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ISO 690 Khazaal, Y., Rothen, S., Varfi, N., Achab, S., Soldati, L., Bolmont, M., Bianchi-Demicheli, F., Cybersexe entre usage et addiction : vers de nouveaux modèles conceptuels et thérapeutiques, Rev Med Suisse, 2019/642 (Vol.15), p. 574–578. DOI: 10.53738/REVMED.2019.15.642.0574 URL: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2019/revue-medicale-suisse-642/cybersexe-entre-usage-et-addiction-vers-de-nouveaux-modeles-conceptuels-et-therapeutiques
MLA Khazaal, Y., et al. Cybersexe entre usage et addiction : vers de nouveaux modèles conceptuels et thérapeutiques, Rev Med Suisse, Vol. 15, no. 642, 2019, pp. 574–578.
APA Khazaal, Y., Rothen, S., Varfi, N., Achab, S., Soldati, L., Bolmont, M., Bianchi-Demicheli, F. (2019), Cybersexe entre usage et addiction : vers de nouveaux modèles conceptuels et thérapeutiques, Rev Med Suisse, 15, no. 642, 574–578. https://doi.org/10.53738/REVMED.2019.15.642.0574
NLM Khazaal, Y., et al.Cybersexe entre usage et addiction : vers de nouveaux modèles conceptuels et thérapeutiques. Rev Med Suisse. 2019; 15 (642): 574–578.
DOI https://doi.org/10.53738/REVMED.2019.15.642.0574
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médecine sexuelle
13 mars 2019

Cybersexe entre usage et addiction : vers de nouveaux modèles conceptuels et thérapeutiques

DOI: 10.53738/REVMED.2019.15.642.0574

The term « cybersex » refers to the use of the Internet for sexual purposes (pornography, webcams, dating). While moderate use of cybersex could have a positive effect on sexual life, a small fraction of these cyber-users could have difficulties to control their consumption with negative consequences. This phenomenon, whose understanding of the mechanisms still raises debates, seems to be influenced by various psychological factors, including avoidant attachment (avoidance of close emotional relationship) and depressed mood. Sexual desire, different types of motivations for using cybersex, and impulsivity could contribute, to some extent, to this phenomenon. Despite of their preliminary character, current available data lead us to recommend an integrated approach of the treatment of the persons facing these difficulties.

Résumé

Le terme de « cybersexe » fait référence à l’utilisation d’internet pour des motifs sexuels (pornographie, webcams, rencontres). Alors qu’un usage modéré du cybersexe pourrait avoir des effets positifs sur la vie sexuelle, une petite fraction de ses utilisateurs pourrait en avoir une consommation peu contrôlée avec des conséquences négatives. Ce phénomène dont la compréhension est encore sujette à débats semble influencé par différents facteurs psychologiques, notamment l’attachement évitant (fuite des relations trop intimes) et l’humeur dépressive. Le désir sexuel, le type de motivations à l’usage du cybersexe et l’impulsivité pourraient dans une certaine mesure y contribuer. Malgré leur caractère préliminaire, les données disponibles à ce jour invitent à une approche intégrée du traitement des personnes confrontées à ces difficultés.

Introduction

Dans la population, les recherches liées à la sexualité (par exemple, pornographie) sont parmi les plus fréquentes sur internet.1 La diversité de l’offre, sa pléthore, sa gratuité pour la plupart des contenus proposés, son accessibilité rapide et continue 24h/24h ainsi que l’impression qu’elle offre à l’usager d’être anonyme derrière son écran contribuent à ce succès.

Le terme de « cybersexe » fait référence à l’utilisation d’internet pour des motifs sexuels. Derrière ce terme, on identifie une myriade de comportements très différents quant aux pratiques, aux expériences et aux interactions qu’ils impliquent (par exemple, visualisation solitaire ou en groupe de la pornographie, webcams, chats, sites ou applications de rencontres, jeux vidéo ou la réalité virtuelle orientés sur la sexualité…). Ces activités peuvent être en lien avec une recherche d’excitation sexuelle seul ou avec des partenaires ou pas (par exemple, recherche d’informations sur la sexualité).

En plus de ces différences, ces usages du cybersexe sont probablement assez variés quant à leurs facteurs de maintien (renforcements positifs par gratification sexuelle, et excitation, renforcements de nature sociale, ou liés au soulagement d’affects négatifs comme l’anxiété ou la colère…).2 Un usage modéré du cybersexe pourrait favoriser et stimuler la communication et les interactions sexuelles entre partenaires et améliorer les connaissances relatives à la sexualité d’un individu.3

Il apparaît qu’une petite fraction des utilisateurs du cybersexe pourrait avoir une conduite addictive.4,5 Cependant, le pourcentage de personnes concernées n’est pas clairement établi. Une des raisons en est qu’il n’ y a pas de consensus quant à une définition et à une évaluation ou une mesure des addictions sexuelles en général et de l’addiction au cybersexe en particulier.6 Le champ scientifique de la sexualité humaine et en particulier celui d’une possible clinique des addictions sexuelles a longtemps pâti de considérations morales (par exemple, définir une norme pour la sexualité en termes de pratiques ou de fréquence), retardant l’émergence de mesures et de définitions adaptées.

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En s’appuyant sur d’autres addictions sans substances (par exemple, jeux d’argent et jeux vidéo),7 on peut cependant considérer qu’un usage addictif du cybersexe pourrait correspondre, en l’absence d’autres raisons cliniques expliquant le phénomène (par exemple, trouble bipolaire de l’humeur),8 à une consommation du cybersexe difficile à contrôler et se maintenant malgré des difficultés et problèmes secondaires à ce comportement.9 La conceptualisation de ces manifestations cliniques fait encore l’objet de nombreux débats. La question de leur rattachement ou non aux conduites addictives et/ou sous quelles conditions reste posée.6 En conséquence, la littérature à ce sujet désigne ces phénomènes sous des termes variés faisant notamment référence à une utilisation compulsive, problématique ou addictive du cybersexe.

Nous ferons référence au terme d’addiction, dans le présent article, quand les études décrites se rapportent à ce modèle d’investigation. Bien qu’encore exploratoires, les recherches dans ce domaine se sont accélérées durant ces cinq dernières années. Le présent article présente certains de ces développements.

Réactivité psychophysiologique et neurale

L’addiction au cybersexe a été associée à des mesures de stress et à des perturbations psychologiques mais pas à l’importance des activités sexuelles hors internet ni à la satisfaction ressentie lors des relations sexuelles.10-12 Il s’agit donc, dans le cas du cybersexe, de formes d’activités sexuelles pas forcément liées aux autres formes d’interactions sexuelles humaines hors internet.

L’intensité de la réactivité subjective et de l’excitation liée aux stimuli pornographiques a été associée à l’importance de l’usage addictif de ces sites et aux conséquences négatives dues à cet usage.11,13

L’usage addictif est lié à une activation neurale de régions connues pour être impliquées dans la réactivité aux stimuli addictifs, en particulier les régions suivantes : la cingulaire dorsale antérieure, le striatum ventral et l’amygdale.14 De plus, la réactivité du striatum ventral à des stimuli pornographiques a été associée au sentiment subjectif de perte de contrôle sur leur consommation.2 Comme décrit pour d’autres addictions, un usage addictif du cybersexe a été associé à une diminution du contrôle exécutif préfrontal.15

En réponse à des stimuli vidéo pornographiques explicites, les personnes avec une addiction au cybersexe réagissent, en comparaison à des contrôles, avec plus de désir mais un « liking » (plaisir de l’action accomplie) similaire,14 conformément à l’hypothèse de dissociation « wanting : “ incentive salience ” (saillance incitative s’activant en présence ou en anticipation de stimuli associés à des récompenses)/liking » dans les addictions.16 On peut être fortement attiré par une consommation ou un comportement sans ressentir qu’on l’aime fort.

La dimension de liking semble donc jouer un rôle moins important dans la cybersex addiction que celles du wanting (salliance incitative) ou du learming (conditionnements des comportements, donc apprentissage, par des associations prédictives : attentes d’effet positif sur les émotions, par exemple coping).16,17

Comme décrit pour d’autres addictions, un usage addictif du cybersexe a été associé à une diminution du contrôle exécutif préfrontal.15

Motivations au cybersexe

De manière générale, les motivations à l’utilisation du cybersexe sont variées,18 comme la recherche d’informations, de formes d’excitation et de gratification sexuelles (« enhancement motives » : stimulation fantasmatique, excitation du-de la partenaire) ou de renforcement de l’estime de soi. Les motivations sociales (social motives) semblent particulièrement importantes pour les sites favorisant des échanges ou des rencontres entre personnes.19 L’usage du cybersexe est également motivé par une régulation des émotions (« coping motives » : chercher à faire face aux stress perçus) comme décrit pour d’autres addictions avec,20 et sans substances.21,22

Une échelle récemment développée confirme trois des dimensions principales des motivations au cybersexe (« enhancement » recherche d’excitation, coping et social motives, les motivations sociales).23

Les liens entre les motivations au cybersexe et les conduites addictives restent à explorer, notamment, en association à d’autres possibles déterminants comme le désir sexuel.

Déterminants des conduites addictives au cybersexe

En plus des motivations à l’usage du cybersexe, certaines variables psychologiques sont considérées comme de possibles contributeurs à l’usage addictif du cybersexe,24 en particulier : le désir sexuel, l’attachement, l’estime de soi, l’humeur dépressive et l’impulsivité.

Désir sexuel

Le désir sexuel reflète la force d’attraction d’une personne vers un comportement sexuel.25 Il se définit comme une expérience subjective caractérisée par un élan intérieur qui pousse une personne à initier une expérience sexuelle ou à y être réceptif. Le désir sexuel se caractérise aussi par une « augmentation de la fréquence et de l’intensité des pensées et des fantasmes sexuels, et du désir de l’acte sexuel, désir d’interagir avec l’autre ». De plus, il est influencé par de multiples facteurs contextuels, interpersonnels, l’attrait pour un-e partenaire, ainsi que par les fluctuations thymiques.26 L’usage du cybersexe pourrait offrir une forme de satisfaction de ce désir13 et contribuer dans une mesure relative à l’usage addictif du cybersexe.24

Humeur

Comme dans d’autres études relatives aux addictions sans substances,22,27,28 une association entre un usage addictif du cybersexe et l’humeur dépressive est fréquemment rapportée.13,29

Estime de soi

Une estime de soi basse a été associée à une forme particulière de cybersexe, le « sexting » (partager des photos et messages à caractère sexuel) ainsi qu’avec des conduites sexuelles addictives.30 Cette association avec le cybersexe n’est pas retrouvée dans toutes les études.24 Ces différences peuvent s’expliquer par des variations liées aux caractéristiques des échantillons recrutés et des méthodes d’évaluation de l’estime de soi ou relatives aux offres de cybersexe considérées.

Attachement

La théorie de l’attachement stipule que les interactions précoces contribuent à conditionner les croyances et comportements relatifs aux formes d’attachement intime.31 L’attachement « évitant » (fuite des relations trop intimes avec risque de multiplier les partenaires) et l’attachement « anxieux » (crainte de l’abandon et du rejet conduisant à des comportements de recherche de réassurance)32 sont connus pour leur impact sur les relations affectives et sexuelles.33 L’influence de ces formes d’attachement anxieux34 ou évitant sur l’utilisation addictive du cybersexe a été décrite dans différentes études.24

Impulsivité

L’impulsivité est fréquemment associée aux addictions,35,36 y compris aux addictions sans substances telles que les jeux vidéo21 et les jeux d’argent.37 L’association entre l’addiction au cybersexe et l’impulsivité est encore peu étudiée.38 Certaines études ne retrouvent pas d’association entre un usage addictif du cybersexe et l’impulsivité24,39 alors que d’autres rapportent une faible association entre certaines des dimensions de l’impulsivité (urgence négative : le fait d’agir de manière impulsive lors d’émotions négatives), en particulier, en cas d’interaction avec des émotions négatives.38

Genre

Le genre masculin apparaît surreprésenté dans l’addiction au cybersexe.24,34,39-42 Ce phénomène est plus ou moins marqué selon les études. Ces différences entre genres sont possiblement liées au design des produits (par exemple, une pornographie plus orientée sur des besoins masculins), à des disparités d’acceptabilité sociale de ces usages, à des différences de genre dans le rapport aux stimuli sexuels (réactivité aux images, à la relation), et au désir et à l’excitation sexuelle.43

Vers de nouveaux modèles et prises en charge

Le modèle théorique du « Sexhavior cycle of hypersexuality » proposé par Walton introduit deux nouveaux concepts, celui de « cognitive abeyance », qu’on pourrait tenter de traduire en français par « absence cognitive » et de « sexual incongruence », incongruence sexuelle.44 La « cognitive abeyance », décrit un état d’inactivité ou de diminution du processus cognitif logique, présent chez les hypersexuels au moment de l’excitation sexuelle, qui rendrait ces derniers incapables d’apprécier les conséquences de leur comportement sexuel. La « sexual incongruence » définit une souffrance psychologique due au fait que les comportements sexuels dans lesquels certains patients s’engagent régulièrement, sont perçus, après satisfaction, comme incompatibles avec leurs croyances, valeurs et aspirations personnelles. Par ailleurs Walton a montré que certains « hypersexuels » perçoivent leurs comportements sexuels comme incontrôlables, même s’ils ont un niveau normal de fonctionnement sexuel.45

Ces réflexions nous poussent à penser, comme cela a été proposé par d’autres auteurs, que dans les futurs traitements concernant l’utilisation problématique du cybersexe, il faudra non seulement aider les personnes à augmenter le contrôle de soi-même mais également s’intéresser aux facteurs comme la compréhension de leur vécu sexuel et la compréhension et résolution de leur incongruence sexuelle ; ceci pourrait réduire la perception de perte de contrôle et de souffrance même sans changer leurs comportements sexuels.46

Conclusion

Le cybersexe est constitué d’une large palette d’activités. Une petite fraction des consommateurs semblent concernée par une utilisation addictive de certains produits du cybersexe. Ce phénomène semble associé à certaines variables psychopathologiques, en particulier l’humeur dépressive et des formes d’attachement insécure. Le désir sexuel et, dans certaines études l’impulsivité, pourraient également contribuer au phénomène. De études sont encore nécessaires, y compris par domaines d’activités (par exemple, pornographie, webcam…), pour mieux comprendre ce phénomène et ses liens potentiels avec des variables contributives, notamment les motivations. Des études prospectives, en milieu naturel (par exemple, évaluations répétées dans la journée avec des smartphones)47 aideraient à mieux comprendre le type d’interactions entre ces conduites addictives et ces variables psychopathologiques. Elles permettraient également de revisiter la compréhension de ces processus addictifs et de générer une compréhension de l’addiction au cybersexe.

Malgré leur caractère préliminaire, les données disponibles à ce jour invitent d’ores et déjà à une approche intégrée (intégration des aspects liés au cybersexe avec ceux liés aux variables psychopathologiques associées quand elles contribuent à la problématique) du traitement des personnes avec une addiction au cybersexe.

Conflit d’intérêts :

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

Implications pratiques

▪ Si un-e, un patient-e se plaint d’un usage excessif ou problématique du cybersexe, pensez à évaluer :

  • Les motivations qui sous-tendent cet usage

  • Les activités sur internet et en dehors

  • Le contexte affectif

  • L’humeur 

  • Le style d’attachement

Implications pratiques

Auteurs

Stéphane Rothen

Psychologues FSP, Service d’Addictologie, Département de psychiatrie, Hôpitaux universitaires de Genève, 70C rue Grand Pré
1202 Genève
stephane.rothen@hcuge.ch

Nektaria Varfi

Université de Genève
1211 Genève4

Lorenzo Soldati

Consultation spécialisée de sexologie, Service des spécialités psychiatriques, HUG
1211 Genève 14
lorenzo.soldati@hcuge.ch

Mylène Bolmont

Faculté de médecine et de psychologie, Université de Genève
1211 Genève 4

Francesco Bianchi-Demicheli

Clinique de stérilité et endocrinologie gynécologique Département de gynécologie et obstétrique Hôpitaux universitaires de
Genève 1211 Genève 14

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