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ISO 690 Buclin, T., Biollaz, J., DTC : nouvel essor pour un ancien dopant, Med Hyg, 2004/2476 (Vol.62), p. 677–681. DOI: 10.53738/REVMED.2004.62.2476.0677 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2004/revue-medicale-suisse-2476/dtc-nouvel-essor-pour-un-ancien-dopant
MLA Buclin, T., et al. DTC : nouvel essor pour un ancien dopant, Med Hyg, Vol. 62, no. 2476, 2004, pp. 677–681.
APA Buclin, T., Biollaz, J. (2004), DTC : nouvel essor pour un ancien dopant, Med Hyg, 62, no. 2476, 677–681. https://doi.org/10.53738/REVMED.2004.62.2476.0677
NLM Buclin, T., et al.DTC : nouvel essor pour un ancien dopant. Med Hyg. 2004; 62 (2476): 677–681.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2004.62.2476.0677
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Articles : thérapeutique
31 mars 2004

DTC : nouvel essor pour un ancien dopant

DOI: 10.53738/REVMED.2004.62.2476.0677

DTC : new achievements for an old doping agent

Direct-to-consumer advertising has increased to an impressive extent over the past few years. Various methods allow the pharmaceutical companies to bypass its theoretical prohibition in Switzerland and Europe. Its global impact on public health remains uncertain. The general practitioner should become aware of this social trend and of its definite consequences on drug prescription.

Résumé

La publicité orientée vers le consommateur pour les médicaments de prescription connaît depuis quelques années un développement important. De nombreux moyens sont utilisés par les firmes pour contourner son interdiction théorique en Suisse et en Europe. L’impact de ce type de promotion pharmaceutique sur la santé publique demeure incertain. Il est important que le praticien prenne conscience de cette évolution et de ses retombées concrètes sur la prescription médicamenteuse.

Non, ce n’est pas le sigle chimique du dernier anabolisant circulant dans les clubs de musculation: l’abréviation DTC renvoie à l’expression Direct To Consumer, apparue il y a quelques années dans le jargon du marketing pharmaceutique, et de plus en plus fréquemment invoquée dans la littérature anglo-saxonne pour désigner la promotion tout public des médicaments. Il manque inévitablement à l’équivalent francophone «publicité orientée vers le consommateur» la référence culturelle à nos cousins d’outre-Atlantique, dont nous verrons l’influence. Ce que le sigle ne précise pas, c’est qu’il s’applique spécifiquement aux médicaments de prescription soumis à l’ordonnance médicale. La performance qu’il s’agit ici de doper est d’ordre économique, et de nombreux moyens allant de la stricte légalité à la fraude la plus cynique sont consacrés à cette fin. Comme dans le sport, l’important reste d’être contrôlé négatif, ce qui pose rarement un problème compte tenu des moyens dont dispose une autorité de contrôle perpétuellement en retard d’une guerre. Durant ces dernières années, les budgets investis par l’industrie pharmaceutique dans le secteur DTC ont augmenté exponentiellement, tant à l’étranger qu’en Suisse, et de nombreux représentants des firmes sont à même de confirmer l’existence de projets grandioses en la matière pour ces prochains temps. Cet article vise à sensibiliser le praticien à cet élément de santé publique d’importance nouvelle, de plus en plus susceptible d’interférer concrètement avec sa pratique médicale, au même degré que la révision de la loi sur l’assurance maladie, la généralisation de l’informatique ou les récentes épidémies virales.

Historique et statut juridique

La promotion des médicaments est vieille comme la pharmacie, et déjà Paracelse invectivait les apothicaires bâlois lui reprochant la sobriété de sa prescription. L’apparition des spécialités pharmaceutiques à côté de la pharmacopée traditionnelle remonte à la révolution industrielle du XIXe siècle. Le marché des produits de marque, orienté vers l’automédication, entraîna d’emblée d’importants investissements promotionnels et s’attira du même coup les foudres des très nombreux médecins prônant la fidélité aux prescriptions magistrales.1 La réglementation sur les médicaments se mit en place progressivement durant le XXe siècle. Le Food and Drug Act de 1906, aux Etats-Unis, se limita d’abord à imposer la déclaration des ingrédients sur les spécialités pharmaceutiques. L’enregistrement des produits auprès d’une autorité (la FDA) contrôlant les allégations d’efficacité et de sécurité fut exigé à partir de 1938 afin de protéger les citoyens contre des informations frauduleuses. Ne visant initialement que les stupéfiants, la soumission obligatoire à l’ordonnance médicale fut étendue dès les années 1950 à d’autres produits puissants et potentiellement dangereux, au fur et à mesure de leur apparition (cortisone, sulfamidés, pénicilline, chlorpromazine). Les pays d’Europe connurent une évolution parallèle, suite, entre autres, au désastre du thalidomide (1957) dont l’influence fut probablement déterminante dans la généralisation de cette politique.2

Durant l’ère de l’autorité médicale incontestée, la promotion des fabricants de médicaments soumis à ordonnance se concentra sur le prescripteur, la publicité grand public n’étant guère envisagée. En 1980, la firme Syntex releva un peu fortuitement que la diffusion par la BBC d’une émission télévisée mentionnant le naproxène comme nouveau traitement des douleurs arthrosiques fut suivie d’une importante augmentation des prescriptions de cet anti-inflammatoire. 3 L’évolution des relations médecin-patient marquant la fin du XXe siècle accrut l’intérêt pour les fabricants de susciter dans le public une demande en faveur de telle ou telle prescription. En parallèle, l’impératif de la croissance économique et l’exacerbation du consumérisme néo-libéral ont entraîné de profondes modifications des rapports entre producteurs et consommateurs.4

Les Etats-Unis et la Nouvelle Zélande sont les deux seuls pays industrialisés à n’avoir jamais connu d’interdiction catégorique de publicité pour les médicaments soumis à ordonnance. Confrontée pour la première fois en 1981 à des campagnes DTC (pour l’ibuprofène et le vaccin antipneumococcique), la FDA se contenta d’exiger à partir de 1985 que ce type de promotion réponde aux mêmes standards d’information que la publicité destinée aux professionnels, c’est-à-dire qu’elle inclut un résumé relativement détaillé des propriétés pharmaceutiques. Cette obligation prévint pour un temps la publicité radio-télévisée. En 1997, des règles simplifiées furent émises à l’adresse des médias audiovisuels, autorisant la publicité pour les médicaments sur ordonnance à condition que soit recommandé le recours à des informations complémentaires (notice d’emballage, page Internet, numéro de téléphone gratuit ou professionnel de santé). Ces dernières années, les montants consacrés à la publicité DTC par l’industrie américaine ont augmenté exponentiellement, passant de 56 millions de dollars en 1991 à 2,38 milliards en 2001, soit une augmentation de 45% par année.5-8 Corollairement, plusieurs auteurs se sont mis à lancer des cris d’alarme envers cette évolution.9,10

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La Communauté européenne, reprenant diverses législations nationales, généralisa en 1989 l’interdiction de la publicité dans les médias pour les médicaments, seules demeurant permises les réclames destinées aux professionnels. Dès 1992, un assouplissement spécifique autorisa cependant la promotion radiotélévisée des produits d’automédication. A cette même époque, la firme Glaxo déclencha une offensive DTC sans précédent en Europe à l’occasion du lancement du sumatriptan, suscitant et finançant une campagne d’articles enthousiastes dans la grande presse pour proclamer la découverte d’un antimigraineux miraculeux et mettre la pression sur les autorités d’enregistrement et de remboursement.11 La compagnie fut sanctionnée en France pour ce comportement, mais probablement bien en dessous du profit qu’elle en retira. La démarche inspira par la suite de nombreux émules. En 2001, la Commission européenne proposa d’autoriser, pour une durée expérimentale de cinq ans, la publicité envers le grand public (DTC) de médicaments contre le sida, l’asthme et le diabète. Les réactions fusèrent. Le 23 octobre 2002, le Parlement européen rejeta finalement cette proposition (494 non contre 42 oui), avec l’argument que cette communication risquait d’être insuffisante quant à la mention des effets indésirables et qu’elle influencerait les médecins.

En Suisse, la publicité pour les médicaments resta interdite dans les médias jusqu’en 1992, date où le parlement autorisa, parallèlement avec la Communauté européenne, la promotion radio-télévisée des médicaments sans ordonnance ni soumis au remboursement obligatoire. La situation actuelle est régie par la Loi sur les produits thérapeutiques,12 qui n’autorise toujours la publicité destinée au public que pour les médicaments non soumis à la prescription médicale. La loi est complémentée par une ordonnance spécifique,13 imposant que cette publicité soit véridique, identifiable comme telle et qu’elle comporte une invitation expresse à lire la notice d’emballage (et pour les messages audiovisuels à demander conseil au spécialiste); la remise d’échantillons, les concours et le démarchage sont interdits (sauf pour les produits de liste E), de même que toute mention suggérant que l’effet du médicament est garanti, qu’il n’a pas d’effet indésirable, qu’il est meilleur qu’un concurrent, qu’il peut améliorer l’état de santé ordinaire, etc. La publicité à destination des professionnels pour les médicaments sur ordonnance est également soumise à des restrictions légales. Par publicité, le législateur entend «toute forme d’information, de prospection ou d’incitation qui vise à encourager la prescription, la remise, la vente, la consommation ou l’utilisation de médicaments».13

Avantages et inconvénients pour la santé publique

Les atermoiements américains et européens ont incité opposants et partisans de la publicité DTC à aligner leurs arguments. Si le débat se polarise entre les firmes pharmaceutiques d’un côté, évidemment désireuses d’augmenter leurs ventes et leur influence, et les médecins de l’autre, préoccupés à titre compréhensible par la perte de leur autorité et de leur liberté d’intervention, la problématique s’avère relativement nuancée en termes de santé publique. 3,6

Les partisans de la publicité directe envers le consommateur invoquent en premier lieu le droit des consommateurs à recevoir de l’information sur les possibilités de traitement de leurs affections courantes. On l’a vu, l’essor de la promotion DTC s’inscrit dans un mouvement de réappropriation de la santé par le public, dans lequel on peut voir une réaction envers l’aliénation iatrogène de la «médecine paternaliste», dénoncée en son temps par un Ivan Illitch.14 Le patient informé prend une part plus active à son traitement, et incite le médecin à se montrer à la hauteur de ses attentes. Une opposition dialectique entre différents partenaires de santé (médecins, industriels, pharmaciens, assureurs, autorités) permettrait aux individus de trouver plus facilement une position propre qui leur soit optimale. Par ailleurs, la publicité DTC lutte contre le sous-traitement encore fréquent pour certaines affections médicales, incite le patient à requérir une médication pour ses troubles, lui signale qu’il n’est pas le seul dans son cas et lui rappelle de prendre régulièrement ses comprimés. Stimulant la concurrence entre fabricants et la compétition entre acteurs de la santé, elle pourrait contribuer à la production de meilleurs médicaments et à la baisse des dépenses sanitaires.

Les opposants à la promotion de type DTC font valoir de leur côté que les consommateurs n’ont pas les compétences requises pour examiner d’un œil critique les messages véhiculés à propos des médicaments, en particulier concernant les risques qui leur sont liés. Ils reprochent à cette promotion d’encourager la médicalisation outrancière de l’existence et la surconsommation médicamenteuse inappropriée (a pill for every ill), de dévier la prescription en direction des spécialités les plus onéreuses, d’attiser les litiges entre patients et médecins, de compromettre la qualité de vie des consommateurs, de multiplier les effets indésirables et en fin de compte d’augmenter les coûts de la santé. La qualité des informations diffusées est très souvent médiocre et ne correspond pas aux exigences d’une campagne de santé publique. En prenant l’initiative d’une promotion DTC, les firmes s’exposent elles-mêmes à encourir des poursuites de la part de patients victimes d’effets néfastes et tentés de les imputer à la pression publicitaire ; ces retombées judiciaires pourraient d’ailleurs opposer une contre-régulation à l’accroissement de ce type de propagande.15

Les évaluations rigoureuses et impartiales des effets concrets de la publicité DTC sur l’état de santé d’une population sont difficiles à identifier : en effet, de nombreux articles relevés dans la littérature médicale sont entachés de parti pris dans un sens ou dans l’autre. Néanmoins, les études d’impact, pour la plupart américaines, démontrent assez uniformément que les campagnes DTC entraînent une augmentation de la fréquence des diagnostics et de la prescription des médicaments faisant l’objet de la promotion, le cas échéant au détriment des produits concurrents.8,16 L’exposition des patients à des réclames DTC induit un nombre significatif de demandes de prescriptions pour les médicaments promus auprès de leur médecin, et ces derniers répondent positivement à ces sollicitations dans une majorité de cas.17 Au demeurant, la FDA est en train d’analyser les résultats d’un large sondage sur les sentiments des médecins à l’égard de ce phénomène. On relève par ailleurs que la publicité DTC ne concerne qu’une frange restreinte des médicaments de prescription: en 2000, 60% des investissements consacrés à cette forme de promotion aux Etats-Unis portaient sur vingt spécialités pharmaceutiques en tout (cinq antiallergiques, trois hypolipémiants, deux anti-inflammatoires, deux œstrogènes, deux antiasthmatiques, un antiulcéreux, un antidépresseur, un stimulant de l’érection, un médicament de contrôle pondéral, un antiviral, un antifongique). 7 Une évaluation systématique du contenu d’une série d’annonces DTC américaines révèle un biais considérable en faveur des informations favorables au produit, au détriment de la présentation pondérée des avantages et des inconvénients du traitement.18 Dans l’ensemble, on retiendra que l’efficacité de la publicité DTC est plus nette sur les ventes de médicaments que sur les issues réelles de santé publique, qui n’ont pas démontré d’effet favorable jusqu’à ce jour.6,19

Une réglementation facile à contourner

On l’a vu, la publicité de type DTC est formellement illégale en Suisse. Cela n’interdit toutefois nullement les opérations de propagande des firmes pharmaceutiques, visant à influencer directement le consommateur en faveur d’un médicament de prescription. Les méthodes appliquées à cette fin sont multiples.

Publicité quasi-DTC

La méthode la plus simple consiste à placer dans les médias des encarts publicitaires évoquant de manière claire le médicament, toutefois sans en mentionner trop explicitement le nom. Il y a quelques temps, Hoffmann-La Roche a orchestré une vaste campagne d’affichage urbain, interdite par la suite, qui proposait au public de s’informer sur la grippe en consultant un site Internet intitulé… du nom d’un antiviral fraîchement commercialisé ! Pensons aussi aux pleines pages achetées dans les journaux par la firme Pfizer, rappelant inlassablement à la population l’existence d’un traitement pour les troubles de l’érection; la promotion du sildénafil par cette firme fut exemplaire : nul n’ignore non seulement le nom commercial, mais aussi la forme et la couleur du comprimé, rendant superflue toute mention explicite de la spécialité dans la publicité de rappel.

Sites Internet

De très nombreux sites promotionnels sont financés par les fabricants de médicaments, leur vocation étant déclarée de manière plus ou moins explicite. Afin de respecter la loi en apparence, certains invitent les utilisateurs à cliquer préalablement sur un bouton d’accès à l’information déclarant qu’ils sont, soit des professionnels de la santé, soit des résidents américains. La pauvreté de la réglementation touchant au Web autorise tous les dérapages d’information: depuis quelques années, certains praticiens ont ainsi fort à faire à expliquer à leurs patients s’étant documentés sur Internet que le matériel qu’ils ont trouvé à propos de leur maladie n’est pas d’une qualité constante. Parmi les solutions proposées à ce type de dérive, citons l’initiative Health on the Net qui vise à promouvoir un code de bonne conduite auprès des auteurs de sites Internet dédiés à la santé et délivre un certificat aux sites jugés d’un niveau satisfaisant de qualité et d’indépendance.20

Visites aux praticiens

Il arrive que des délégués médicaux déposent dans les salles d’attente des praticiens des feuillets d’annonce pour des médicaments, en complément du matériel promotionnel dont ils honorent abondamment le prescripteur. Si cette manière de viser le public-cible à bout portant doit être énergiquement dénoncée, la remise au médecin de matériel d’information à distribuer aux patients mérite en revanche une appréciation plus nuancée, l’aspect promotionnel pouvant être compensé par une utilité réelle.

Etudes promotionnelles

La mise sur pied d’études de phase IV impliquant les praticiens et visant à encourager la prescription d’un nouveau médicament n’est pas nouvelle. Il arrive cependant de plus en plus fréquemment que ces études soient annoncées par voie de presse, avec mention d’un numéro d’information téléphonique où l’on explique au patient la marche à suivre pour se faire prescrire le médicament «étudié» (cas relativement récent de l’ostéoporose en Suisse).

Fondations et campagnes d’information

La participation de firmes pharmaceutiques à des campagnes de sensibilisation portant sur un problème de santé pour lequel elles commercialisent un traitement est devenue régulière. Plutôt que d’intervenir ouvertement, les compagnies préfèrent soutenir des fondations, tantôt préexistantes, tantôt créées pour l’occasion, dont le but est d’inciter la population à se faire contrôler et soigner. Ces actions promotionnelles mimant les campagnes de santé publique n’en ont le plus souvent ni la qualité, ni l’impact. Il arrive cependant que la contribution d’une ou – préférablement – plusieurs firmes à un authentique effort de santé communautaire se révèle en fin de compte utile à la collectivité. A ce titre, la récente campagne en faveur de la douleur chronique en Suisse nous paraît un exemple typique de réalisation «mixte» au bilan encore incertain. En effet, là encore, les conflits d’intérêts peuvent poser problème : par exemple, en France, le Syndicat national de l’industrie pharmaceutique finance depuis plusieurs années une campagne sur «le bon usage des médicaments» menées dans les écoles avec l’appui de l’Education nationale. Visant à apprendre aux enfants à utiliser les médicaments en réponse à leurs affections même bénignes, elle met en fait la pédagogie de l’information sur les médicaments entre les mains de l’industrie.11

Alliance avec les associations de patients

Beaucoup d’associations de patients reçoivent un soutien de firmes pharmaceutiques travaillant dans le domaine médical concerné. Les intérêts réciproques des deux partenaires convergent jusqu’à un certain point : reconnaissance de la maladie, mobilisation de ressources pour les traitements, pression en faveur de la recherche, de la mise à disposition et du remboursement de médicaments, etc. Le soutien industriel n’est cependant pas tout à fait désintéressé, et il est arrivé que des associations de patients se fassent instrumentaliser par des compagnies pharmaceutiques en leur servant de relais publicitaire auprès des patients (évoquons par exemple le cas de diverses maladies neurodégénératives).

Commission d’articles rédactionnels

La presse écrite et audiovisuelle diffuse constamment des informations pharmaceutiques, qu’il s’agisse d’innovations en matière de pharmacothérapie ou de reportages sur des sujets médicaux réputés intéresser le grand public. A côté de présentations remarquablement indépendantes, pondérées et critiques, on trouve dans ce domaine des articles franchement promotionnels, signés de journalistes qui n’affichent pas toujours avec la même constance leurs relations avec les industriels. Il arrive aussi, plus trivialement, que la presse se contente de reproduire un communiqué directement émis par une compagnie, dont le contenu publicitaire transparaît plus ou moins clairement. Médecins et pharmaciens sont également mis à contribution pour relayer des messages DTC. Les académiques répondent de manière variable aux invitations de l’industrie visant à leur faire endosser un rôle promotionnel auprès du public. Même les moins enclins feraient bien de rester vigilants. Un de nos collègues a récemment retrouvé un article de sa main dans un journal destiné aux patients transplantés, utilisé pour recommander la préparation originale de ciclosporine au détriment des génériques en train d’apparaître en Suisse.

Recherche scientifique

Durant la dernière décennie, la majeure partie de la recherche clinique s’est retrouvée sous la dépendance financière de promoteurs industriels. Ceux-ci privilégient les études susceptibles de déboucher sur des extensions d’indications pour leurs médicaments. Ce faisant, la diffusion même des résultats de ces recherches dans le grand public adopte une connotation promotionnelle plus ou moins marquée, même en dehors de tout mandat publicitaire explicite. Typiquement, la recherche de nouvelles indications au sildénafil (difficultés sexuelles féminines), au finastéride (calvitie) ou aux antidépresseurs (timidité) procède de ce principe.21 Édouard Zarifian en arrive même à conclure que la classification internationale des troubles psychiatriques DSM-IV, dont l’élaboration a bénéficié d’un large soutien industriel, se réduit à un catalogue de symptômes cibles pour la prescription de psychotropes.22

Quelles attitudes pour le praticien ?

Face au phénomène ascendant de la publicité DTC, de quelles ressources dispose le praticien pour éviter que son rôle ne se restreigne progressivement à timbrer et signer des ordonnances mises entre les mains des patients par l’industrie ? Nous proposons ici une démarche en cinq phases, dont l’importance et la durée pourront varier en fonction de la personnalité de chaque médecin:

  1. Notre première suggestion serait déjà que les praticiens prennent conscience du phénomène DTC(ce à quoi tend modestement cet article), et de ses interférences concrètes avec la prise en charge des patients qui les consultent. Il s’agit ni plus ni moins que de surmonter le déni qui tend à nous fait croire que l’art médical peut continuer à s’exercer comme autrefois. Cette prise de conscience mérite autant que possible d’être partagée explicitement avec le patient, qu’on encouragera aussi à rester critique: «Avez-vous été attentif à la campagne d’information qui sévit actuellement sur tel problème de santé? Ne pensez-vous pas qu’il puisse y avoir des intérêts commerciaux en jeu là-derrière?»
  2. Dans un second temps, une telle prise de conscience pourra susciter un sentiment de colère et de révolte de la part du praticien, débouchant le cas échéant sur des réactions concrètes. A ce propos, les simples lettres de désapprobation émanant de prescripteurs sont considérées avec la plus grande attention par les compagnies. Les mises au point de groupements ou de sociétés médicales, les courriers de lecteurs dans les journaux professionnels ou les communiqués de presse ont encore plus de poids. Peut-être même l’avenir réserve-t-il des épisodes de boycott ou des procès en responsabilité civile à certaines firmes pharmaceutiques suite à des dérapages publicitaires. En cas d’infraction manifeste à la législation en vigueur, une dénonciation formelle peut aussi être adressée à SwissMedic, à qui la Confédération attribue l’autorité de surveillance en matière de publicité pour les médicaments et qui peut infliger des sanctions aux entreprises contrevenantes. Toutes ces réactions d’opposition peuvent authentiquement contribuer à limiter les dérapages du marketing les plus dommageables à la santé publique.
  3. De manière plus proactive, il est certainement possible et souhaitable que des prescripteurs entrent en négociation avec les firmes dans certains cas et collaborent à mettre au point des campagnes d’information réellement orientées vers des intérêts de santé publique. Cela n’exclut pas la prise en compte d’intérêts industriels ou corporatifs tant qu’ils demeurent convergents. L’important serait que cet échange demeure équitable, ce qui suppose une déclaration ouverte des intérêts en jeu de part et d’autre ainsi qu’une possibilité d’arbitrage. Dans ce domaine aussi, les praticiens ont un rôle actif à jouer, directement ou par l’intermédiaire des groupements et des sociétés auxquels ils prennent part. De telles collaborations pourraient exercer un effet de renforcement positif sur les actions DTC les plus valables, et contribuer à développer leurs aspects avantageux pour la collectivité.
  4. La résignation, voire la dépression, peuvent affecter le praticien qui prend conscience de l’influence de plus en plus prégnante des industriels auprès de ses patients, en même temps que des contraintes croissantes exercées sur son activité par les assurances et les autorités sanitaires. Il ne vaut certainement pas la peine d’épuiser son énergie dans tous les combats potentiels qui se présentent au quotidien. Simplement, il y aurait peut-être ici aussi quelque intérêt à faire acte de ce sentiment à l’adresse du patient : «Voyez-vous les pressions auxquelles je suis confronté dans l’exercice de mon activité ?» Paradoxalement, cet aveu d’impuissance pourra contribuer à réinstituer le médecin dans ses compétences spécifiques de consultant, tout en restaurant une relation thérapeutique plus authentique et adulte avec le patient.
  5. Enfin, il paraît un peu plus difficile d’entrevoir une phase ultime d’acceptation sereine. Le praticien parviendra-t-il à trouver une quiétude décontractée et une identité renouvelée, assumant les transformations profondes de nos sociétés sans se sentir ni menacé, ni tenu d’y adhérer ? Lui sera-t-il donné d’échanger avec son patient un sourire complice, non seulement face aux campagnes de promotion pharmaceutique, mais aussi face aux valeurs futiles qu’elles véhiculent si volontiers ? Au-delà de la révolte, de la compromission et de la soumission, retrouvera-t-il la liberté et la force de sa vocation première ?

On l’aura perçu, ces suggestions sont à lire comme un clin d’œil à Elisabeth Kübler-Ross et à son analyse décisive des étapes dans l’accueil d’un diagnostic de gravité.23 C’est ici la médecine elle-même qui tient lieu de patient : espérons simplement qu’elle ne sera pas emportée trop tôt par l’inflation tumorale de la publicité DTC.

Auteurs

Thierry Buclin

Professeur honoraire Service de pharmacologie clinique Centre hospitalier universitaire vaudois Lausanne

Jérôme Biollaz

Division de pharmacologie clinique Département de médecine interne BH
18 - Laboratoire 218

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