cycle de l’urée (urea cycle defects (UCD)) le plus fréquent, avec une incidence estimée à 1 : 14 000 naissances. L’hyperammoniémie qui résulte du blocage enzymatique est responsable des signes d’intoxication cérébrale. En cas de stress métabolique (période néonatale, infection, état fébrile, maladie intercurrente, chirurgie), le catabolisme protéique est accru, ce qui favorise une décompensation aiguë. On distingue des formes néonatales sévères, qui mettent en jeu le pronostic vital, des formes à révélation tardive, qui peuvent survenir à tout âge. Le traitement en urgence de la décompensation aiguë consiste à éliminer les métabolites neurotoxiques par une épuration endogène et/ou exogène, et à limiter leur formation par un contrôle des apports en précurseurs toxiques et le rétablissement de l’anabolisme. En dehors des épisodes aigus, le patient est sous régime contrôlé en protéines avec complément éventuel en acides aminés.11 La grossesse ne s’avère pas être une période particulièrement difficile à gérer, en raison des mécanismes physiologiques tendant à l’anabolisme. En revanche, le post-partum comporte un risque accru de décompensation hyperammoniémique. Nous suivons trois patientes adultes OTC, dont l’une est une femme active qui n’a plus présenté de crises hyperammoniémiques depuis plus de cinq ans. La deuxième est étudiante au gymnase et fut hospitalisée à plusieurs reprises pour des décompensations hyperammoniémiques à la faveur de stress métabolique et d’écarts de régime. Sa prise en charge fut renforcée par un soutien psychothérapeutique afin de l’aider à mieux appréhender cette maladie chronique. La troisième est totalement asymptomatique, sans régime particulier, et n’a présenté qu’un épisode de décompensation hyperammoniémique après un geste chirurgical à l’âge de 36 ans. Cette évolution favorable s’explique par la présence d’une activité OTC résiduelle.
Le suivi des EIM, considéré encore récemment comme une spécialité purement pédiatrique, concerne dorénavant également la médecine adulte et les spécialistes. Le relais médical à l’âge adulte des patients pédiatriques est devenu un enjeu important de la prise en charge des EIM. La méconnaissance de ces maladies par les médecins de l’adulte a nécessité la mise sur pied d’une formation spécifique en EIM de l’adulte, ce qui en fait une spécialité nouvelle et exploratoire. La présentation clinique de ces maladies et leur prise en charge diffèrent grandement selon qu’il s’agisse d’une maladie par intoxication, ou par carence énergétique, ou encore d’une maladie du métabolisme des molécules complexes. La transition enfants-adultes du suivi médical, période délicate dans la vie de ces patients, nécessite un partenariat solide entre pédiatres, spécialistes de l’adulte, diététicien(ne)s, infirmier(ère)s et assistant(e)s sociaux (sociales) qui, au CHUV, sont réunis au sein d’un même centre de compétence. A l’âge adulte, la prise en charge initiée en pédiatrie doit être poursuivie, tout en l’adaptant à l’évolution des besoins et contingences du patient adulte. Un suivi multidisciplinaire et longitudinal des patients atteints d’EIM s’avère essentiel pour caractériser l’histoire naturelle de ces pathologies à l’âge adulte, et pour la mise en place d’interventions thérapeutiques efficaces et innovantes (thérapies moléculaires, molécules chaperonnes, enzymothérapies substitutives) sur le long terme.
> La prise en charge adulte du patient avec phénylcétonurie repose sur le maintien du régime pauvre en phénylalanine
> En raison du risque d’embyopathie phénylcétonurique, un taux cible de phénylalanine l 360 μmol/l avant la conception et maintenu jusqu’à l’accouchement est préconisé chez les patientes avec phénylcétonurie
> Chez les patients adultes avec galactosémie classique, un monitoring des organes cibles (axe gonadotrope, os et système nerveux central) est préconisé en raison du risque d’insuffisance ovarienne prématurée, ostéoporose et troubles neurologiques
> La décompensation hyperammoniémique en cas de maladie du cycle de l’urée est une urgence vitale qui, en l’absence de prise en charge immédiate et spécifique, peut conduire à des séquelles neurologiques irréversibles, voire à un coma et/ou au décès
Inborn errors of metabolism (IEM) are due to mutations of genes coding for enzymes of intermediary metabolism and are classified into 3 broad categories : 1) intoxication, 2) energy defect and 3) cellular organelles synthesis or catabolism defect. Improvements of therapy over these last 20 years has improved prognosis of children with IEM. These children grow up and should have their transition to specialized adult care. Adult patients with IEM are a relatively new phenomenon with currently only limited knowledge. Extrapolated pediatric guidelines are applied to the adult population taking into account adult life stages (social independence, pregnancy, aging process and potential long-term complications).